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Deuxième capture d’idée d’histoire et tentative d’apprivoisement sous forme textuelle

RING

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TROIE

 

 

 

 

 

 

 

  • Ah, mes amis, heureux habitants de notre cité, ce Ring tient toutes ses promesses ! Que de rebondissements ! On les croyait fini et pourtant ils reviennent : le scarabée, citoyens ! Ils étaient perdus en fin de course et maintenant, ils sont là, je les vois ! Ho, la, la ! Ils talonnent le Trium O… Les K et les O ! Les vieux rivaux ! Le scarabée d’or et l’orvet de jade ! Mais les K n’ont plus leur Voltigeur, ça sera difficile.

Tout se passe ailleurs, plus loin, derrière les hauts immeubles qui masquent la vieille enceinte, bien avant le nuage de poussière incandescent qui enfle et ondule sous l’impulsion du vent qui se lève. Je vois les coureurs sur les écrans géants, les uns derrière les autres, groupés en formation. La distance se réduit entre le Trium de tête et ses deux poursuivant. Il y a des coupures et des changements d’angle de vue, plusieurs drones doivent être sollicités pour filmer la scène au plus près, au plus juste. Mais par delà les images qui se façonnent sur les façades, je me transporte là bas. J’entends le martellement des foulées sur les antiques dalles… Le pouls du Ring. La bête qui s’éveille… J’escorte la course mécanique, régulière et implacable du Finisseur K qui rejoint le Défenseur O, inexorablement. Je vois ce dernier qui se retourne, court comme un crabe, prêt au combat. J’entends le choc violent de son talon contre les plaques abdominales de son poursuivant sans que celui-ci ne faillisse, ne recule même d’un pouce. Je suis au plus près de ses pupilles dilatées de surprise et d’horreur, quand le Finisseur K l’arrache du sol au bout de ses deux bras raidis pour le jeter, par dessus les filets, dans le vide obscur où plongent les entrailles du Ring.

– Vous ne savez pas ce que vous faites… Toi, Kairos et tous les autres, vous ne comprenez pas. On ne triche pas avec le Ring. Il y a des règles de sang…

J’entends la voix d’Akkkil, calme et résignée. Je l’entends malgré moi. À travers la distance qui me sépare mentalement de la tour où mon corps se tient. La course me pénètre, j’épouse les soubresauts du Ring, les frissons de sa peau minérale. Tout ce qui se dit ici n’est qu’un font sonore, à peine plus présent que les commentaires diffusés à l’écran.

–  Les règles,Akkkil, les codes.. C’est du bavardage pour les Néos… Chacun pour soi, tu le sais bien. Tu as triché avec tes origines, ta descendance… Tout ce paye Akkkil, c’est ça la loi. Tu es en dette avec le Stadium…

–  Comme si le Ring était un spectacle !Pauvres fous ! Vous remplacez les hommes par des machines, mais le Ring n’a que faire de sacrifice de métal et d’électronique… Vous affamez le Ring et vous le provoquez, mais c’est nous tous qui disparaîtrons dans l’abîme.

Là bas, au delà des immeubles, par delà les quartiers, loin de cette tour qui me retient, le Voltigeur du Trium O s’échappe d’un nuage de poussière. Son Finisseur le suit. La poussière répugne à les laisser, elle étire une langue flamboyante pour les retenir. Le vent agite la masse lumineuse et une rafale déploie mes cheveux contre mes cils. Sur la piste, le vrombissement des tuyaux s’accentue jusqu’ a prendre une tonalité grave comme un appel de détresse. Les images insistent sur ce nuage fluorescent semblant ruer dans des harnais invisibles. Et soudain, jaillit l’autre coureur, comme craché sur celui qui le précède. Le contact est brutal. Les drones filment tout, au plus près. Ils montrent le bras qui se tend, le poing qui fuse, les pointes du gantelet transperçant le casque qui se remplit aussitôt comme une outre de vin, puis le Finisseur O qui s’écroule sur les genoux, les mains sur la visière, se noyant dans son sang.

