Archives mensuelles : février 2012

Chapitre 17

Le fleuve déboulait, effroyablement.

Le fleuve prend sa place. Il s’étire mollement dans son large lit. Il s’allonge à l’aval, entre coteaux et cultures, à n’en plus finir. La ville, ses ponts et ses multiples balises se sont effacés derrières les reliefs. La péniche avance tranquillement sur des courants paisibles troublés, de temps à autre, par les sillages de lourds bateau-mouche promenant de tardifs vacanciers.
–    Tu te démerdes pas trop mal, apprécie Philibert. Bon, t’as bien compris le levier là ?… En avant toute… Petite vitesse… point mort… Arrière toute, c’est en continuant à tirer par là, mais bon c’est pas la peine là… Allez hop, en avant toute !

Philibert joue avec le levier métallique du tableau de bord. Le pêcheur est à la barre. Bien campé sur ses jambes, les yeux rivés sur le lointain du fleuve, il prend un plaisir évident à piloter l’imposant navire. Il rassure le marinier d’un hochement de tête.

–    Bien, bien… T’es un marin toi, tu piges vite. Vrai ! Un marin dans l’âme… T’es pas si con que ça, finalement. Attend, je vais te montrer un truc.

Il tire sur un fil de métal tendu au dessus du poste de pilotage et aussitôt le bruit puissant et grave d’une corne retentit. Neptune ne réagit pas.

–    Ah, je suis con, il entend rien ! Il a même pas sursauté.

Il actionne plusieurs fois l’avertisseur.
–    Vraiment bouché. Bouché de chez Bouché ! Hu !Hu !Hu !

Alertée par les appels de cornes, la fillette accourt. Elle s’était installée sur la plateforme de proue aménagée en terrasse, masquée par les cannisses de la pergola. Elle trébuche sur le négochin barrant l’étroit passage au niveau de la verrière.
–    Qu’est-ce qui se passe ? qu’est-ce qui se passe ? crie t-elle.
–    Rien, rien, on dit bonjour au bateau qui monte, répond Philibert en  entrouvrant la porte de la cabine.

Vers la rive Gauche, une péniche lourdement chargée salue à son tour. La fillette, amusée, saute sur place en agitant les bras.
–    Hoho ! Bonjour ! bonjour ! fait-elle.

Philibert sort de la cabine.
–    Ecoute princesse, arête ça tu veux ! Tu sais qu’on te cherche, t’as pas trop intérêt à te montrer !
–    Mais Monsieur De L’Orme, il sont trop loin pour bien me voir…
–    Tu parles s’ils sont loin ! Attend un peu, je vais te montrer s’il sont loin.

Il entre à nouveau dans la timonerie et saisit une paire de jumelles sur le tableau de bord.
–    Je vais te montrer, répète t-il pour lui-même

Puis s’adressant au pêcheur :
–    Bon toi, tu gardes la barre hein ? Tu bouges pas de là. S’il y a un problème, tu tires le fil de fer,  là.

Il mime plusieurs fois le geste d’actionner la corne sous le regard impassible du sourd- muet.
–    T’as compris ? T’as compris ? Oh et puis merde !

Il rejoint la fillette en brandissant les jumelles.
–    Je vais te montrer, moi !… Te montrer… Moi, je vais te montrer !
–    Oui, ben, montrez moi.
–    Non, c’est pas bien ici, pour voir… Y a la cabine qui gène… Pas ici, non pas ici… pas ici…

L’homme devient de plus en plus fébrile. Il enveloppe de son bras, les épaules de la gamine et l’entraîne vers le plat-bord longeant la cabine de pilotage.
–    Là, à bâbord c’est mieux là ! … On verra mieux, c’est mieux là, c’est mieux !

La fillette, décontenancée, se laisse guider. Puis le marinier se ressaisit, sa respiration se fait régulière. Il serre l’enfant entre la rambarde latérale du pont et son gros corps bedonnant. Il positionne les jumelles sur les yeux de la fillette si bien qu’elle se trouve en fermée par ses deux bras.
–    Regarde bien, ma douce enfant, tu vois le pilote du bateau là bas ?
–    Ben, c’est tout flou…
–    Ha, oui.  Règle la molette là…
–    La molette ?

