Archives mensuelles : avril 2016

Et voilà…

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Voilà, l’histoire est finie. Je l’ai quitté avec soulagement mais aussi avec regrets. Un peu comme un sevrage. Une désintox…

La capture ne s’est pas faite suivant les principes établis car j’avais pris beaucoup d’avance dans les chapitres avant de la publier. Mais d’une certaine façon, le fait d’indiquer la date de la première publication m’obligeait à la travailler. Le piège était tendu.

Au départ, je n’avais que l’idée d’une course se déroulant sur les remparts d’Avignon, le souvenir du film Rollerball et puis vaguement, un final très romantique, faisant l’éloge de la pureté et de la beauté. Je voulais une structure bien définie pour me donner un cadre réduit car je ne voulais pas m’embarquer dans un truc trop long. Je voulais aussi essayer l’écriture à la 1ere personne, pour savoir si j’étais capable de creuser un peu la psychologie de mes personnages, le format du récit ne m’a finalement pas permis d’aller bien loin sur ce plan.

Et puis les choses se sont construites. La poussière, je ne sais pas quand et pourquoi, mais c’est venu assez tôt et les personnages d ‘Akkkil et Komer au fur et à mesure de la progression de l’histoire. La progression du récit s’est construite malgré moi. La récurrence du chiffre trois de la structure, le jeu avec la mythologie grecque se sont affirmés petit à petit aussi, en fait beaucoup de choses sont arrivé par petites touches et il a fallu revenir sur ce qui était écrit pour modifier les noms ou des détails. La fin ne s’est révélée qu’a la fin. Plus qu’un truc romantique sur la nécessite de la beauté, ça raconte l’avènement de la poésie à travers l’invention des mythes et des dieux, en fait à travers ce qui nous dépasse, ce qui nous est inexplicable ( ce qui est finalement tout aussi romantique )

Comme Komer, cette histoire m’a possédée. Mes nuits et mes jours, me transformant parfois en zombie déconnecté, car elle ne constitue que l’infime partie émergée de l’iceberg du monde qu’il a fallu imaginer pour faire évoluer ces héros. Il pourrait y avoir une suite d’ailleurs, par exemple : d’où vient la poussière? Que vont devenir Akkkil et Komer dans cette cité purifiée ?… Stop, je ne veux plus y penser !

Dire qu’il y a encore bien 2 autres histoires fantastiques qui tournent dans la jungle de mon cortex, pour lesquelles le nombre de mots et de pages qu’il faudrait pour les raconter nécessiterait…………………………………………………………. une autre vie.

Halala !….Pauvre mortel…..

RING

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TROIE

 

 

 

 

 

 

 

  • Ah, mes amis, heureux habitants de notre cité, ce Ring tient toutes ses promesses ! Que de rebondissements ! On les croyait fini et pourtant ils reviennent : le scarabée, citoyens ! Ils étaient perdus en fin de course et maintenant, ils sont là, je les vois ! Ho, la, la ! Ils talonnent le Trium O… Les K et les O ! Les vieux rivaux ! Le scarabée d’or et l’orvet de jade ! Mais les K n’ont plus leur Voltigeur, ça sera difficile.

Tout se passe ailleurs, plus loin, derrière les hauts immeubles qui masquent la vieille enceinte, bien avant le nuage de poussière incandescent qui enfle et ondule sous l’impulsion du vent qui se lève. Je vois les coureurs sur les écrans géants, les uns derrière les autres, groupés en formation. La distance se réduit entre le Trium de tête et ses deux poursuivant. Il y a des coupures et des changements d’angle de vue, plusieurs drones doivent être sollicités pour filmer la scène au plus près, au plus juste. Mais par delà les images qui se façonnent sur les façades, je me transporte là bas. J’entends le martellement des foulées sur les antiques dalles… Le pouls du Ring. La bête qui s’éveille… J’escorte la course mécanique, régulière et implacable du Finisseur K qui rejoint le Défenseur O, inexorablement. Je vois ce dernier qui se retourne, court comme un crabe, prêt au combat. J’entends le choc violent de son talon contre les plaques abdominales de son poursuivant sans que celui-ci ne faillisse, ne recule même d’un pouce. Je suis au plus près de ses pupilles dilatées de surprise et d’horreur, quand le Finisseur K l’arrache du sol au bout de ses deux bras raidis pour le jeter, par dessus les filets, dans le vide obscur où plongent les entrailles du Ring.

