Archives mensuelles : octobre 2011

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Chapitre 7

La petite musique des choses insignifiantes

–         Non, Honhon, Il vaut mieux que tu restes là.

Aidée par le pêcheur, la fillette a escaladé une petite plate forme de béton donnant sur la rivière. C’est une sorte de quai sans plus d’utilité que de servir de mauvais embarcadère ou d’aire de jeux aquatiques aux les enfants du voisinage. Un vieux pneu, au bout d’une corde liée à un imposant platane, témoigne de téméraires tentatives  de plongeons.

Le pêcheur grimpe à son tour sur la plate forme. Il sourit. Avec sa main, il mime un nez de clown sur le visage.

–         Non, on va pas voir les clowns ! c’est pas l’heure ! Non, Honhon, reste là.

Elle accentue des mains et des bras le geste négatif de sa tête. Le sourire du muet disparaît aussitôt.

Elle se dirige vers une volée de marches enjambant le talus de la berge. Au-delà des arbres, on distingue le faîte d’un chapiteau de cirque. Elle lance un dernier regard à son compagnon demeuré sur place, immobile et perplexe. Alors, elle court vers lui, le tire par la manche pour le mettre à sa hauteur et lui donne un rapide baiser d’enfant.

–         T’en fais pas, je reviens ! fait-elle en riant.

De l’autre côté du talus s’étend un terrain vaguement herbeux. La ville est proche, signalée par le profil de petits immeubles et le bruit d’une circulation régulière. Un panneau annonce la construction imminente d’un lotissement résidentiel mais, pour l’heure, la parcelle suffit à l’installation d’un petit cirque avec chapiteau, véhicules et quelques animaux.

–         Hé, bonjour Modeste… Et toi, Ponpon… Ho, ça va vous deux ?

–         Bèè ! répondent les chèvres

–         Non, je viens incognito, hi !hi ! Chut… Ils sont où, les autres ?

Tout en cajolant les animaux, la fillette observe les deux hommes penchés sur le capot béant du pick–up garé non loin de là.

–         Toujours à bricoler… Toujours quelque chose qui casse… C’est pas plus mal comme ça.

Surveillant les deux hommes, elle s’approche d’une vielle caravane. Elle entrouvre lentement la porte et se glisse sans bruit, à l’intérieur.

–         Je le savais, elle dort…. Elle dort encore ou elle dort déjà ?

On devine la tignasse grise d’une dormeuse allongée sur une étroite couchette. Un bras pend hors d’une masse de drap jusqu’à une bouteille d’alcool vidée.

–         Hum… Elle dort déjà… Tant mieux !

A pas mesurés, elle se dirige vers une seconde banquette, à l’autre bout de l’habitacle. Il y a des photographies collées sur la cloison, au dessus des coussins. Elle en décolle une, la regarde un instant.  C’est l’image d’un homme aux cheveux grisonnants, habillé d’un costume strict dont la cravate mal ajustée rend la tenue moins sévère. Il pointe le doigt vers l’objectif tout en souriant à un enfant assis sur le même banc que lui. On reconnaît la fillette.

Elle pose l’image sur la banquette pour se saisir d’un sac en plastique traînant sur une tablette. Elle vide son contenu. Elle en sort deux bouteilles mais conserve le paquet de biscuit au chocolat. Elle ouvre le tiroir sous la banquette. Il grince. Elle jette un oeil inquiet à la dormeuse. Rassurée, elle bourre le sac de vêtements. Le sac est vite plein mais la fillette fouille toujours dans le tiroir, les habits s’entassent à ses genoux jusqu’à ce qu’elle déniche une paire de tong. Puis elle passe une main sous le matelas de la banquette. Elle en retire un carnet avec un crayon miniature fixé sur la tranche. Elle l’entrouvre pour y glisser la photo et range le tout dans le sac.

Elle revient vers la dormeuse. Une besace en tissu aux couleurs passées gît sur le sol au niveau de la chevelure. Tout en surveillant la femme, elle en extrait un porte monnaie qu’elle ouvre délicatement. Elle s’empare de quelques billets.

Soudain une main crochue se referme sur son poignet. Des pièces de monnaies s’éparpillent au sol.

–         Voleuse ! je te tiens, petite voleuse !