La  fillette cherche en vain la molette en question. Le marinier lui saisit un doigt et le dirige vers la bague de réglage.
–    Oui, bon, ça va, réagit soudain la fillette. J’ai compris, lâchez-moi… Et puis vous m’étouffez !

Philibert desserre légèrement son étreinte tout en jetant un rapide regard vers la cabine de pilotage. De là ou ils se trouvent, ils ne peuvent être vus du conducteur.
–    Ha, ça y est ! C’est vrai, qu’est ce qu’on voit bien !

Philibert se penche doucement vers la nuque de l’enfant. Il murmure :
–    Et si tu les vois, ma toute douce, c’est qu’ils peuvent te voir aussi…
–    Peuh ! ils s’en foutent…
–    Va savoir, mon enfant, va savoir,…continue t-il en posant ses mains épaisses sur les épaules de la gamine. Philibert, il faut lui faire confiance… Philibert, il sait ce qui est bon pour toi…

Sournoisement, du bout des lèvres, il effleure d’un baiser le cou de la gamine.
–    Non, mais ça va pas ! fait-elle.

L’enfant tente de se dégager, mais les bras épais du marinier l’emprisonnent. Elle sent le souffle court de l’homme contre sa nuque.
–    Il faut être gentille avec Philibert… Très docile… Obéissante et ouche !

Le coup sur les orteils desserre l’étreinte. Une espadrille ne constitue qu’une protection dérisoire. Même contre les talons délicats des petites filles. La gamine se dégage vivement, mais le batelier la saisit par le col du tee-shirt avant qu’elle ne puisse s’enfuir.
Les jumelles, au bout de leur sangle, la libèrent définitivement. L’homme se tient le front à deux mains, le sang coule entre ses doigts.
–    Petite garce !… Saloperie !

La fillette laisse glisser son arme de ses doigts tremblant sur les lames rugueuse du pont, surprise

La fillette se précipite en direction de la porte de la timonerie.
–    Honhon ! Honhon ! crie t-elle.

Mais elle s’entrave et s’affale sur le pont.
Le marinier surgit. D’une main ensanglantée, il  saisit l’enfant par la cheville. Le sang coule de son arcade ouverte. Cela fait de longs filets qui se perdent dans la broussaille de sa barbe et s’égouttent au bout des poils en perles écarlates.
Pourtant, il relâche aussitôt sa prise. Neptune est là, les poings serrés. La fillette se blottit derrière sa haute stature en pleurant. Il l’écarte doucement et avance vers le marinier qui recule prudemment.
–    Hé, attends !… Ce n’est pas ce que tu crois… Tu sais les gamines, si tu les écoutes….

Puis, soudain, il fait volte-face et disparaît derrière l’angle de la cabine de pilotage. Neptune se précipite. Mais il ne passe pas l’encoignure. Il s’effondre, anéanti par la violence du choc sur son crâne. Les jumelles ont éclatés. Quelques vagues morceaux de métal pendent encore au bout de la lanière qui glisse entre les doigts sanglants de Philibert.
–    Et là, hein ? Tu vas faire quoi, là, hein ? Hu !Hu !Hu ! Fait-il en jaugeant du bout du pied l’inconscience du  sourd-muet.  

A l’autre bord, la fillette est incapable de mouvement, partagée par l’incompréhension et la peur.
       –    Et toi là, petite garce !… Tu perds rien pour attendre…Hu !Hu !Hu !… Ha ça non ! Tu perds rien… Attends un peu que j’en finisse avec lui. Hu !Hu !Hu !

Il attrape le pêcheur aux épaules ;
–    Attend un peu qu’on soit seul…Ouf, il est lourd ce con !

Il le hisse jusqu’au bastingage.
–    Que tous les deux… Eff ! Eff ! En amoureux…

Et le bascule par dessus bord.

                                                                  ****

Une petite Fiat noire est garée près de la route qui longe le fleuve. Carlos a une fesse posée sur le capot. Il règle la molette de ses jumelles pointées vers la péniche.
–    Hum!… No me gusta esto, Ernesto, no me gusta…

Le fleuve déboulait, effroyablement.

