Archives mensuelles : septembre 2011

Chapitre 3

 Les latitudes des rivages suspects

–         No, Ernesto,no ! La niña !

La main de Carlos pèse fermement sur le poignet de son acolyte qui baisse son arme comme à regret.

–     Mi corazón una mentira pide

para esperar tu imposible llamado.

Yo no quiero que nadie se imagine*, marmonne- t’il avant de cracher dans l’eau.

Les deux hommes suivent du regard l’embarcation qui file. Carlos tient toujours la main armée d’Ernesto. De dos, on dirait un couple d’amoureux romantique contemplant la rivière.

–         Tu puta madre ! Fit le romantique en chef. El coche ! De prisa !

Ils s’enfoncent dans les taillis, écartant les branchages à grands coups de bras rageurs. Ensuite, il y a  le vrombissement d’un moteur forcé, le crissement de pneus, et puis, à nouveau, les sons de la rivière. La petite musique de l’eau.

Le pêcheur reprend son souffle. Il laisse traîner sa longue gaffe et  aller la barque au grès du courant. C’est une barque à fond plat, avec une coque très allongée et de courts rebords. Elle est adaptée aux eaux calmes et de faibles profondeurs. Il faut se tenir debout en poupe pour la diriger en prenant appuis dans le lit du fleuve avec une longue perche.  Ce n’est pas facile car un mauvais mouvement peut déséquilibrer l’embarcation. Le pêcheur manie son bateau avec aisance, on dirait un prolongement de son être.

La jeune fille s’est assise à l’avant. Elle fait face à l’homme.

–         T’es drôlement fortiche, Monsieur ! Comme tu l’as maté Carlos !

Ces compliments n’émeuvent pas le pêcheur. Il jette des regards inquiets vers les berges. Au loin, la silhouette d’un pont métallique se rapproche.

–         Tu dis rien ? T’es fâché ? … T’es pas fâché, hein ?

La rivière s’est élargie et le courant s’apaise. La libellule s’amuse autour de la barque et achève ses jeux  sur l’épaule du pêcheur.

–         Hi ! t’as une bête sur l’épaule, t’as vu ? C’est une demoiselle…. Ouah ! Comme elle est belle !

La fillette se redresse brutalement pour observer l’insecte. Le bateau, déstabilisé, tangue dangereusement et l’enfant s’étale en avant. Le pêcheur  plante aussitôt sa perche pour maintenir le bateau.

–         Hon ! fit–il en accompagnant son borborygme d’un geste ordonnant l’immobilité.

La fillette se redresse lentement sur les genoux. L’eau a pénétré dans la barque. Le pêcheur prend une large spatule en bois attachée à la coque et entreprend d’évacuer l’eau. Puis il s’arête. L’homme et l’enfant sont à présent, très proche. Lui, accroupis, elle, dressée sur les genoux, ils ont le visage à la même hauteur.  Ils se regardent un instant au droit des yeux. Sans autre bruit que celui de l’eau, sans autre mouvement que celui du bateau. La libellule se pose à nouveau sur l’épaule du pêcheur.

–         Ho ! Revoilà la demoiselle. Elle t’aime bien, on dirait…

–         Hon… Fait le pêcheur en montrant la spatule.

–         Hon, hon ! Mais tu sais dire que ça, honhon ! T’es muet alors… ça alors, tu sais pas parler !  Et puis t’entends pas grand-chose aussi, on dirait.

–         Hon ! insiste le muet.

–         Ok, monsieur Honhon, je vide l’eau. C’est monsieur Honhon qui commande.

Le pêcheur reprend sa place à l’arrière de la barque. Le pont de fer n’est plus très loin maintenant. Les rayons du soleil couchant embrasent son treillis de poutrelles. Ils découpent  aussi, les formes massives d’une voiture garée sur son tablier. C’est une grosse berline sombre, peut-être est-elle noire, aussi noire que les deux silhouettes penchées au garde-fou.

Soudain, une détonation

* « Soledad » Carlos Gardel

 

Chapitre 2

La demoiselle était nue.

Fragile et ténue,

Comme un soupçon

La fourchette stoppe net le saut du poisson.

Transpercé par le fer, l’animal se débat en soubresauts frénétiques. Mais déjà une main l’empoigne et le jette au fond de la barque.

Le pêcheur inspecte son harpon de fortune. C’est un ustensile de barbecue fixé par du fil de fer à l’extrémité d’une longue tige de bois. L’homme est grand et  d’une belle carrure, encore jeune bien que son age soit assez difficile à cerner. L’attache de la fourchette a souffert de la  prise. Le pêcheur, consciencieusement, entreprend de resserrer les liens.

–         Ouah, Monsieur ! T’es drôlement fort ! Monsieur…

Une jeune fille, une gamine, a surgit des buissons de la berge.