La dormeuse, relevée sur un coude, fixe d’un œil vitreux la fillette.

–         Voleuse ! hurle la femme.

D’un geste vif, la gamine se débarrasse de l’emprise mal assurée de l’ivrogne. Elle se précipite vers la porte qui s’ouvre d’elle-même. Trotsky reçoit l’élan de la fillette en pleine poitrine, il tombe à la renverse. L’enfant lui roule dessus. Les tongs s’échappent du sac. La gamine se relève aussitôt, ramasse les claquettes, serre son sac contre son corps et cours vers la rivière.

–         Voleuse ! Trotsky, chope-la qu’elle m’a volée !

La femme se cramponne à l’embrasure de la porte, elle invective Trotsky qui  peine à relever sa longue carcasse.

–         Bah !… Tu picolerrras moins… Et puis la gamine, c’est pas nos oignons. Nous, on est des arrrtistes, nous, juste des arrrtistes !

–         Tu parles, tu verras quand ils sauront les deux autres. Tu verras la gueule d’artiste qu’ils vont te faire, que tu l’as pas chopée !

Trotsky s’avance vers la femme. Il est si grand qu’ils ont le visage à la même hauteur. Il l’empoigne par les cheveux pour mieux fixer son regard dans les yeux de l’ivrogne.

–         Tu verrras ta gueule avant, si t’en causes.

–         Et le pognon ? Qui c’est qui va nous le donner le pognon de la gamine, si elle est plus au cirque, hé ?

–         Rhaaa ! Fait Trotsky en propulsant brutalement la femme en arrière. Elle s’effondre à grand fracas d’objets bousculés.

–         T’en fait pas pour tes bouteilles, ils la retrouveront. Ils la ramènent toujours… Toujours.

La fillette dévale les marches qui mènent au quai. Elle crie :

–         Vite, Honhon ! on y va !

Le pêcheur est assis sur le rebord du quai, les jambes pendantes au dessus de la barque. Il joue avec une libellule. Elle est posée sur son index et doucement, il souffle sur le bleu pétrole de ses ailes qui vibrent au contact de l’air chaud.

–         Honhon ! Purée, mais il est vraiment sourdingue !

Elle le secoue par les épaules. L’insecte s’envole. Elle fait comprendre d’un signe qu’il faut partir au plus vite.

Le muet saute dans la barque, empoigne la fillette par la taille, la dépose à bord et d’un énergique coup de perche éloigne le bateau du quai. Ils sont rapidement emportés par la rivière.

Le vent naissant balance le vieux pneu  pendu au majestueux platane marqué, à la base du  tronc, d’une sinistre croix bleue.

 

____

Le soir tombe sur l’Américano Circus…. Les deux chèvres tirent sur leur corde. Elles n’aiment pas l’odeur d’huile chaude  dégagée par le moteur poussif de la berline noire qui vient de se garer non loin de leur pieu d’attache.

–         Trotsky ! Appelle Carlos, sortant du véhicule. Trotsky !

L’homme qui travaillait encore au moteur du pick-up, ferme le capot dans un bruit mat de ferraille pesante.

–         Ahmed, Il est où, Trotsky ?

Ahmed s’appuie sur le capot, envahit d’une profonde lassitude et indique du pouce la direction du chapiteau. Là bas, Trotsky discute avec un visiteur. On distingue mal le nouveau venu car  la haute silhouette de l’homme de cirque le dissimule presque totalement.

–         Trotsky ! Hurle Carlos

Trotsky termine sa conversation d’un vague salut de la main et rejoint les deux hommes.

–         C’est qui ? S’inquiète Carlos. Il lève légèrement son feutre noir pour mieux voir le visiteur par-dessus ses lunettes, mais le soleil couchant rend toute observation imprécise.

–         C’est rrrien, c’est pour le spectacle, Je disais qu’on était en rrrepos à cause du pick-up.

–         Ha ! J’aimé pas ça. Journalisté ? Mounicipal ?

–         Non, non, juste spectateurrr.

–         J’aimé pas ça, Trotsky… Pas d’entourloupé, hé ?

–         Tu sais Carlos, nous on est…

Carlos a saisi Trotsky à l’épaule. Sa main le tient fermement.