– Vous ne savez pas ce que vous faites… Toi, Kairos et tous les autres, vous ne comprenez pas. On ne triche pas avec le Ring. Il y a des règles de sang…

J’entends la voix d’Akkkil, calme et résignée. Je l’entends malgré moi. À travers la distance qui me sépare mentalement de la tour où mon corps se tient. La course me pénètre, j’épouse les soubresauts du Ring, les frissons de sa peau minérale. Tout ce qui se dit ici n’est qu’un font sonore, à peine plus présent que les commentaires diffusés à l’écran.

–  Les règles,Akkkil, les codes.. C’est du bavardage pour les Néos… Chacun pour soi, tu le sais bien. Tu as triché avec tes origines, ta descendance… Tout ce paye Akkkil, c’est ça la loi. Tu es en dette avec le Stadium…

–  Comme si le Ring était un spectacle !Pauvres fous ! Vous remplacez les hommes par des machines, mais le Ring n’a que faire de sacrifice de métal et d’électronique… Vous affamez le Ring et vous le provoquez, mais c’est nous tous qui disparaîtrons dans l’abîme.

Là bas, au delà des immeubles, par delà les quartiers, loin de cette tour qui me retient, le Voltigeur du Trium O s’échappe d’un nuage de poussière. Son Finisseur le suit. La poussière répugne à les laisser, elle étire une langue flamboyante pour les retenir. Le vent agite la masse lumineuse et une rafale déploie mes cheveux contre mes cils. Sur la piste, le vrombissement des tuyaux s’accentue jusqu’ a prendre une tonalité grave comme un appel de détresse. Les images insistent sur ce nuage fluorescent semblant ruer dans des harnais invisibles. Et soudain, jaillit l’autre coureur, comme craché sur celui qui le précède. Le contact est brutal. Les drones filment tout, au plus près. Ils montrent le bras qui se tend, le poing qui fuse, les pointes du gantelet transperçant le casque qui se remplit aussitôt comme une outre de vin, puis le Finisseur O qui s’écroule sur les genoux, les mains sur la visière, se noyant dans son sang.

  • Quel coup, mes amis ! Retenez bien son nom, le vainqueur du trentième Ring sera encore un K ! Kulys ! Rien ne peut le stopper, Ho!Ho!Ho! Kulys ! Qui aurait parié sur lui, hein ? Par ici la monnaie, ah ! Ah ! Il ne va faire qu’une bouchée du dernier coureur des O… Mais que fait-il celui-ci ? Oh ! Le lâche, il saute dans le filet ! Hou ! Hou !

Sur les écrans, les images s’éloignent du robot qui court seul maintenant, sur toute la longueur de ce pan de muraille. Les drones filment d’autres groupes, loin derrière, bien avant le nuage de poussière qui s’étale soudain, rabattu par une rafale, mais qui reste toujours accroché à la piste, bridé au mur.

La voix de Kaïros remonte l’escalier. Il est juste en dessous, au niveau du palier.

–  Met ton casque Kulys. Échauffe-toi. ça vient, tu prends le relais. Un tour, Kulys, le dernier tour et tout est dégagé…

Puis :

–  Pâkis ! Fucklé, Pâkis ! Descend, la machine arrive, faut la démonter… Pâkis !

Je sens la chaleur du large corps d’Akkkil dans mon dos et la fermeté de sa poitrine contre ma nuque. Il s’est rapproché de moi tandis que Pâkis disparaissait dans l’escalier. Ses bras puissants de lutteur s’appuient sur le parapet de la tour et m’enveloppent. Les poils de sa barbe se mêlent à mes cheveux. Je suis dans un sorte de protect fait de sang et de chair. Je me sens bien. Nous fixons, devant nous, la luxuriance colorée du nuage transpercé de rayons lumineux. Sur les murs, les écrans ont retrouvé le Finissseur du Trium K : Kulys, le vrai Kulys maintenant, qui s’enfonce dans une autre nuée fluorescente.

–  Je vais t’apprendre à respirer la poussière, Komer, souffle Akkkil.

Le nuage vomit un ultime coureur. Le dernier, reconnaissable à son équipement vétuste. Peu de Trium restent au complet et les deux Indés qui le précédaient ont disparu. Il rattrape le Défenseur d’un Trium décimé qui se traîne en boitant et qui se retourne régulièrement, pour évaluer l’écart le préservant du contact. Mais son masque-filtre semble hors d’usage, il bat sa poitrine au rythme de ses foulées, il le détache définitivement de son protect obsolète et le jette rageusement hors de la piste. Cet ultime tour lui sera fatal car il étouffera dans les longues portions couvertes de poussières.