  • Quel coup, mes amis ! Retenez bien son nom, le vainqueur du trentième Ring sera encore un K ! Kulys ! Rien ne peut le stopper, Ho!Ho!Ho! Kulys ! Qui aurait parié sur lui, hein ? Par ici la monnaie, ah ! Ah ! Il ne va faire qu’une bouchée du dernier coureur des O… Mais que fait-il celui-ci ? Oh ! Le lâche, il saute dans le filet ! Hou ! Hou !

Sur les écrans, les images s’éloignent du robot qui court seul maintenant, sur toute la longueur de ce pan de muraille. Les drones filment d’autres groupes, loin derrière, bien avant le nuage de poussière qui s’étale soudain, rabattu par une rafale, mais qui reste toujours accroché à la piste, bridé au mur.

La voix de Kaïros remonte l’escalier. Il est juste en dessous, au niveau du palier.

–  Met ton casque Kulys. Échauffe-toi. ça vient, tu prends le relais. Un tour, Kulys, le dernier tour et tout est dégagé…

Puis :

–  Pâkis ! Fucklé, Pâkis ! Descend, la machine arrive, faut la démonter… Pâkis !

Je sens la chaleur du large corps d’Akkkil dans mon dos et la fermeté de sa poitrine contre ma nuque. Il s’est rapproché de moi tandis que Pâkis disparaissait dans l’escalier. Ses bras puissants de lutteur s’appuient sur le parapet de la tour et m’enveloppent. Les poils de sa barbe se mêlent à mes cheveux. Je suis dans un sorte de protect fait de sang et de chair. Je me sens bien. Nous fixons, devant nous, la luxuriance colorée du nuage transpercé de rayons lumineux. Sur les murs, les écrans ont retrouvé le Finissseur du Trium K : Kulys, le vrai Kulys maintenant, qui s’enfonce dans une autre nuée fluorescente.

–  Je vais t’apprendre à respirer la poussière, Komer, souffle Akkkil.

Le nuage vomit un ultime coureur. Le dernier, reconnaissable à son équipement vétuste. Peu de Trium restent au complet et les deux Indés qui le précédaient ont disparu. Il rattrape le Défenseur d’un Trium décimé qui se traîne en boitant et qui se retourne régulièrement, pour évaluer l’écart le préservant du contact. Mais son masque-filtre semble hors d’usage, il bat sa poitrine au rythme de ses foulées, il le détache définitivement de son protect obsolète et le jette rageusement hors de la piste. Cet ultime tour lui sera fatal car il étouffera dans les longues portions couvertes de poussières.

–  La langue contre les dents, la salive et puis il y aura le sang, murmure Akkkil. Ferme les yeux, laisse les larmes venir…

Le Défenseur ne court plus, il s’est résigné au combat. Mais l’autre l’ignore, il arrache son casque et la cagoule de son protect. Ses doigts, libres de gantelet, jouent sur les commandes digitales de son baudrier. Ses épaulières se détachent…

–  La poussière rend fou, chuchote Akkkil. Respire par la bouche, doucement…

Le Défenseur n’a pas cherché à s’interposer. Il s’est simplement écarté et regarde maintenant le coureur fou venir vers nous, abandonnant sur la piste les éléments de son équipement désuet.

–  C’est Ektor, continu Akkkil sur le même ton. Bien sûr, tu le reconnais n’est-ce pas ? Mais il ne nous sauvera pas, Komer. Ne sens tu pas la colère du Ring ?… La fureur qui sourd de ses pierres ?

Lorsqu’il gravit les hautes marches de la falaise, il est nu, pale, presque invisible sur la roche livide. Libre d’entrave, il semble voler. Un faisceau de projecteur le poursuit et peine à accompagner sa course tant elle est rapide, légère comme emportée par le vent qui s’engouffre sous la poterne de la tour en mugissant. Ô ! voir tout cela et le dire, le faire vivre par ma bouche, je voudrais apprivoiser les mots !

  • Hé ! Mes amis, encore une surprise ! Vous avez vu ça ? Mais d’où sort-il celui-là ? Uh ! Uh ! Uh ! Nu comme un ver ! Il n’a que ses lunettes, c’est dément! Citoyennes, citoyens, c’est d’un comique ! Ah! Ah! Ah! Dommage que l’on ne puisse filmer à l’intérieur de la poussière. Voyez, il rentre dans un nuage, on ne le reverra plus. Ah ! Ah ! Le fou !