–         Ouné photo, ouné photo dé la gaminé. Trouvé ouné photo et pouis la carte dou païs. Cette puta dé rivière, elle part dé tous les côtés. Fouillé ses affairés, trouvé la photo. Et pouis tou démandé. Cé soir, démain, à tout lé mondé, tou démandé….

Il relâche la pression sur l’épaule, puis abaisse, de deux doigts, ses lunettes au dessous de son regard d’acier.

–         Il faut faire vité, mainténant, Trotsky….  Partout, tou démandé … Partout !

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Chapitre 6

Comment croire que ces matins toujours plus clairs

soient inexorablement encore plus pesants.

La rivière exhale une légère brume, juste au raz des courants. La journée sera chaude, encore. La fillette jette des regards impatients au dessus des vapeurs. Elles masquent le lointain de la rivière.

–         C’est lui !

Là bas, une haute silhouette pousse une barque à coups de perche réguliers, tout près de la berge, à l’abri de la force de l’eau. Le pêcheur connaît bien la rivière. Ce n’est pas qu’une masse liquide. Il y a les nœuds et les remous, les courants nerveux qui emportent et les chemins tranquilles qui taquinent les terres, se laissant remonter sans effort.

Elle aimerait crier, mais se contente d’agiter les bras. C’est une fille prudente. Elle escalade une enfilade de rocs qui s’enfonce dans la rivière. Elle saute et gesticule, comment fait-il pour ne pas la voir ?

Maintenant il la voit. Il sourit et fait un large salut de la main. Pourtant, il ne change pas la trajectoire, rythmant la progression au bruit régulier de sa perche plongeant dans l’eau.

La gamine est au bout du bout de l’île, sur le dernier rocher accessible, comme un phare articulé.

–         Hon ! Fait le pêcheur entre deux coups de rein,  accentuant son salut des bras et des épaules

–         Heureusement qu’il est muet ! bougonne la fillette. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi, il ne vient pas ?

Elle saute sur place, gigote de tout son corps, mais le bateau ne dévie pas.

–         Il ne faut pas qu’il me dépasse ! Ils vont le voir s’il me dépasse, ils vont le voir sinon… Bon j’y vais…

Elle descend du rocher avec précaution et avance dans l’eau en direction de la barque. La rivière s’empare de sa taille. Là bas, le pêcheur a stoppé son bateau.

–         Hon ! fait il en secouant la tête négativement.

Soudain, elle disparaît dans l’écume. Un tourbillon l’emporte. Elle se débat, lutte contre la force de l’eau, s’enfonce à nouveau puis, se laisse porter.

Le muet fait pivoter la barque, il l’amène dans le flux du courant

La fille ne craint pas la rivière. Elle  sait qu’elle ne fait pas le poids, alors elle se contente  de maintenir la tête hors de l’eau, d’éviter les rocs et de respirer.

La barque la rattrape rapidement. La  main puissante du pêcheur l’empoigne par le col et la hisse à bord. La baignade n’a pas durée bien longtemps mais l’eau a glacé l’enfant jusqu’aux os. La gamine tente  un sourire malicieux entre les claquements de dent.

–         Hon ! Fait le pêcheur furieux. Il exagère sa posture et l’expression de son visage comme pour un film muet.

–         C’est … C’est, articule la fillette. C’est pas gentil de me laisser tou … Toute s…seule.

–         Hon… Répond le muet, retrouvant progressivement son calme.

Le bateau dérive. Le pêcheur amortit de sa perche le choc contre une grosse souche. Il manœuvre l’embarcation pour la ramener à contre- courant et s’apprête à donner une impulsion  en direction de l’île.

–         Non ! Il ne faut pas ! La fillette accompagne sa phrase de gestes explicites des bras et de la tête.

Le pêcheur immobilise le bateau contre la souche. Il interroge la gamine des yeux et des sourcils.

La fillette se familiarise très vite aux rudiments du langage muet.

–         Ils sont là bas ! (elle pointe un doigt vers l’île). Carlos et Ernesto (elle imite des lunettes avec le pouce et l’index  devant les yeux, puis se coiffe la tête des deux mains).

Le muet comprend. A son tour, il désigne l’île avec deux doigts tendus en forme de pistolet.