–  La langue contre les dents, la salive et puis il y aura le sang, murmure Akkkil. Ferme les yeux, laisse les larmes venir…

Le Défenseur ne court plus, il s’est résigné au combat. Mais l’autre l’ignore, il arrache son casque et la cagoule de son protect. Ses doigts, libres de gantelet, jouent sur les commandes digitales de son baudrier. Ses épaulières se détachent…

–  La poussière rend fou, chuchote Akkkil. Respire par la bouche, doucement…

Le Défenseur n’a pas cherché à s’interposer. Il s’est simplement écarté et regarde maintenant le coureur fou venir vers nous, abandonnant sur la piste les éléments de son équipement désuet.

–  C’est Ektor, continu Akkkil sur le même ton. Bien sûr, tu le reconnais n’est-ce pas ? Mais il ne nous sauvera pas, Komer. Ne sens tu pas la colère du Ring ?… La fureur qui sourd de ses pierres ?

Lorsqu’il gravit les hautes marches de la falaise, il est nu, pale, presque invisible sur la roche livide. Libre d’entrave, il semble voler. Un faisceau de projecteur le poursuit et peine à accompagner sa course tant elle est rapide, légère comme emportée par le vent qui s’engouffre sous la poterne de la tour en mugissant. Ô ! voir tout cela et le dire, le faire vivre par ma bouche, je voudrais apprivoiser les mots !

  • Hé ! Mes amis, encore une surprise ! Vous avez vu ça ? Mais d’où sort-il celui-là ? Uh ! Uh ! Uh ! Nu comme un ver ! Il n’a que ses lunettes, c’est dément! Citoyennes, citoyens, c’est d’un comique ! Ah! Ah! Ah! Dommage que l’on ne puisse filmer à l’intérieur de la poussière. Voyez, il rentre dans un nuage, on ne le reverra plus. Ah ! Ah ! Le fou !

Les images m’entraînent vers ce nuage de poussière qui s’ébroue à l’autre bout de la cité. Les caméras s’approchent au plus près, le pénètre même, mais ne montrent que des vapeurs luminescentes avant qu’un éclair noir n’ interrompe brutalement la séquence. La poussière érode les machine comme elle dévore les hommes nus qui respirent leur sang par la bouche et le nez, exposant la chair de leur corps à l’abrasion des frottements. C’est un plan fixe maintenant qui s’attarde sur l’extrémité de ce nuage lointain. Quelques hommes s’en arrachent, lentement, marchant presque,épuisés, soulagés. Soudain, comme une étincelle hors d’un brasier, vif et léger, Ektor surgit. Il bondit sur les débris de créneaux qui bordent encore la muraille, fusant au dessus des coureurs, si rapide qu’aucun n’esquisse de geste pour le retenir. Et déjà, il s’éloigne…

  • Mes amis, mes amis, c’est impossible ! Il devrait être mort ! Prodigieux, simplement prodigieux !… Et regardez ce style. Invraisemblable ! Il court comme un canard ! Mais c’est efficace, ô mes amis, Il les dépasse tous, il rejoint les premiers, il est presque en tête ! Extraordinaire !

Je délaisse les images télévisuelles car devant moi, au bout de la longue coursive qui s’efface, là bas, dans la masse mouvante du dernier nuage, la silhouette massive de Kulys apparaît déjà. Sa course est régulière, rigoureuse,obstinée, mécanique, semblable à celle de la machine à laquelle il s’est substitué, mais plus lente car les protects intégraux pèsent et entravent. Attisé par le vent, le nuage se distend, se contracte, s’étire encore puis laisse le coureur s’échapper comme à regret. Les tuyaux de stabilisation sifflent sur la piste, se tordent sur les dalles comme des reptiles fiévreux.

Juste avant de passer la poterne de la tour d’où je l’observe, il se retourne un instant vers la masse lumineuse qu’il vient de distancer. Il sait qu’il n’est plus seul, quelque chose le poursuit et le rejoint.

Alors jaillit Ektor, dans sa nudité spectrale, éjecté de la masse comme une excroissance même du nuage. La poussière épouse son corps d’une pellicule irradiante d’or et d’argent. Les faisceaux des projecteurs éclatent en gerbes sur les muscles de ses épaules, de son torse, de ses cuisses qui saillissent à chaque foulée, à chaque élan. Il est la lumière même. Ô, débusquer les mots, ciseler les phrases, chanter cet instant de grâce!…La beauté !