Les images m’entraînent vers ce nuage de poussière qui s’ébroue à l’autre bout de la cité. Les caméras s’approchent au plus près, le pénètre même, mais ne montrent que des vapeurs luminescentes avant qu’un éclair noir n’ interrompe brutalement la séquence. La poussière érode les machine comme elle dévore les hommes nus qui respirent leur sang par la bouche et le nez, exposant la chair de leur corps à l’abrasion des frottements. C’est un plan fixe maintenant qui s’attarde sur l’extrémité de ce nuage lointain. Quelques hommes s’en arrachent, lentement, marchant presque,épuisés, soulagés. Soudain, comme une étincelle hors d’un brasier, vif et léger, Ektor surgit. Il bondit sur les débris de créneaux qui bordent encore la muraille, fusant au dessus des coureurs, si rapide qu’aucun n’esquisse de geste pour le retenir. Et déjà, il s’éloigne…

  • Mes amis, mes amis, c’est impossible ! Il devrait être mort ! Prodigieux, simplement prodigieux !… Et regardez ce style. Invraisemblable ! Il court comme un canard ! Mais c’est efficace, ô mes amis, Il les dépasse tous, il rejoint les premiers, il est presque en tête ! Extraordinaire !

Je délaisse les images télévisuelles car devant moi, au bout de la longue coursive qui s’efface, là bas, dans la masse mouvante du dernier nuage, la silhouette massive de Kulys apparaît déjà. Sa course est régulière, rigoureuse,obstinée, mécanique, semblable à celle de la machine à laquelle il s’est substitué, mais plus lente car les protects intégraux pèsent et entravent. Attisé par le vent, le nuage se distend, se contracte, s’étire encore puis laisse le coureur s’échapper comme à regret. Les tuyaux de stabilisation sifflent sur la piste, se tordent sur les dalles comme des reptiles fiévreux.

Juste avant de passer la poterne de la tour d’où je l’observe, il se retourne un instant vers la masse lumineuse qu’il vient de distancer. Il sait qu’il n’est plus seul, quelque chose le poursuit et le rejoint.

Alors jaillit Ektor, dans sa nudité spectrale, éjecté de la masse comme une excroissance même du nuage. La poussière épouse son corps d’une pellicule irradiante d’or et d’argent. Les faisceaux des projecteurs éclatent en gerbes sur les muscles de ses épaules, de son torse, de ses cuisses qui saillissent à chaque foulée, à chaque élan. Il est la lumière même. Ô, débusquer les mots, ciseler les phrases, chanter cet instant de grâce!…La beauté !

Soudain, les écrans s’éteignent. Les hauts immeubles deviennent alors des parois obscures, sans limite. La voix du commentateur bredouille quelques sons avant de se taire définitivement, laissant la fureur du vent combler le silence pesant… Par dessus l’ombre des toits, plus loin, vers les quartiers sud, s’élève comme une vague gigantesque, bouillonnante de volutes ignescentes. Puis, les murs s’éclairent à nouveau, soulageant l’obscurité. C’est un autre point de vue, un autre cadrage sur ce nuage de poussière qui, libérée de ses ancrages, s’emporte comme un flux et submerge l’image même qui brutalement s’éteint une nouvelle fois.

Ektor est passé au dessous de moi, il vole sur de la porte Nord, file sur les degrés creusés dans la pierre du rocher. Dans quelques foulées, il rejoindra Kulys qui a fait volte face et s’avance vers lui, à contre-sens, en dehors de toutes règles, les griffes de ses gantelets tendues à l’extrémité de ses poings. Mais il n’y a plus de règle, de convention, de norme, plus rien que la poussière enragée par les bourrasques. Les conduits de fixation ont rompus. Ils se tordent sur la piste puis sautent les parapets, labourent les façades, moissonnent sur les gradins le public affolé. Derrière moi, le dernier nuage se cabre, excité par un vent tournoyant, puis se couche soudain comme une bête à l’affût.

Ektor s’élance. Il n’a pas ralenti devant l’opposition de Kulys. Il a pris appuis sur une sailli du rocher et a bondi par dessus le Finisseur du Stadium K. Mais, il laisse maintenant, sur le roc, une traînée écarlate. Il cours toujours, une main sanglante sur sa hanche droite. Kulys n’a pas bougé. Il reste comme pétrifié, son poing dégoulinant, son casque insondable semblant fixer l’énorme fluorescence qui s’abat sur la tour et qui m’engloutit.