–         Comme tu l’as choppée ! Monsieur…

Elle s’avance à la limite de l’eau sur une petite plage de galets.

–              Monsieur ?

Le pêcheur tourne le dos à la fille. Il a posé son harpon pour saisir une longue perche.

–              Monsieur ? Ho ho ! Monsieur !

La fille a haussé la voix  en vain.  Pourtant l’embarcation n’est qu’a quelques mètres, abritée des remous par une petite île de rochers affleurants. Elle s’avance dans l’eau.

–              Monsieur, tu me prends dans ton bateau ?

Elle se déplace prudemment, même si le courant n’est pas très fort et s’il n’y a pas beaucoup de fond.

–              Tu me prends, dis ? Monsieur, tu m’entends ? Monsieur…Monsieur !

Lentement, le pêcheur tourne la tête. Une libellule s’est posée sur son épaule. Il a senti son poids de plume. Il est délicat dans son mouvement car il ne veut pas l’effrayer, simplement la regarder. C’est alors qu’il voit la fille. Elle a maintenant de l’eau jusqu’au genoux et progresse de plus en plus difficilement.

–              Ah, tout de même, fit-elle.

Par delà la barrière d’arbustes et de buissons qui bordent la berge, une voix masculine semble répondre à la fillette. Elle a un fort accent espagnol.

–              Tou as fini ? Qu’est-ce que tou fais ?

La gamine n’est plus très loin de la barque que le pêcheur stabilise grâce à la perche plantée dans le courant. Il attend.

–              hou ! Y a vraiment de l’eau là !… Aide moi un peu, Monsieur.

–              Ma, tou parles à qui ? interroge la voix

Le son de la voix est plus distinct. Il y a des craquements de branches et des bruissements de feuilles, l’inconnu approche.

La fille trébuche, elle se rattrape tant bien que mal à la barque qui donne du gîte dangereusement. Le pêcheur sort enfin de sa torpeur. Tout en maintenant la perche d’une main ferme, il agrippe l’enfant par le col son tee-shirt et le hisse dans l’embarcation.

Plus en amont, un individu, tout de noir vêtu, un visage grêlé dissimulé par un chapeau et des lunettes de même couleur, s’extirpe de l’entrelacs de végétation qui borde le rivage. Un pitoyable collier de barbe tente vainement d’adoucir cette lugubre physionomie.  

–              Hé, ma tou fais quoi, là ?

Il se précipite vers le pêcheur et la gamine, enjambant les rochers dans des éclaboussures. Il pointe dans leur direction un énorme pistolet.

–              Toi là, tou bouge plou ! ordonne t-il au pêcheur.

Puis il hurle :

–              Ernesto ! ho, Ernesto !

L’inquiétant personnage ralentit sa course. Les galets sont glissants et le courant enserre ses chevilles. Il est prudent, il mesure ses mouvements.

–              Allez, niñita, viens là. Reviens là…. Fit il doucement.

–              Non Carlos… Je peux pas, y a trop d’eau.

–              Viens je te dis. Je te tiens….

L’homme en noir est maintenant au niveau de la barque. Un pied se perdant dans les algues et l’autre calé entre deux rochers, il tend une main avide vers l’enfant, l’arme toujours pointée vers le pêcheur.

La fillette est résignée. Elle attend que l’homme la saisisse. Les doigts de Carlos l’effleurent  presque, mais il doit mieux assurer son équilibre pour pouvoir l’amener à lui sans risque.

Soudain, une douleur vive sur sa main. D’un coup, la perche du pêcheur a volé sur  son arme.

–              Joder ! Jure Carlos

Un autre coup sur la poitrine l’envoie culbuter dans une gerbe d’eau.

–              Hijo de puta ! Ernesto ! Ernesto ! Hurle t-il.

Ernesto est là, surgit de nulle part. Si ce n’est le collier de barbe, le visage lisse et les écouteurs d’un baladeur fixés aux oreilles, c’est un clone de Carlos.

Méthodiquement, il écarte le revers de son manteau et sort un pistolet. Consciencieusement, il pointe l’arme vers le pêcheur qui, arc-bouté sur sa gaffe, éloigne, à grands coups de reins, le bateau, dans le courant.

 Ernesto murmure pour lui-même une sorte de mélodie.

-     Yo no quiero que nadie a mí me diga
 que de tu dulce vida
 vos ya me has arrancado. *

Son doigt ganté de cuir, se crispe sur la gâchette.

*Carlos Gardel « Soledad »

LE VASTE MONDE

PREMIÈRE PARTIE

Les sources

 


Chapitre 1 

Un arbre, faut pas croire que c’est courageux, non.

C’est simplement que ça ne sait pas s’enfuir, tout juste

hurler et injurier la lame.


Le paysage est vu de haut.