Soudain, les écrans s’éteignent. Les hauts immeubles deviennent alors des parois obscures, sans limite. La voix du commentateur bredouille quelques sons avant de se taire définitivement, laissant la fureur du vent combler le silence pesant… Par dessus l’ombre des toits, plus loin, vers les quartiers sud, s’élève comme une vague gigantesque, bouillonnante de volutes ignescentes. Puis, les murs s’éclairent à nouveau, soulageant l’obscurité. C’est un autre point de vue, un autre cadrage sur ce nuage de poussière qui, libérée de ses ancrages, s’emporte comme un flux et submerge l’image même qui brutalement s’éteint une nouvelle fois.

Ektor est passé au dessous de moi, il vole sur de la porte Nord, file sur les degrés creusés dans la pierre du rocher. Dans quelques foulées, il rejoindra Kulys qui a fait volte face et s’avance vers lui, à contre-sens, en dehors de toutes règles, les griffes de ses gantelets tendues à l’extrémité de ses poings. Mais il n’y a plus de règle, de convention, de norme, plus rien que la poussière enragée par les bourrasques. Les conduits de fixation ont rompus. Ils se tordent sur la piste puis sautent les parapets, labourent les façades, moissonnent sur les gradins le public affolé. Derrière moi, le dernier nuage se cabre, excité par un vent tournoyant, puis se couche soudain comme une bête à l’affût.

Ektor s’élance. Il n’a pas ralenti devant l’opposition de Kulys. Il a pris appuis sur une sailli du rocher et a bondi par dessus le Finisseur du Stadium K. Mais, il laisse maintenant, sur le roc, une traînée écarlate. Il cours toujours, une main sanglante sur sa hanche droite. Kulys n’a pas bougé. Il reste comme pétrifié, son poing dégoulinant, son casque insondable semblant fixer l’énorme fluorescence qui s’abat sur la tour et qui m’engloutit.

Il y a le goût du sang dans ma bouche avec cette acidité de pierre, ce caillot gluant qui se forme à chaque respiration. Mes yeux sont clos, mes larmes chassent les résidus qui s’infiltrent. J’entends la respiration d’Akkkil qui rythme la mienne comme lorsqu’il guidait la foulée de ses coureurs… Des bruits confus me parviennent, des cris, des sirènes, des alarmes… Par moment la poussière nous délaisse pour se rassembler plus loin sur la ville, poussée par les impulsions du vent, comme prisonnière de la vielle enceinte qui la contraint… Alors, entre mes cils, je vois l’image que projette à nouveau l’écran sur le mur d’en face. C’est une image de la place Haute provenant d’une caméra fixe étonnamment préservée.

Ektor est arrivé au bout de la course, mais il gît au bas du large escalier qui au crépuscule le guidait vers le Ring. Son corps sculpté d’or et d’argent semble un joyau dans un écrin écarlate.

Combien de temps avons-nous regardé la poussière incendier la cité, se ruer dans les avenues et les venelles, se jeter contre ses murs, se soulever en colonne pour s’abattre encore, avant qu’elle ne trouve la faille et se disperse au bout de la nuit.

–  Le Ring est vivant, Komer, tu le comprends maintenant.

Non, mon père, je ne le comprend pas, le Ring ne se raisonne pas. Il s’insinue dans nos corps. Il a pénétré au plus profond de ma chair, de mon être. Il est cette présence impalpable qui se prolonge en moi, et qui maintenant nous lie, nous confond dans une même sensation, émotion, certitude. Le Ring me possède et je serai sa voix. Il exhumera les mots, il m’insufflera les phrases pour que, dans nos mémoires exsangues, se grave à jamais le souvenir ardent des coureurs héroïques et que chacun contemple, au plus noir de son être, la terrible flamboyance de cette ville, longtemps assiégée de couleurs, assaillie de lumière, jusqu’à ce qu’enfin, fille du matin, paraisse l’aurore aux doigts de rose.*

Fin

*« Dès que, fille du matin, parut l’aurore aux doigts de rose… » l’Odyssée, chant IV

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Pastel format moyen (30X40) de façon à renouer avec une pratique plus rapide,  des motifs traditionnels et rechercher une harmonie colorée que je n’ai pas vraiment trouvé ici. A reprendre dans un format plus petit.

les couleurs sont vraiment très atténuées, elles semblent plus vives sur la peinture

les couleurs sont vraiment très atténuées, elles semblent plus vives sur la peinture

RING

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DEUX

 

 

 

 

– Entrez, fait le chef de la garde civile en ouvrant la porte donnant sur le rez de chaussée de la tour puis la refermant aussitôt derrière nous.