–         Oui, ils me cherchent, ils me veulent… Ils te tueront, tu sais…

Le pêcheur se perd un instant dans la contemplation de son île. Puis, il laisse glisser le bateau dans le sens de l’eau. L’île disparaît lentement, effacée par un méandre de la rivière. L’enfant grelotte et ses claquements de dents deviennent insupportables. Le bateau dérive encore quelques mètres, jusqu’à ce que le fond de la rivière soit à la portée de la longue gaffe. Alors, le pêcheur donne une brutale poussée et dégage la barque de la rive ombragée. En face, une longue plage éclatante de soleil permettra à la fillette de se sécher.

 

____

La gamine étend son tee-shirt trempé sur les galets déjà brûlants. Elle cligne des yeux, ne pouvant fixer le soleil qui s’empare de la blondeur de ses cheveux. Elle serre son jeune corps pâle dans  ses petits bras halés.

–         Hum… C’est bon, le soleil. Mais qu’est-ce que tu fais, Honhon ?

Tout en jetant des regards amusés à la fillette, le pêcheur dévisse le couvercle d’un bidon en matière plastique qui se trouvait dans la barque. Puis, fièrement, avec un grand sourire, il en sort une bouteille de lait et un sac rempli de croissants.

–         Ha, ben ça ! Tu as été me chercher le déjeuner ! Alors, c’est pour ça que tu m’as laissée.

La gamine s’empare des provisions et s’empiffre d’un énorme croissant.

–         Ch’avais drôlement faim ! Fait-elle, la bouche pleine.

Le muet a saisi une branche morte. Il dessine sur une petite bande de sable le contour d’un poisson, puis trois ronds entourant le signe €, et enfin la forme d’un croissant.

–         Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu dessines sur le sable, c’est malin…Tu as vendu tes poissons pour mon déjeuner…

La fillette prend le bâton des mains du pêcheur.

–         Bon, à mon tour. Puisque t’es sourd comme un pot, je vais faire pareil.

Elle écrit : «  UN CIRQUE ? »

–         Est-ce que tu as vu un cirque en ville, Honhon ?

Le muet regarde tristement la jeune fille en écartant les mains d’impuissance.

–         Ho, je suis bête. Tu sais pas lire, bien sûr… Attend, je vais faire comme toi.

D’un revers de main, elle efface les inscriptions pour dessiner une sorte de chapiteau.

–         Hum ! C’est pas facile… ça, ça te parlera plus…

A côté du chapiteau, elle trace le visage rudimentaire d’un clown avec son chapeau pointu et son gros nez rond.

–    Je suis très douée au pictionary dit-elle en accompagnant son dessin d’une mimique clownesque.

Le visage du muet s’éclaire. Il comprend. Il opine de la tête en désignant du bras la rive d’en face.

–         Hon ! fait-il  joyeusement en imitant de son poing un gros nez sur son visage.

La fillette essuie du dos de la main une goutte du lait avalé trop vite. Ensuite, son regard se fait sévère, on lui donnerait dix ans de plus. C’est une adulte.

–         On a pas où aller sur ta rivière, Honhon. On peut plus remonter à ta maison… On a plus rien… Mais, puisqu’ils sont chez toi, on va aller chez eux. On va faire un tour au cirque, Honhon !

Elle pointe le bâton sur le chapiteau dessiné, et, tendant un reste de croissant vers le pêcheur, elle fait :

– T’en veux un bout ?

La solitude du trappeur d’idées

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L’émergence de l’idée, je parle pas de l’étincelle d’origine, du fait que, soudain, on a quelque chose qui s’éclaire dans notre cortex, (je laisse cette préoccupation aux métaphysiciens ou aux psychanalystes)non, je parle de sa mise en forme. Comment à partir d’un minime point de départ, elle se construit. Cette genèse m’intrigue.

C’est  peut-être pour cela que je garde tous mes brouillons et dessins ratés. Dans l’espoir d’y déceler une méthode, mais…

bref!