Il y a le goût du sang dans ma bouche avec cette acidité de pierre, ce caillot gluant qui se forme à chaque respiration. Mes yeux sont clos, mes larmes chassent les résidus qui s’infiltrent. J’entends la respiration d’Akkkil qui rythme la mienne comme lorsqu’il guidait la foulée de ses coureurs… Des bruits confus me parviennent, des cris, des sirènes, des alarmes… Par moment la poussière nous délaisse pour se rassembler plus loin sur la ville, poussée par les impulsions du vent, comme prisonnière de la vielle enceinte qui la contraint… Alors, entre mes cils, je vois l’image que projette à nouveau l’écran sur le mur d’en face. C’est une image de la place Haute provenant d’une caméra fixe étonnamment préservée.

Ektor est arrivé au bout de la course, mais il gît au bas du large escalier qui au crépuscule le guidait vers le Ring. Son corps sculpté d’or et d’argent semble un joyau dans un écrin écarlate.

Combien de temps avons-nous regardé la poussière incendier la cité, se ruer dans les avenues et les venelles, se jeter contre ses murs, se soulever en colonne pour s’abattre encore, avant qu’elle ne trouve la faille et se disperse au bout de la nuit.

–  Le Ring est vivant, Komer, tu le comprends maintenant.

Non, mon père, je ne le comprend pas, le Ring ne se raisonne pas. Il s’insinue dans nos corps. Il a pénétré au plus profond de ma chair, de mon être. Il est cette présence impalpable qui se prolonge en moi, et qui maintenant nous lie, nous confond dans une même sensation, émotion, certitude. Le Ring me possède et je serai sa voix. Il exhumera les mots, il m’insufflera les phrases pour que, dans nos mémoires exsangues, se grave à jamais le souvenir ardent des coureurs héroïques et que chacun contemple, au plus noir de son être, la terrible flamboyance de cette ville, longtemps assiégée de couleurs, assaillie de lumière, jusqu’à ce qu’enfin, fille du matin, paraisse l’aurore aux doigts de rose.*

Fin

*« Dès que, fille du matin, parut l’aurore aux doigts de rose… » l’Odyssée, chant IV

RING

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DEUX

 

 

 

 

– Entrez, fait le chef de la garde civile en ouvrant la porte donnant sur le rez de chaussée de la tour puis la refermant aussitôt derrière nous.

 L’intérieur est une pièce sombre dont je n’en distingue pas les limites tant l’éclairage est faible. La lumière semble venir seulement de l’escalier à vis menant à l’étage et devant lequel se découpe la silhouette trapue de Kairos.

–  Ta fille est là Akkkil, c’était pas compliqué, tu vois. Elle est avec toi et tu vas faire ce qu’on te dit… Pâkis, tu prends le chasuble de l’Argos, il n’en a plus besoin maintenant, et conduis-la sur la tour.

Mes yeux s’habituent progressivement à la pénombre. Je devine d’autres personnes entre ces vieux murs suintant d’humidité, mais c’est la haute stature d’Akkkil qui m’apparaît de plus en plus nettement. Je n’ai jamais vu sur son visage, une telle expression de consternation et de lassitude.

–  Vous ne vous rendez pas compte … Ce que ce que vous faites, ça nous tuera. Oui, ça nous tuera… Pâkis comment peux-tu participer à ça. Il ne s’agit pas de moi, ni de Komer, ni de ce que j’ai fait pour toi et que tu oublies si vite, tout cela est secondaire. Dérisoire… Pâkis, tu as couru le Ring, tu dois sentir ces choses là…. Comment peux-tu ?

La voix de l’Argosmaster tremble d’indignation et d’impuissance. Elle souffle plus qu’elle ne parle. Akkkil, le grand Akkkil, le triple K…

–  Mais je meurs Akkkil, je meurs déjà, répond Pâkis.