 L’intérieur est une pièce sombre dont je n’en distingue pas les limites tant l’éclairage est faible. La lumière semble venir seulement de l’escalier à vis menant à l’étage et devant lequel se découpe la silhouette trapue de Kairos.

–  Ta fille est là Akkkil, c’était pas compliqué, tu vois. Elle est avec toi et tu vas faire ce qu’on te dit… Pâkis, tu prends le chasuble de l’Argos, il n’en a plus besoin maintenant, et conduis-la sur la tour.

Mes yeux s’habituent progressivement à la pénombre. Je devine d’autres personnes entre ces vieux murs suintant d’humidité, mais c’est la haute stature d’Akkkil qui m’apparaît de plus en plus nettement. Je n’ai jamais vu sur son visage, une telle expression de consternation et de lassitude.

–  Vous ne vous rendez pas compte … Ce que ce que vous faites, ça nous tuera. Oui, ça nous tuera… Pâkis comment peux-tu participer à ça. Il ne s’agit pas de moi, ni de Komer, ni de ce que j’ai fait pour toi et que tu oublies si vite, tout cela est secondaire. Dérisoire… Pâkis, tu as couru le Ring, tu dois sentir ces choses là…. Comment peux-tu ?

La voix de l’Argosmaster tremble d’indignation et d’impuissance. Elle souffle plus qu’elle ne parle. Akkkil, le grand Akkkil, le triple K…

–  Mais je meurs Akkkil, je meurs déjà, répond Pâkis.

Puis, me prenant doucement par une épaule, il m’entraîne vers l’escalier d’où parvient le tumulte étouffé de la course. Je jette un dernier regard sur cette salle sombre, puant la mousse rance. Il n’y a rien ici, rien que je puisse comprendre : Pâkis, Akkkil, Kairos et puis au fond, adossé à un treillis de tuyaux montant à l’étage, presque invisible dans la pénombre, la masse d’un protect, identique à celui que porte Kulys, là haut sur le Ring. Mais Kulys ne court pas sur le Ring. Il est là. Je le vois bien maintenant. Il tient contre sa hanche, son casque intégral et me sourit.

–  Suis-les Akkkil! ordonne Kairos. Va remplir ta fonction d’Argosmaster juste et impartial qui supplée consciencieusement la technique défaillante.

Comprenant mon hésitation, Pâkis s’est emparé fermement de ma main et m’attire sur les premières marches. Il est extrêmement tendu et il me fait mal. Nous passons le premier pallier donnant sur le chemin de ronde pour arriver rapidement au sommet de la tour.

C’est alors que le Ring se dévoile.

Là bas, droit devant moi, la piste s’enfonce dans la vive lumière des projecteurs ; derrière moi, le bloc argenté de la falaise et, dans la nuit installée, à peine visible derrière le flot lumineux qui semble porter la muraille, la longue digue braillarde des spectateurs.

Soudain, l’extrémité lointaine du vieux mur semble se déformer, les lignes paraissent se dissoudre, les bords se superposer comme pour une mauvaise réception télévisée. Mais se sont mes yeux qui captent les images, sans l’intermédiaire des drones et des machines. Je laisse l’artifice sur les écrans des façades. La muraille s’estompe. Ce n’est plus qu’une masse mouvante qui s’élève haut et s’étend jusqu’à caresser les murs des immeubles et les premiers rangs des gradins, puis qui rampe vers moi suivant la foulée d’un coureur semblable à la tête obstinée d’un ver monstrueux.

  • Ultime surprise, mes amis citoyens! Un autre nuage de poussière ! Tout aussi gigantesque tout aussi long ! Jamais, mes amis, le Ring n’a offert autant de poussière pour le régal de vos yeux ! Ha!Ha!Ha ! Ils n’ont pas lésiné pour le trentième Ring ! Oui, trois nuages, incroyable ! Regardez comme il s’étire, il s’étire encore ! Oh, il est énorme, c’est le plus gros, le plus beau beau de tous !

Pâkis n’a pas lâché ma main, il a progressivement desserré la pression de ses doigts puis son autre main est venu tendrement compléter son emprise comme s’il voulait m’extraire du monde et m’entraîner dans son espace de tristesse insondable.