Comment ai-je pu oublier la forme que je m’étais promis de donner à ce récit?
Certes, je voulais partir dans cette histoire en faisant table rase de ce que j’avais pu imaginer avant. La voir se dérouler comme un film. En être un spectateur privilégié. Ah! que n’ai-je feuilleté mes notes! Je m’en tape la tête contre les murs, ils portent la marque sanglante de ma contrition; ça va me faire pas mal de boulot pour nettoyer.
Je me suis laissé embarqué par le jeu de l’écriture mais je ne suis qu’un piètre écrivain. Les mots me fuient, la syntaxe m’abandonne, sans parler de l’orthographe qui ne m’a jamais aimé. Que de temps perdu à produire une phrase correcte, alors que l’histoire,( chose incroyable!) est là, docile qui se laisse approcher comme si elle m’attendait depuis longtemps.( jusqu’à quand?)
Ainsi, voilà une autre approche du début de l’histoire que je trouve pas mal du tout. J’aurais pu commencer par là.

LE VASTE MONDE.

Chapitre 1

Une rivière.

La rive.

Une libellule se balance sur une longue tige.

Une voix : celui-là est marqué là. Encore un !

Une autre voix : Toutes façons, ils y passeront tous alors…

Un bruit : Brrr….Clac ! Brrr…Clac !

L’autre voix : Oh pauvre con ! Il est réglé comme la justice, cet engin !

Le bruit : Brrr…Clac ! Brrr…Clac ! Brrr. .. Vrooooo !

De la libellule sur le roseau, le regard s’est élevé progressivement au-dessus des buissons de la berge. A quelques mètres de la rivière, nous voyons deux hommes en tenue de travail. L’un tient une tronçonneuse, l’autre considère une marque peinte sur le tronc d’un gigantesque platane. Plus loin, une camionnette ou l’on peut lire : « Services municipaux »

Le bruit : Vroooooooooo !

L’espace s’emplit de vacarme et de vibrations. La libellule s’envole et s’éloigne en jouant avec la surface de l’eau de la rivière. L’ombre d’un poisson au fond.

Le poisson s’élance.

Une fourchette stoppe son élan.

Transpercé par le métal, le poisson se débat furieusement. La libellule fait un écart et vient se poser sur l’épaule du pêcheur. Le pêcheur ramène son harpon. C’est un harpon bricolé avec une fourchette fixée au bout d’un long bâton. Le pêcheur tue le poisson en lui cassant la nuque et le jette au fond de sa barque.

Une voix de fille : tu es arrivé juste à temps Monsieur. La demoiselle l’a échappé belle…

Le pêcheur est de dos, il n’a pas vu la jeune fille. Il ne réagit pas, il inspecte son harpon tout en assurant le maintien de la barque à l’aide d’une longue perche.

La fille : je peux venir Monsieur ? Je peux monter dans ton bateau ?

Elle pénètre dans la rivière. Elle a tout de suite de l’eau a mi-mollet. Le courant rend son déplacement difficile.

La fille : brrr … C’est froid Monsieur !

Le bateau n’est pas loin de la berge. Les vaguelettes produites par le déplacement hésitant de la fille claquent sur la coque de la barque. Le pêcheur se retourne.

La fille monte sur le bateau qui tangue et prend l’eau. Le pêcheur agit sur ses jambes pour maintenir l’équilibre de l’embarcation qui dérive. Il manœuvre la perche pour stabiliser la barque.

Le pêcheur ( mécontent ) : Hon ! Hon ! Hon !

Le pêcheur regarde la fille accroupie au bout de la barque. Elle sourit. Sa colère tombe. Il est séduit par le sourire de l’enfant.

La fille : Voilà …

Un long silence… Soudain :

Une voix ( venant par delà les arbustes de la berge): Ca y est tou as fini ?

La fille ( au pêcheur) : Monsieur, tu me fais faire un tour ?

Le pêcheur ne réagit pas.

La voix : Yé crois que tu té moques de nous …Allez, revient !

La fille ( au pêcheur, inquiète ) : Vite, Monsieur, partons, partons,  il faut partir!

Le pêcheur ( il fait des signes avec ses doigts et d’étranges grimaces) : Hon…Hon !

La fille : Tu es étranger, Monsieur ? Tu ne comprends pas ?

Un homme arrive sur la berge. Il a une forte carrure, il est habillé de noir. Des lunettes noires et un feutre noir masquent son visage.

L’homme : Ma qu’est-ce qué tou fabriqué là ?… Revient niña, revient !

La fille  ( au pêcheur qui tourne le dos à l’homme) : Por favor, Monsieur, Vamos, vamos !

L’homme : Hé, toi là ! Ramène-moi la pétité !