Puis, me prenant doucement par une épaule, il m’entraîne vers l’escalier d’où parvient le tumulte étouffé de la course. Je jette un dernier regard sur cette salle sombre, puant la mousse rance. Il n’y a rien ici, rien que je puisse comprendre : Pâkis, Akkkil, Kairos et puis au fond, adossé à un treillis de tuyaux montant à l’étage, presque invisible dans la pénombre, la masse d’un protect, identique à celui que porte Kulys, là haut sur le Ring. Mais Kulys ne court pas sur le Ring. Il est là. Je le vois bien maintenant. Il tient contre sa hanche, son casque intégral et me sourit.

–  Suis-les Akkkil! ordonne Kairos. Va remplir ta fonction d’Argosmaster juste et impartial qui supplée consciencieusement la technique défaillante.

Comprenant mon hésitation, Pâkis s’est emparé fermement de ma main et m’attire sur les premières marches. Il est extrêmement tendu et il me fait mal. Nous passons le premier pallier donnant sur le chemin de ronde pour arriver rapidement au sommet de la tour.

C’est alors que le Ring se dévoile.

Là bas, droit devant moi, la piste s’enfonce dans la vive lumière des projecteurs ; derrière moi, le bloc argenté de la falaise et, dans la nuit installée, à peine visible derrière le flot lumineux qui semble porter la muraille, la longue digue braillarde des spectateurs.

Soudain, l’extrémité lointaine du vieux mur semble se déformer, les lignes paraissent se dissoudre, les bords se superposer comme pour une mauvaise réception télévisée. Mais se sont mes yeux qui captent les images, sans l’intermédiaire des drones et des machines. Je laisse l’artifice sur les écrans des façades. La muraille s’estompe. Ce n’est plus qu’une masse mouvante qui s’élève haut et s’étend jusqu’à caresser les murs des immeubles et les premiers rangs des gradins, puis qui rampe vers moi suivant la foulée d’un coureur semblable à la tête obstinée d’un ver monstrueux.

  • Ultime surprise, mes amis citoyens! Un autre nuage de poussière ! Tout aussi gigantesque tout aussi long ! Jamais, mes amis, le Ring n’a offert autant de poussière pour le régal de vos yeux ! Ha!Ha!Ha ! Ils n’ont pas lésiné pour le trentième Ring ! Oui, trois nuages, incroyable ! Regardez comme il s’étire, il s’étire encore ! Oh, il est énorme, c’est le plus gros, le plus beau beau de tous !

Pâkis n’a pas lâché ma main, il a progressivement desserré la pression de ses doigts puis son autre main est venu tendrement compléter son emprise comme s’il voulait m’extraire du monde et m’entraîner dans son espace de tristesse insondable.

–  Je fais ça pour vivre Komer, durer encore un peu… Ils me guériront, ils me l’on dit, ils ont des instituts pour ça… Chacun pour soi, Komer, je n’ai pas le choix, tu le comprends n’est-ce pas ? C’est pour ça qu’il m’ont réintégré au Stadium K, Akkkil n’y est pas pour grand chose…

Son regard se porte alors sur Akkkil, qui se tient à l’écart, comme si le spectacle de la nuée luminescente, enflant encore sous les pas du coureur, accaparait tout son être.

–  Non, Akkkil tu n’y est pour rien… Tu les a trompé au début, puis ils ont su. Ils ont su pour ta fille et tu m’utilisais parce qu’ils le voulaient bien… Ils savaient tout, pouvaient tout : ton accident, bien sûr, et puis ta nouvelle mission:on ne refuse pas la fonction d’arbitre à un double vainqueur du Ring, alors ils t’ont proposé . Il y avait tant de monnaie à se faire avec une côte si dévaluée… Sans parler des nouveaux protects qui sont l’avenir de la course. Oui, le Ring se fera avec ça, comprend-le enfin ! Et les robots, les robots ensuite… Tant de monnaie, de monnaie…

Je sens à nouveau la pression de ses doigts sur ma main captive.

–  Tu es sa faiblesse Komer . Ils l’ont nommé Argosmaster pour ça. Le grand Akkkil fera ce qu’on lui dira…

–  Fous-moi la paix, Pâkis.

Je retire ma main sans ménagement. J’en ai rien à faire de son baratin. Je ne comprends rien à leur histoire. Je suis dans le Ring. Je le vis. Le Ring m’a absorbé comme une de ses particules de poussière.