–  Je fais ça pour vivre Komer, durer encore un peu… Ils me guériront, ils me l’on dit, ils ont des instituts pour ça… Chacun pour soi, Komer, je n’ai pas le choix, tu le comprends n’est-ce pas ? C’est pour ça qu’il m’ont réintégré au Stadium K, Akkkil n’y est pas pour grand chose…

Son regard se porte alors sur Akkkil, qui se tient à l’écart, comme si le spectacle de la nuée luminescente, enflant encore sous les pas du coureur, accaparait tout son être.

–  Non, Akkkil tu n’y est pour rien… Tu les a trompé au début, puis ils ont su. Ils ont su pour ta fille et tu m’utilisais parce qu’ils le voulaient bien… Ils savaient tout, pouvaient tout : ton accident, bien sûr, et puis ta nouvelle mission:on ne refuse pas la fonction d’arbitre à un double vainqueur du Ring, alors ils t’ont proposé . Il y avait tant de monnaie à se faire avec une côte si dévaluée… Sans parler des nouveaux protects qui sont l’avenir de la course. Oui, le Ring se fera avec ça, comprend-le enfin ! Et les robots, les robots ensuite… Tant de monnaie, de monnaie…

Je sens à nouveau la pression de ses doigts sur ma main captive.

–  Tu es sa faiblesse Komer . Ils l’ont nommé Argosmaster pour ça. Le grand Akkkil fera ce qu’on lui dira…

–  Fous-moi la paix, Pâkis.

Je retire ma main sans ménagement. J’en ai rien à faire de son baratin. Je ne comprends rien à leur histoire. Je suis dans le Ring. Je le vis. Le Ring m’a absorbé comme une de ses particules de poussière.

Les pas pesant du premier coureur dispersent, devant moi, le sable de la piste. Puis ils sonnent au dessous de moi lorsqu’il passe la poterne, si proche que j’entends le râle de sa respiration malgré le vrombissement d’insecte produit par les vibrations des tuyaux sur le chemin de ronde.

D’autres arrivent. D’abord un coureur seul, puis un premier Trium s’extirpe du nuage qui gonfle toujours, nourri du lumière, abreuvé de couleurs.

Il est facile d’identifier les Triums dans le nuage. Bien sûr, les coureurs ne sont que des ombres mais leur équipement rayonne. Les protects projettent sur la peau du nuage, les réclames bariolées de leurs annonceurs, mots, sigles et slogans alternant avec les propres insignes des quartiers, insectes, plantes ou animaux stylisés. La poussière se matérialise dans un panachage kaléidoscopique mêlant textes et images, enfantant des chimères lumineuses extravagantes.

Le Ring vit.

Les battements des foulées sont les pulsations de son cœur. Les coureurs s’élancent sur son dos de pierre, de lumière et d’énergie, en apesanteur dans la nuit, hors du temps et de l’espace, serpent avide de souffrance et vorace de sang. Je le vois, je le sens. Nous ne sommes plus seuls, il y a le Ring. Il est en nous. Il nous habite.

Les coureurs traversent la tour pour passer la porte Nord et escalader la falaise. La pierre tremble sous le poids de leur cadence lente et résolue. La course se décidera plus tard, ils se retiennent encore, se méfient, se devinent. Un dernier Trium disparaît sous mes pieds, bientôt suivis par trois coureurs indépendants qui se jaugent. Ceux là se sont placés. Ils savent pourquoi ils traînent. Ils se posteront en embuscade, se laisseront rejoindre… Je reconnais l’équipement singulier du dernier, tandis qu’ un drone de la télévision frôle en bourdonnant la rambarde de pierre sur laquelle je m’appuie, avant de se dissoudre dans la nuit.

RING

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RING

 

 

Au boulot Thomas...

Ben, alors Thomas?…

 

 

 

KOMER

 

UN

 

 

 

C’est un sensation étrange, mais je sais qu’elle est assez répandue :l’impression d’avoir déjà vécu le moment que l’on est en train de vivre. Pourtant c’est mon premier Ring. Il faut assister au Ring au moins une fois dans sa vie. Certains attendent longtemps, d’autres viennent de très loin. Moi, je vis l’événement, maintenant, à ce moment précis. Je ne l’ai jamais vécu avant. Même dans mes rêves les plus insensés, je n’aurais imaginé être là, dans la tribune des Argos, surplombant la place Haute où s’alignent les Triums.