Work in progress 7

Il faut savoir arrêter une peinture! J’ai repris quelques détails, essayé d’animer un peu les feuillages en bas entre les troncs, quelques touches vives pour souligner des obliques. Mais pour tout dire, je bricolais en attendant que le disque se termine. Il faut se résoudre à se dire : « bon, ben je ne vois plus comment arranger la sauce, alors j’arrête. »

Je me rend compte qu’il y a un mois que j’ai commencé. Vraiment, je n’avance pas vite! Il m’aura fallu une douzaine d’heures. 12h/mois, on peut pas dire que le rythme soit soutenu… Mais bon, c’est fait. Le prochain sera plus facile.

 

Fini et recadré.

Work in progress 6

3h de travail hier, mais ça ne se voit pas trop. L’arbre de gauche n’a pas été facile à trouver . Il y a encore quelques espaces entre les principaux troncs qui fonctionnent pas très bien mais je crois que j’y suis presque. Peut être insister sur les branches diagonales  qui ne se voient pratiquement pas pour renforcer l’idée de profondeur… 

Où sont passés les effets de gomme?

Chapitre 16

Dès les peurs enfouies, les oiseleurs affûtent leurs regards et pointent au levant leur nez avide.

Neptune ouvre les yeux. C’est le bruit régulier d’un moteur et les vibrations du plancher qui le réveillent. La lumière inonde le salon atelier. Il a dormi à même le sol devant la porte de la petite cabine de proue, recroquevillé contre le battant comme un chien fidèle. Il entrouvre la porte, doucement. La fillette dort dans une étroite couchette. Sa respiration régulière soulève à peine la couverture qui la couvre jusqu’à la boule blonde de ses cheveux.
A travers le petit hublot, les arbres de la berge se déplacent lentement.
Le pêcheur referme la porte avec autant de précaution qu’il ne la ouverte. Il traverse la longue pièce encombrée que la pleine clarté du jour rend,à présent, ordinaire. Il gravit l’escalier de bois qui mène à la timonerie.
Le bateau est déjà loin des rives. La bas, en aval, se profile le vieux pont envahi de touristes. Dans la cabine de pilotage, Philibert De L’Orme est à la barre. Il adresse un semblant de salut militaire au pêcheur.
–    Hu!Hu!Hu ! Monsieur Neptune. Mon vieux rafiot a encore quelque chose dans le ventre et il faut lui faire faire un peu d’exercice de temps en temps.

Neptune reste sur le seuil, son regard hésitant entre le fleuve et le marinier.
–    Allons, allons, venez là, c’est beaucoup mieux pour le spectacle. Hu!Hu!Hu! Ah, oui, c’est vrai qu’il est sourd cet emplâtre.

D’un signe ostentatoire, il invite le sourd-muet à s’approcher.
–    Ça te dirait de prendre la barre ? Tu vas voir, c’est autre chose qu’un négochin… Là, on se sent autre chose… On est fort, on est puissant… Et le fleuve, il peut faire ce qu’il veut, on l’emmerde ! Hu!Hu!Hu !

De la cabine, le navire semble immense. Le pont principal s’étire au devant en une longue plate forme dominant le fleuve. Le négochin a été embarqué, il entrave le plat-bord de bâbord.
–    Tu vois, j’ai pas oublié ta barcasse. Hu!Hu!Hu! Ça aurait été dommage de la laisser au voisin. Mais ça pèse un âne mort ! On s’est donné du mal…

Puis il s’écarte du gouvernail et invite Neptune à prendre sa place.
–    Tiens, prend la barre là. Le monde entier te regarde Hu!Hu!Hu !

La péniche croise le pont médiéval. Les touristes leur adressent des signes de sympathie tout en photographiant le bateau. Philibert rend leurs saluts en agitant les bras.
–    Ho!Ho ! Salut, bande de nazes ! Hu!Hu!Hu !

Il déplie ensuite un strapontin et s’assoit de façon a observer l’apprenti pilote et la trajectoire du bateau.
–    Tu vois, c’est pas compliqué. Tu tiens bien le cap, c’est tout.