Il y a une grande route bien droite. Elle coupe une route secondaire plus étroite. Autour, s’étendent des cultures diverses de vignes et de vergers, et des friches. Le soleil n’est plus au zénith mais il fait beau et chaud. C’est la fin de l’été. Une fourgonnette progresse sur la route secondaire. On entend le ronronnement de son diesel.

–         Bon, tu vois, après le stop là, tu traverses et ça continue en face. Par le chemin. Et puis on y est. Tu tombes pile poil sur l’ancienne pisciculture.

–         Ha, d’accord… Ca coupe drôlement !

–         Et pardi !

La voiture s’est arrêtée au niveau du panneau stop du croisement. Sur la carrosserie, il est écrit : SERVICES MUNICIPAUX. On distingue mal les passagers.

–         Attend ! ça vient à droite…

Un imposant camion arrive et passe devant la fourgonnette dans un grondement de moteur et de bruits métalliques. Il tracte une longue remorque où s’affiche en lettres éclatantes : AMERICANO CIRCUS. Un camping-car le suit, tirant une remorque plus petite portant les mêmes inscriptions.

–         Bon…

–         Non, y en a encore qu’arrive…

Une berline noire croise à son tour la petite route. Etrangement, la voiture semble avoir impressionné les passagers de la fourgonnette. Est-ce à cause de la couleur ou de la taille imposante du véhicule ? Est-ce à cause des deux sombres et massives silhouettes de ses occupant ?  Ils restent un instant sans réaction, puis enfin :

–         Allez, zou ! Y a dégun…

De l’autre côté, la fourgonnette emprunte un chemin de terre. Un nuage de poussière se forme derrière elle.

–         Voilà, tu vas voir… ça longe la rivière encore un peu et puis on y est.

Le chemin tourne sur la gauche, longeant une barrière d’arbres et  d’arbustes.

–         Là, tu vois Jason ?

–         Djézonne ! Monsieur Rolando, Djésonne.

–         Bon Jéson, Tu vois les croix bleues sur les platanes ? C’est là.

La voiture s’arrête, rattrapée par sa traîne de poussière. Un homme bedonnant s’extirpe du véhicule. Il se masse le dos, son gros ventre en avant, en considérant les arbres marqués.

–         Putain ! ils y passent tous… Y a rien qui fait. Y aura bientôt plus un seul platane dans le pays… Connasse d’américain !* Bon, Jason, sort la tronçonneuse.

–         Djézonne…

De l’autre coté des taillis, aux limites de la berge, sur une longue tige, une fragile libellule, « une demoiselle », se balance, bercée par les courants. Des bruits métalliques perturbent le son apaisant des gargouillis de l’eau. Soudain, le vrombissement du moteur de la tronçonneuse éclate.

L’insecte s’envole. Il est rapide, on le perd de vue. Puis on le retrouve, esquivant les roseaux, filant au dessus des remous. Il fuit le vacarme mécanique.

Peu à peu, les sons de la rivière s’imposent. La petite musique de l’eau. La libellule s’attarde. Elle joue entre les hautes tiges, elle flirte avec les rides des courants.

Mais la paix des fleuves n’est qu’une illusion. Sous les vagues scintillantes, une ombre menaçante suit ces jeux insouciants. Soudain, l’ombre s’élance, crevant la surface. La gueule béante d’une truite fario va se refermer sur la demoiselle.

 *la maladie des platanes vient d’un minuscule champignon contenu dans les caisses conditionnant les armements de l’armée américaine lors du débarquement en Provence. Apparemment, il n’y a pas de remède.

PIEGE A HISTOIRE

Parmi les pièges à histoire, en voici un particulièrement dangereux pour le braconnier de récit. C’est celui que je prépare depuis la mise en forme de ce blog et qu’il faut bien se résoudre à armer. ( certain lecteur, ici même, peut témoigner de l’efficacité du dispositif )

Il consiste à se donner des obligations. D’abord un rythme, puis une attente ( un lecteur régulier).

C’est dangereux, parce que on ne sait pas ce que va être l’histoire. Ça peut être beaucoup de bruit pour rien. Et puis on prend le risque d’ être à sec ( un comble pour une histoire qui parle d’eau!) Exhiber son échec aux yeux du monde, que dis-je de l’univers!!!!

C’est donc une solution désespérée…

Les lecteurs sont trouvés, voici donc le rythme du feuilleton : un extrait par semaine, disons en fin de semaine.

Allez , je me jette à l’eau! ( si je peux dire)

Ah non, pas aujourd’hui!… La semaine prochaine, je dois me constituer une petite marge de sécurité, un bon trappeur est un trappeur prudent.

Attention brave gens, L’HISTOIRE DU MONDE (vaste) COMMENCE VENDREDI 16 09 2011

Les coups de feu affolèrent les mouches. En tumulte vibrant, elles criblèrent l’air.