Je pense à mes amies de l’institut. Pas celui où je suis placée maintenant, avec ces filles prétentieuses, si respectueuses des règlements et des convenions, non, l’autre, celui des zones intermédiaires, celui d’avant que j’ai un père. Elles sont certainement rassemblées dans la salle commune, elles regardent les images sur l’écran, ces mêmes images que je vois moi aussi, projetées sur les façades, si ternes, si limitées, si contrôlées, alors que mes yeux s’attardent sur les couleurs des banderoles, glissent sur les plaques rutilantes des protects, survolent les cors et les tambours, détaillent les costumes des musiciens, des lanceurs de drapeaux et des servants de tous ordres, de tous quartiers. J’aimerais qu’elles voient ce que je contemple, là, comment la place Haute est maintenant trop étroite pour accueillir la parade, si réduite qu’il a fallu dégager les chars et que chacun se tasse dans sa zone impartie, en piétinant le crottins. Je les reverrai et je leur dirai, oui, elles verront par ma bouche… Comme lorsque je commentais les courses de rats que nous organisions dans les sous-sols. Nous les enfermions dans les vieux conduits, nous les affolions en tapant sur les tuyaux. Ils courraient, paniqués. Ils se déchiraient sur les saillis des rivets pour fuir au plus vite, se battaient dans les rétrécissements. On entendait le raclement de leurs griffes sur les parois, on voyait leurs dents rougies à travers les grilles ou les tronçons translucides que nous éclairions de nos lampes comme des projecteurs. Ce n’étaient plus des bêtes, on en faisait des coureurs du Ring, des coureurs de chair et de sang.

– Komer, je t’enlève. Ordre du papamaster !

Comment s’y prend-il, Pâkis, pour toujours me surprendre, se glisser dans mon espace comme une ombre et d’un coup être là ? Il a surgi dans ma vie de cette façon. Dès qu’il apparut, mon existence devint plus confortable : plus de corvées, meilleur dortoir, plus d’égard. Je n’étais plus traitée comme une sans-quartier et on a ajouté un K à mon nom. Il ne me parlait pas de mon père au début, c’est venu après. Il me disait que s’était trop tôt pour le connaître, qu’il fallait attendre le moment mais que bientôt tout changerait pour moi. J’avais compris que Pâkis était un ancien coureur et j’étais assez fière de ça quand j’en parlais.

– Tu as abandonné ton poste, Pâkis ?

– Ho, ma petite chérie, j’ai mes assistants moi aussi… D’ailleurs, excuse-moi, quelques formalités…

Il me délaisse un instant pour parlementer avec l’Argos qui vient de lever son nez des écrans et le questionne du regard. Je l’entends donner des consignes de la part de mon père en exhibant la plaque officielle d’Argosmaster qu’il lui a confié.

– Il faut y aller, ton père t’attend, reprend-il.

– Non, je ne veux pas. Je veux voir le départ.

– Komer, allons… insiste-t-il avant de s’étouffer dans une quinte de toux.

Que reste t-il du coureur du Ring qui s’étrangle à mes côtés ? Un grand corps lové sur lui même comme si sa poitrine, en rétrécissant, l’aspirait en dedans. A- t-il seulement couru , où bien n’est-il que l’obligé de mon père pour des raisons que je n’ai jamais pu deviner ?

–  Ton père t’attend à la tour de la porte Nord. Tu verras la poussière là bas. Ici tu n’auras que des images, sur la tour ça sera du direct.

–  Mon père m’a dit qu’il n’y aura pas de poussière à cause du vent.

–  Il aura changé d’avis, allez viens.

Le spectacle de la place me fascine. Je dialogue avec Pâkis sans dévier mon regard. Je lui réponds les yeux rivés sur les formations qui se mettent en place devant moi. Je me presse contre le garde-corps se la tribune, la rampe qui me sépare du vide écrase ma poitrine. Je voudrais franchir ces barrières, m’insinuer parmi les coureurs, être avec eux, invisible mais au plus près, deviner leur visage derrière leurs lunettes ou leur visière, sentir leur odeur, celle de leur stress ou de leur peur. Ont-ils peur ? Oui ils ont peur, forcément peur car ils sont seuls, malgré la foule, malgré leurs équipiers. Ils savent que c’est chacun pour soi, finalement, et qu’il faudra sauver sa peau, comme nos rats dans les tuyaux, courir, courir et vivre.