Neptune est concentré sur son nouveau rôle. Immobile, les mains crispées sur la grande roue en bois verni, le regard tendu vers l’avant, les yeux rayonnant de fierté, il sourit.
–    Ça te plaît hein ?… Bien sûr que ça te plaît. Hu!Hu!Hu ! Ici, c’est juste un peut embêtant parce qu’il y a des ponts et qu’on peut pas passer où on veut… Toute façon, on peut jamais faire ce qu’on veut… Y a les codes, il faut respecter. Il faut toujours connaître les codes. Il faut savoir lire les signaux… Tu sais lire Neptune ? Est-ce que tu sais lire, seulement ?

Il se lève, laissant claquer le strapontin contre la cloison, et saisit un journal posé sur le tableau de bord.
–    Ça serait bien que tu saches lire, Monsieur Neptune. Parce que tu m’expliquerais dans quel merdier vous m’avez embarqués…

Il ouvre le journal et brandi la page de une devant les yeux du pêcheur. Le ton de sa voix se fait grave.
–    C’est quoi cette histoire, Monsieur Neptune ?
–    Pas la peine, il sait pas lire.

La gamine se tient sur la dernière marche de l’escalier, enveloppée dans sa couverture.
–    Ah ! Voilà ma princesse… Elle a retrouvé son joli teint de pêche.
–    J’aimerais bien retrouver mes habits aussi.
–    Là, sur le pont arrière. Ils doivent être secs.
–    C’est vous qui m’avez déshabillé ?
–    Avec ton… Ton… Oncle. Pas question de te toucher. Chasse gardée.
–    Chasse gardée ? Qu’est-ce que ça veut dire Monsieur De L’Orme ?

L’expression du marinier se fait soudain menaçante.
–    Ne fait pas la maligne avec moi, gamine ! T’as intérêt à filer doux, parce que, là, je te sauve la mise ! Tu sais lire toi, non ?

Il tend le journal à la fillette.
–    Ta marraine, tu parles !… Fusillade rue des Teinturiers… Vous vous êtes fait remarquer, on oublie pas un couple comme vous ! Toi et ton oncle… Je sais pas ce que vous trafiquez, ce que vous avez trafiqué, mais on vous cherche. Pour ça, on vous cherche ! Un commissaire de Paris, même…

La feuille de journal tremble dans les mains de la fillette.
–    Madame Molénas … Souffle-t-elle.

Le marinier reprend le journal d’un geste brusque, le roule étroitement et le brandit agressivement.
–    T’en racontes, toi, des craques ! Ta marraine… Ton oncle ! Tu me prends vraiment pour une bille ! Que je gobe tes salades ! Mais t’as de la chance, vraiment de la chance.

Il se radoucit.
–    Philibert De L’Orme n’aime pas la police. Il la connaît trop bien. Hu!Hu!Hu ! Non…Il préfère les jolies petites filles qu’il sauve de la prison… Philibert, le sauveur de jeune fille en détresse !
–    Monsieur De L’Orme, je… Je sais pas…
–    Tu sais pas comment me remercier ? Hu!Hu!Hu ! Mais c’est tout simple :il faudra être bien gentille, bien obéissante. Hu!Hu!Hu ! Sinon, la prison !

Philibert joue du bout de ses gros doigts avec les cheveux de la fillette qui n’ose bouger. Puis, soudain, il bouscule Neptune, saisit la roue du gouvernail et la tourne énergiquement.
–    A tribord, bon sang ! Tu vois pas la balise rouge là ? C’est interdit, là ! On prend le pont à tribord !

Le bateau dévie de sa trajectoire et s’apprête à passer sous le tablier d’un large pont de béton.
Il y a un concert de klaxons sur au dessus. Les voitures freinent brutalement pour éviter une Panda noire qui vient de stopper net, perturbant dangereusement le trafic. Un homme en sort, il se penche sur le garde fou sans se soucier de l’exaspération des automobilistes. Son chapeau sombre dissimule mal un bandage enveloppant son oreille. Il montre du doigt la péniche qui passe en dessous.
–    Ernesto, crie t-il. La barca, allí. ¡ La barca del pescador!

Dès les peurs enfouies, les oiseleurs affûtent leurs regards et pointent au levant leur nez avide.