La fille ( ignorant l’homme en noir ) : Tu n’entends rien, hein… Tu es sourd.

L’ homme ( irrité) : Tou veux ouné formula dé politessé ?

Il sort un pistolet de sa veste.

La fille ( ignorant toujours l’homme en noir ) : Tu ne parles pas…Tu es sourd et muet.

Le pêcheur sourit à la fille.

La fille ( à l’homme en noir qui brandit son pistolet ) : No, señor Andro, non !

Andro tire un coup de feu en l’air. La libellule envole.

Le pêcheur : ( il sursaute ) : Hon !

Il se retourne et voit l’homme en noir.

Andro ( avec un sourire mauvais ) : Ha, tou comprends mainténant, hé ?

Il tient négligemment son pistolet d’une main et tend l’autre pour attraper la fille. Le pêcheur hésite puis rapproche l’embarcation de la rive. Brusquement, il sort sa perche de l’eau et d’un coup précis, fait sauter le pistolet de la main de l’homme en noir. Puis, il plonge à nouveau la perche dans le courant et éloigne la barque d’un coup de rein.

Andro a avancé d’un pas. Il a de l’eau jusqu’au genoux. Il menace de son poing.

Andro : Hijo de puta !

Une autre voix se fait entendre derrière Andro.

La voix : L’éphémère beauté des vapeurs bourdonnantes épuise la douleur de l’amante délaissée…

Un nouvel homme en noir apparaît sur la berge. A ses oreilles pendent les écouteurs d’un baladeur. Il pointe un revolver en direction de l’embarcation qui s’éloigne rapidement.

Andro : No, Mauricio, la Chica, la fille !

Sur la barque, la fille enlace le corps du pêcheur qui n’ose bouger. Le courant emporte le bateau.

La fille :Tu vois, moi aussi je sais te protéger, Monsieur… On va bien se comprendre tous les deux…

Maintenant, il n’y a plus que la rivière, le bruit de l’eau sur les galets et les araignées d’eau qui s’amusent entre les roseaux.

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Chapitre 5          

Comprendre le sommeil des taupes et dormir enfoui.

La jeune fille ouvre un œil, agacée par un trait de lumière sur son visage. Elle s’extirpe du vieux duvet, se redresse sur les fesses en se frottant les yeux, puis s’étire bruyamment en inspectant la chambre.  Ce n’est rien d’autre que l’unique pièce de la bicoque. Son lit n’est qu’un vulgaire assemblage de méchantes palettes de bois couvert d’un vieux matelas nu.

–         Honhon ! fait-elle en repoussant le duvet. Honhon ?

La porte est entrouverte ; c’est pour cela que le soleil pénètre si fort. Elle grince lorsque la fillette l’ouvre en grand.

–         Honhon ? Appelle t-elle en cherchant son compagnon entre ses paupières. Sa main en visière, protège son regard de la clarté trop vive du matin. Une mèche blonde  est restée fixée à une commissure de ses lèvres.

Une énorme bobine de chantier fait office de table. Il y a, dessus, un bol ébréché et une cuillère à soupe disposés avec soin. Le bol est vide.

–         Honhon ! Tu es où ? Honhon !

Elle contourne la masure et se dirige vers la pointe de l’île.

–         Honhon !

La petite plage est déserte, le bateau n’est plus là.

–         Mais il est parti ! Il m’a laissé seule… Toute seule.

Elle retourne à la cahute. Furieuse, elle donne un coupe de pied à une carcasse métallique rouillée qui devait être, il y a bien longtemps, une chaise confortable.

–         Toute seule, renifle t-elle.  Sale type… Sale type !  Elle sent une larme déborder de ces cils.

–         Et puis j’ai faim continue t-elle en considérant le bol vide.

Il y a un bruit sur l’eau. Maintenant, elle le perçoit  clairement. Ce n’est pas la musique continue de la rivière. Il y a du rythme, c’est un bruit de rame.

–         Honhon ! Hou, Honhon ! Crie t-elle en en se précipitant vers la plage.

Puis elle hésite.

–         Mais il a pas de rames, Honhon… Il fait avec son long bâton…

Elle ne dépasse pas le dernier arbre. Le large tronc  la dissimule . Sur les galets, deux hommes en noirs tirent un canoë. L’un deux chantonne :

–         Sos el tirador plateao

      que mi a chiripá sujeta,

sos ejes de mi carreta,*

–         Callaté, cabron ! Silencio ! siffle l’autre entre les dents.