Pourtant nous ne sommes pas seul, je le sais, je le sens quelque fois. Il y a des choses qui rodent autour de nous. Des présences qui nous poussent ou nous retiennent, qui organisent des coïncidences, orientent le hasard. Ont-ils conscience de ces choses insaisissables, non, je ne crois pas, dommage, ça les aiderait… Nos yeux ne voient que la surface, l’apparence. Je sens le regard insistant de Pâkis sur ma nuque. Il me voit, serrée contre la rampe jusqu’à m’étouffer, il ne comprend pas que je suis ailleurs, que je me prolonge, me dédouble, que je suis déjà au delà de la barrière de métal, sur la place Haute. J’accompagne les contrôleurs en tenue noire qui inspectent les protects, mesurent les longueurs des pointes-dagues qui hérissent les gantelets, les jambières ou les épaulières. L’un d’eux se retourne, inquiet, m’a t-il senti derrière lui ? Oui, je suis là bas. Je n’entends même plus les insupportables commentaires :

  •   Pas d’arme pour le Ring, c’est une course, mes amis, une course ! Mais, regardez : les Stadiums rivalisent d’imagination pour rendre les équipements les plus, comment dire… Incisifs, oui, les plus incisifs possibles ! Voyez, la forme effilée de ce brassard, va t-il passer le contrôle ?

–  Komer, insiste Pâkis

–  Je le rejoindrai après le départ, je veux voir le départ !

–  Oc, après le départ. Nous traverserons la place, nous gagnerons du temps.

  •   Voilà, les neufs Triums sont parfaitement en règle. Au tour de nos valeureux indépendants. Leur équipement est souvent assez fantaisiste et…

Je me glisse mentalement entre les Triums. Ils sont alignés en ordre de course : le Voltigeur, le Finisseur, le Défenseur, parfaitement immobiles, concentré sur l’éclat d’airain qui enflamme encore le haut d’un vestige de mur, dressé comme un dent monstrueuse sur le dos de l’éminence rocheuse. Je ne reconnais aucun coureur du TriumK, pas même Kulys car leur protect les recouvre intégralement, boursouflant leur corps, occultant leur visage. Les coureurs indépendants forment une ligne derrière eux. Ils ont jeté leur banderole lorsqu’ils sont entré sur la place Haute. Enchevêtrées aux bannières lancées par les porte-drapeaux des quartiers, elles forment une sorte de large pelote bariolée qu’ils devront contourner ou piétiner pour atteindre l’escalier menant au sommet du rocher et à la muraille. La plupart de leur protect est saturé de symboles et d’inscriptions colorés, d’autres restent relativement sobres comme celui-là, en bout de rangée, presque invisible dans sa discrétion, presque anachronique dans le choix des accessoires.

  •  Mes amis, mes amis, la pointe du mur ! Le soleil se dérobe, mes amis, le crépuscule ! Citoyennes, citoyens, le trentième RIIIIIIING ! RIIIIIIING !

Les cors des neufs quartiers ont retenti à l’unisson, un tonnerre de cuivre…

La masse des coureurs s’élance. Chaque Trium respecte le bloc de sa formation tandis que les Indépendants tentent de se faufiler entre leurs rangs. Et je suis avec celui là, empêtré dans les plis d’une bannière comme dans un filet, je lui souffle qu’il va mourir que le voltigeur du Trium U qui accourt ne l’épargnera pas. Qu’il répandra,sur le vert tendre du tissu, l’écarlate couleur de son agonie. M’entend-il murmurer dans sa conscience ?

  •  Quel coup terrible du voltigeur des grillons, mes amis ! Celui-là ne portera pas le cercle d’or!Ha!Ha ! Ha ! Ils veulent tous être devant mais la piste et bien trop étroite ! Regardez, c’est le quartier O qui a pris les commande, mais les U les talonnent ! Je vous le disais : ce pourrait être le grand retour du mille-pattes ! Les K semblent se résigner, ils ont perdu des éléments importants, leur côte est bien tombée, mais sait-on jamais, citoyennes, citoyens, fiers habitants de notre cité, le Ring est imprévisible !

L’Indé à l’équipement vétuste est le dernier à disparaître en haut de la montée. La caméra du drone l’accompagne un instant pour permettre au commentateur quelques plaisanteries faciles ; puis s’en détache rapidement, rejoignant la tête de la course qui négocie déjà l’accès à la muraille sur les degrés branlants d’un court escalier.

La place Haute n’est plus qu’un lieu d’abandon où l’on perçoit faiblement, entre deux commentaires télévisuels, les râles du coureur qui se tord sur son lit de drapeaux. Maintenant, la course se fera sur les écrans géants jusqu’au retour du vainqueur. Je serai revenu alors, je le verrai brandir le cercle d’or et je l’acclamerai.

–  C’est bon Pâkis, on y va.