Work in progress 5

Petit à petit l’oiseau fait son nid, mais bon c’est loin d’être gagné, il faut s’accrocher au branches. hum!… 2h de travail ce weekend   et 2h cet après midi. j’ en suis au stade où je recommence de nombreuses fois pour trouver la bonne couleur et la bonne touche. Heureusement, ça s’efface sans problème et j’ai des centaines de nuances.

La partie gauche me pose quelques problèmes, la droite aussi d'ailleurs, quant au centre je préfère oublier...

Work in progress 4

Après une semaine d’interruption, je ne me rappelle plus où j’en étais, le fil est coupé… 2h30 de travail cet après midi, je ne sais toujours pas où ça va me mener mais ça ne semble pas très bien parti… Aïe aïe aïe

Et là qu'est-ce qu'on y voit?

Chapitre 15

Arrivé dans la roubine, son regard se perd dans les épineux dépassés.

–    J’ai froid, Honhon… J’ai trop froid…

Il y a peu d’eau dans le chenal. Trop peu pour entraîner les roues vermoulues, vestiges des anciennes fabriques du quartier, mais juste assez pour glacer les pieds nus de la fillette qui claque des dents.
Le cours d’eau s’écoule, en contre bas de la rue dans une sorte de canal étroit qu’un haut parapet maçonné isole de la chaussée. Plaqués contre ces pierres humides, la fillette et le pêcheur évoluent à l’abri des regards.
Neptune comprend que l’enfant est à bout de force. Il se charge de ce poids dérisoire. La gamine se laisse aller dans  ses bras puissants, cherchant la chaleur au creux de son épaule. Le pêcheur marche difficilement dans le lit du ruisseau encombré de divers détritus imperceptibles.
Bientôt la rue s’élargit et le chenal aussi. Au bout, juste après une dernière roue, un candélabre éclaire une sorte de petit quai relié à la chaussée par une volée de marches. Le cours d’eau s’engouffre ensuite dans un sombre tunnel passant sous les remparts de la vieille ville.
Neptune s’apprête à prendre pied sur  cette plate forme quand un homme apparaît en haut des marches. Il se serre aussitôt contre la paroi du canal. Il n’a pas été vu.
 L’homme descend sur le quai et s’accroupit au bord de l’eau. Le pêcheur pourrait entendre la respiration forte de l’homme; il est si proche.
L’homme a ôté son chapeau et ses lunettes noires. Il asperge sa figure ensanglantée de l’eau du ruisseau. S’il se tournait vers sa gauche, il verrait le pêcheur et l’enfant. Mais un autre individu le rejoint. Il s’agenouille à ses côtés, faisant un écran bienvenu au regard du blessé. Il sort un large mouchoir qu’il roule en boule pour tamponner délicatement le côté du visage de son compagnon.
–    ¡ Mi oreja! No entiendo nada más. ¡ Nada!
–    Deliciosas criaturas perfumadas
      quiero el beso de sus boquitas pintadas,
      frágiles muñecas
     del olvido
     y del placer,
     ríe su alegría
    como un cascabel.*

Neptune, lentement, s’éloigne des deux hommes. Le tunnel dans lequel disparaît le ruisseau, offrira une cachette sûre. Mais il doit se baisser et s’enfoncer dans l’eau jusqu’à la poitrine. Il maintient la fillette à la limite du liquide glacé. Elle grelotte entre ses bras tendus. Elle n’entend pas les sirènes des voitures de police qui s’approchent. Elle ne voit pas Carlos et Ernesto qui, soudain alertés, ont bondi hors du quai et s’effacent dans l’épaisseur du soir.
Le tunnel n’est pas très long. A quelques mètres à peine, la surface de l’eau s’éclaircit de reflets grisâtres. Le pêcheur se dirige vers cette lueur et aboutit dans une haute salle. Là, le ruisseau est maîtrisé dans un bassin assez large surplombé par une passerelle métallique. La lumière provient d’une porte basse ouverte sur l’extérieur.
Neptune se hisse hors de l’eau, s’adosse un instant contre les blocs de l’ancienne maçonnerie et jette un regard rapide au dehors.
Les remparts se prolongent sur sa gauche. De loin en loin, des réverbères éclairent des tours carrées . Il doit certainement se trouver dans l’une d’elles. Une large avenue dédouble l’enceinte médiévale. Entre les deux, s’étire un long parking encombré de véhicules.
Le pêcheur s’élance. Il court le long des remparts, zigzagant entre les carrosseries froides, cherchant la pénombre dans les recoins de la vieille muraille. Il s’arrête  à l’angle d’une tour. Il reprend son souffle un instant dans la sordide odeur d’urine qui suinte des pierres. Et puis, il s’élance à nouveau.
 Là bas, derrière les hauts platanes, survit encore la pâleur finissante du ciel. Le fleuve est juste après. Il le devine, le sent derrière le flux bruyant des autos du périphérique. Il traverse le boulevard dans un concert de klaxons.
Maintenant, le fleuve se révèle. Sur l’autre berge s’alignent les péniches des mariniers citadins. Sur celle-ci, la barge du bac navette est  à quai. Elle embarque ses derniers voyageurs.
Neptune rejoint le bateau juste avant le départ.  Il s’assoit sur une banquette de bois du pont arrière et  enveloppe la fillette de l’humidité chaude de son corps trempé.
–    Honhon… souffle-t-elle. Où on est ?… Où on va ?…