Carlos a sorti un pistolet, il avance lentement sur la petite plage. Malgré ses précautions, ses pas crissent sur la pierraille.

La fillette voudrait disparaître dans les racines de l’arbre.

–         Eux ! Comment qu’ils font pour me trouver si vite ? Chaque fois… Comment ? Non je ne veux pas ! J’en peux plus de ces abrutis du cirque !

Lentement, allégeant de ses mains son poids de plume, elle se glisse dans les taillis. A peine plus bruyante qu’un souffle.

–         Je ne veux plus qu’ils me rattrapent…

Elle s’éloigne de la maison du Pêcheur. Mais elle doit reprendre sa respiration, contrôler ses émotions et son cœur d’enfant emballé. Un arbre déraciné lui procure une cachette  suffisante. Elle s’y blottit. Elle comprend que cet abri doit être provisoire car les deux hommes sont encore si proches qu’elle entend parfaitement leurs voix.

–         Maldita ! jure Carlos, sortant du cabanon. No hay nadie!

Puis Carlos désigne les vêtements pendus aux arbustes non loin de la maisonnette.  Un jean de petite taille, deux chaussettes minuscules et une paire de basket finissent de sécher dans la tiédeur matinale. Carlos fait un signe à son complice et les deux hommes rejoignent la plage.

–         Ils s’en vont… Hi ! Hi ! Hi ! Ils s’en vont

On entend des bruits de raclement sur les galets et la respiration forte sous l’effort. La fillette risque sa tête hors de l’abri des branchages, puis l’abaisse aussitôt. Les deux malfrats sont de retour.

–         Esperamos Fait Carlos

–         Yo siento alzar más y más

la llama en mi idolatría;

pues mi mayor alegría

y mi sueñito mejor

es jinetear en tu amor*. Bougonne Ernesto

Adossée à l’arbre mort, elle sent l’humidité lui saisir les cuisses. Elle les couvre de ses bras menus.

–         Ils ont planqué le bateau… Si Honhon revient… Quand Honhon reviendra, ils…Oh, il faut pas, il faut pas…

Lentement, elle abandonne son refuge. Les ronces qui lacèrent sa peau fragile ne lui tirent aucune plainte. C’est une fille décidée. Quand la distance devient plus importante, elle court, aussi vite qu’elle peut dans l’enchevêtrement végétal. Mais les îles de rivière ne sont que des bandes de terre très  limitée. Elle arrive assez tôt au bout. Là, l’île se désagrège en une frange de galets et de rocs. Cela fait de longs remous crémeux et bruyants.

Alors, la fillette  s’adosse à l’un des rochers et regarde le courant filer en aval.

– Honhon, si tu reviens, je t’en prie, remonte la rivière !… Reviens par là….

* El tirador plateado Carlos Gardel

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Chapitre 4

Le danger suit le cours de la bourse.

La bourse se moque du monde,

Et le fleuve suit sont cours.

–         Eres lejos, burro! Demaciado lejos !

Au coup de feu, le pêcheur à donné un violent coup de rein pour amener la barque à l’abri des frondaisons. Ernesto a relevé son arme. La fillette s’est accrochée au pêcheur. Elle lui entoure la taille de ses bras menus et jette au tireur un regard de défis. Puis, le bateau disparait, avalé par la végétation.

–         Madre de Dios ! Vamos Ernesto, pronto !

Les deux hommes courent jusqu’à l’extrémité du pont où le talus permet de rejoindre la rivière. Là, un étroit passage broussailleux descend aux rives. Ils s’y précipitent, ignorant les ronces agressives.

Ils sont maintenant sur la berge, elle est déserte. Carlos regarde en amont. Les feuillages épais des futaies masquent la perspective du cours d’eau.

–         A delante !

Avec la détermination des  bêtes de traque, ils remontent la berge.

–          Que coño es eso? Mugit Carlos

Un bras de rivière s’est égaré du cours principal. Carlos considère ce paisible ruisseau qu’une voûte de verdure dissimulait. Des confettis de ciel encore bleu jouent avec le feuillage dense des ramures. Ils pourraient le franchir en deux enjambées car il n’est guerre plus profond que de quelques dizaines de centimètres. Mais à quoi bon… Le bateau a aisément glissé sur la surface et allez savoir où se perd ce courant.