Mais déjà l’autre berge. Il est le premier à terre. Il reconnaît la petite route qui longe le fleuve. La péniche de Monsieur De L’Orme n’est plus très loin.

*Rubias de Nueva York   Carlos Gardel

 

Arrivé dans la roubine, son regard se perd dans les épineux dépassés.

Work in progress 3

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2 h de boulot… Debout devant le chevalet, j’ai les jambes lourdes, ça ira pour aujourd’hui.  Il faut laisser reposer les jambes et le regard. Quand je suis un peu perdu dans le tableau, j’en prend juste un petit bout et j’essaye de le pousser assez loin. Souvent, ça me donne les couleurs de l’ensemble et la façon de les poser. Après, je suis, bien sûr, obligé d’y revenir, mais ça me rassure d’en avoir fait un morceau, même si c’est un détail.

 

 

work in progress2

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Reprise de ma peinture au pastel devant LE MONDE ENTIER.  Une heure de travail… Je crois que la rupture à été trop longue et j’ai perdu le fil… Il faut que je laisse reposer…

 

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Chapitre 14

Les racines envahissent la terre. Elle s’y enfouissent alors, et y perdent la raison.

–    Hu!Hu!Hu ! Quelle histoire, ma tendre fillette ! Vous auriez pu vous noyer, tu sais… à dériver comme ça sur la rivière… Le négochin, il faut savoir le manœuvrer, c’est pas fait pour les touristes comme ton… Ton oncle. Hu!Hu!Hu!… Encore un peu de lait ?

Puis, tendant son index épais vers la lèvre de l’enfant, il poursuit :
–    Hu!Hu!Hu! Ça te fait des moustaches blanches, là.
La fillette esquive le doigt d’un rapide mouvement de tête.
–    Non merci, Monsieur De L’Orme.

Philibert retire vivement sa main. Il saisit une bouteille de pastis et se sert. Puis il présente la bouteille au pêcheur.
–    Et ton oncle ?… Lui aussi, il boit que du lait? Hu!Hu!Hu! C’est triste de pas partager son jaune à cette heure…
–    L’alcool, ça ne lui fait pas trop de bien, Monsieur… Et puis, on doit y aller maintenant.

La fillette a repoussé sa chaise. Le soleil du soir inonde la longue pièce d’une lumière rousse. Elle rejaillit sur les cuivres des cloisons et étire les ombres, donnant au lieu une atmosphère irréelle et inquiétante.
–    Ha !… Tu dois rentrer… Dit Philibert d’une voix cassée. Mais, mais comment?… Il faudrait téléphoner… Qu’on vienne te prendre…. Mais, moi, le téléphone….
–    Non, non. J’ai ma marraine ici, rue des Teinturiers.

Philibert se lève à son tour, il couvre de ses doigts épais la main que la gamine avait laissé traîner sur le rebord de la table.
–    Les Teinturiers ! Mais c’est à l’autre bout de la ville !… Tu, Vous pouvez rester, si tu veux… Vous verrez demain.

La fillette se dégage à nouveau, troublée. D’une bourrade du coude, elle demande au pêcheur de se lever. Il est surpris par l’agressivité du geste et aussi, parce que la photographie d’un cirque, sur la page du journal abandonné sur la table, retenait toute son attention.
–    Non merci, Monsieur De L’Orme, on doit y aller avant la nuit.

Neptune souhaiterait remercier son hôte, mais celui-ci ignore sa main tendue.
–    C’est que, pour aller en ville d’ici, insiste Philibert. C’est pas commode…

Poussant discrètement son compagnon, la fillette l’entraîne vers la sortie.
–    Au revoir, Monsieur De L’Orme.

Résigné, le marinier les accompagne jusqu’au pont de la péniche et les regarde franchir la passerelle. Il poursuit :
–    Vous pouvez pas traverser avec le négochin. C’est pas possible avec ça. Il y a un pont en continuant par là.

Il tend un bras vers l’aval du fleuve.
–    Mais le mieux, c’est de prendre le bac navette, juste avant. Il tourne encore à cette heure. C’est gratuit.
–    Ah, merci beaucoup, répond la fillette en esquissant un salut de la main. On va faire ça.
–    Et pour votre bateau ?
–    Heu… Gardez le nous, Monsieur De L’Orme, s’il vous plaît… On passera le chercher.
–    Ah bien, tu repasseras alors…

Neptune s’attarde un instant à saluer le marinier.
–    Allez viens Honhon ! Fait la gamine en le tirant par la manche.

                                                                    ***

–    Madame Molénas ? Oui, bien sur… Vous continuez, là, juste en face la roue. Au 34.

La commerçante a délaissé le présentoir chargé de robes indiennes qu’elle se proposait de ranger dans sa boutique. Elle indique une haute roue à aube tournant lentement dans le chenal longeant la rue des teinturiers.
–    Juste à côté de son ancienne mercerie, il y a la porte de chez elle. Mais elle ne doit pas être là, je ne l’ai pas vue aujourd’hui…
–    Merci bien Madame.

La commerçante s’affaire à nouveau à son rangement. Les roulettes du présentoir s’accrochent dans les interstices des pavés de la ancienne rue, mais la commerçante, habituée à ces déplacements mal commodes, s’intéresse davantage à l’étrange couple qu’elle vient de renseigner.
La fillette se hausse sur la pointe des pieds pour lire les inscriptions à demi effacées sur la plaque d’une antique sonnette.
–    Madame Molénas Ma… Mathilde, lit la fillette. Je sonne…

Elle allait appuyer sur la sonnette quand le pêcheur lui saisit brutalement le poignet.
–    Ben quoi, Honhon ?

Il indique l’intervalle entre la porte d’entrée et son montant. La porte est entrouverte. Il pousse doucement le battant et s’introduit silencieusement à l’intérieur.
L’entrée donne sur un sombre vestibule prolongé par un couloir humide. Un escalier de tomettes monte à l’étage. En haut de l’escalier, l’unique porte est ouverte. La lumière jaunâtre qui s’en échappe éclaire le palier. Il y a des bruits de pas et des éclats de voix.
Le muet maintient d’un bras ferme la fillette derrière lui. Elle se blottit contre son grand corps.
Soudain, une silhouette se découpe dans la lumière de la porte. C’est un homme. On distingue mal ses traits. Il est immobile, maintenant. Il observe les nouveaux venus. Puis, il crie en direction de l’appartement des mots incompréhensibles, et dévale l’escalier.
Le pêcheur empoigne la fillette. Il faut fuir à nouveau et vite. Mais une masse sombre condamne la sortie.
–    Carlos ! Fait la fillette.

Carlos s’écarte. Il ne se préoccupe pas des deux fuyards qui forcent le passage. Il sort son automatique et le pointe sur l’homme de l’escalier. Ernesto est à l’extérieur, plaqué contre le mur. Il arme son pistolet.
Neptune et la fillette courent sur la calade défoncée de la rue des Teinturiers. Ils fuient les coups de feu qui claquent et le cri de douleur de Carlos qui s’effondre au pied d’Ernesto.

 

Les racines envahissent la terre. Elle s’y enfouissent alors, et y perdent la raison.