Carlos sent un froid  dur  lui enserrer les pieds. Sa course s’est arrêtée dans l’eau.

–         Joder !

–         Caminito que el tiempo ha borrado

          Que juntos un día nos viste pasar

          He venido por última vez

          He venido a contarte mi mal*. Semble répondre Ernesto

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La berline noire stoppe brutalement. Deux chèvres naines effrayées par cette arrivée bruyante protestent en bêlements stridents et tirent sur leur corde.

Le chapiteau du cirque est déjà dressé. On reconnaît le camion et le camping-car aperçus plus tôt sur la grande route. D’autres véhicules et remorques complètent le campement. C’est un petit cirque comme on en rencontre encore sillonnant les campagnes isolées.

Il y a aussi un pick-up couronné d’une longue pancarte vantant les performances extraordinaires du spectacle. A l’arrière, deux hommes s’efforcent de dételer une caravane hors d’age.

–         Alors, vous vous êtes perrdus ? fit l’un en roulant étrangement les R. C’est un homme grand et maigre, au visage lacéré par une vie d’errance.

Carlos sort péniblement de la voiture. Son soulier trempé fait un bruit de succion lorsqu’il met le pied au sol.

–         Ben, vous êtes prroprre ! ironise l’homme

–         Vete por culo, Trotsky!

–         Elle vous a filé hé? Cette gamine est une sauvage. Ça se garrde pas en laisse, ça, Carrlos.

Carlos avance en direction des deux hommes. Il s’assoit sur le pare-choc du pick-up puis entreprend de se déchausser. Ses gestes sont lents et mesurés.

–         Trotsky, écouté-moi Trotsky.

–         Ho, nous la gamine, c’est pas nos oignons, Carrlos .

–         Ecouté-moi Trotsky

Carlos s’interrompt un instant pour essorer consciencieusement une chaussette. Cette activité semble le préoccuper davantage que la conversation.

–         Oun grand typé, oun pêcheur sour ouné barqué platé. Oun po bissaré. Cé soir, à la caissé, tou démandé.

–         Carlos, nous c’est…

Carlos soulève ses lunettes noires. Il plante des yeux d’un bleu glacé dans le regard de Trotsky.

–         Tou démandé ! Souffle t-il.

 

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En aval, la rivière se fend pour dessiner une île. Une courte plage de galet s’est glissée dans l’effondrement d’une palissade de pieux destinée à prévenir les rives de l’érosion. Le pêcheur pousse sa barque sur les graviers. La fillette a déjà gravi la berge. Elle admire une méchante bicoque bâtie de parpaings nus et coiffée d’une chape de béton noircie. De hautes futaies préservent la cabane de la violence des orages et de l’ardeur solaire. Des taillis rampants accrochés aux murs la dissimulent en partie.

–         Ouah ! C’est ici que tu vis ! C’est super !

*Carlos Gardel « Caminito »

Petits formats

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Les petits formats me cause bien du soucis.

Je voudrais développer un travail sur petit format en préparation pour mes peintures. Mes peintures prennent pour certaines beaucoup de temps car  j’ai beaucoup de mal à trouver la bonne couleur du premier coup. Souvent c’est aussi la composition  qui n’est pas bonne et la couleur en soi ne suffit pas toujours à rattraper l’ensemble. Donc, le prix de vente  de mes peintures est pour la plupart sans aucune mesure avec le travail fourni. J’ai remarqué que certaines études qui étaient destinées à rester dans les cartons intéressaient les gens, aussi j’aimerais multiplier ce type de travail préparatoire. Mais une bonne étude, un croquis digne d’intérêt, c’est pas facile! Je crois hélas qu’il faut mettre mes réussites sur le compte du hasard.

Voici 3 études, celle des pins est une préparation couleur d’une peinture qui à été vendue, le crayon c’est une esquisse pour choper un équilibre des masses pour une peinture sur les oliviers du pont  » pas la Mémette mais l’autre plus loin vers Velleron », celle aux crayons de couleur est une autre version, pour les 2 dernières : format carte postale, celle des pins est 2 fois plus grande