Les pas pesant du premier coureur dispersent, devant moi, le sable de la piste. Puis ils sonnent au dessous de moi lorsqu’il passe la poterne, si proche que j’entends le râle de sa respiration malgré le vrombissement d’insecte produit par les vibrations des tuyaux sur le chemin de ronde.

D’autres arrivent. D’abord un coureur seul, puis un premier Trium s’extirpe du nuage qui gonfle toujours, nourri du lumière, abreuvé de couleurs.

Il est facile d’identifier les Triums dans le nuage. Bien sûr, les coureurs ne sont que des ombres mais leur équipement rayonne. Les protects projettent sur la peau du nuage, les réclames bariolées de leurs annonceurs, mots, sigles et slogans alternant avec les propres insignes des quartiers, insectes, plantes ou animaux stylisés. La poussière se matérialise dans un panachage kaléidoscopique mêlant textes et images, enfantant des chimères lumineuses extravagantes.

Le Ring vit.

Les battements des foulées sont les pulsations de son cœur. Les coureurs s’élancent sur son dos de pierre, de lumière et d’énergie, en apesanteur dans la nuit, hors du temps et de l’espace, serpent avide de souffrance et vorace de sang. Je le vois, je le sens. Nous ne sommes plus seuls, il y a le Ring. Il est en nous. Il nous habite.

Les coureurs traversent la tour pour passer la porte Nord et escalader la falaise. La pierre tremble sous le poids de leur cadence lente et résolue. La course se décidera plus tard, ils se retiennent encore, se méfient, se devinent. Un dernier Trium disparaît sous mes pieds, bientôt suivis par trois coureurs indépendants qui se jaugent. Ceux là se sont placés. Ils savent pourquoi ils traînent. Ils se posteront en embuscade, se laisseront rejoindre… Je reconnais l’équipement singulier du dernier, tandis qu’ un drone de la télévision frôle en bourdonnant la rambarde de pierre sur laquelle je m’appuie, avant de se dissoudre dans la nuit.

RING

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RING

 

 

Au boulot Thomas...

Ben, alors Thomas?…

 

 

 

KOMER

 

UN

 

 

 

C’est un sensation étrange, mais je sais qu’elle est assez répandue :l’impression d’avoir déjà vécu le moment que l’on est en train de vivre. Pourtant c’est mon premier Ring. Il faut assister au Ring au moins une fois dans sa vie. Certains attendent longtemps, d’autres viennent de très loin. Moi, je vis l’événement, maintenant, à ce moment précis. Je ne l’ai jamais vécu avant. Même dans mes rêves les plus insensés, je n’aurais imaginé être là, dans la tribune des Argos, surplombant la place Haute où s’alignent les Triums.

Je pense à mes amies de l’institut. Pas celui où je suis placée maintenant, avec ces filles prétentieuses, si respectueuses des règlements et des convenions, non, l’autre, celui des zones intermédiaires, celui d’avant que j’ai un père. Elles sont certainement rassemblées dans la salle commune, elles regardent les images sur l’écran, ces mêmes images que je vois moi aussi, projetées sur les façades, si ternes, si limitées, si contrôlées, alors que mes yeux s’attardent sur les couleurs des banderoles, glissent sur les plaques rutilantes des protects, survolent les cors et les tambours, détaillent les costumes des musiciens, des lanceurs de drapeaux et des servants de tous ordres, de tous quartiers. J’aimerais qu’elles voient ce que je contemple, là, comment la place Haute est maintenant trop étroite pour accueillir la parade, si réduite qu’il a fallu dégager les chars et que chacun se tasse dans sa zone impartie, en piétinant le crottins. Je les reverrai et je leur dirai, oui, elles verront par ma bouche… Comme lorsque je commentais les courses de rats que nous organisions dans les sous-sols. Nous les enfermions dans les vieux conduits, nous les affolions en tapant sur les tuyaux. Ils courraient, paniqués. Ils se déchiraient sur les saillis des rivets pour fuir au plus vite, se battaient dans les rétrécissements. On entendait le raclement de leurs griffes sur les parois, on voyait leurs dents rougies à travers les grilles ou les tronçons translucides que nous éclairions de nos lampes comme des projecteurs. Ce n’étaient plus des bêtes, on en faisait des coureurs du Ring, des coureurs de chair et de sang.

– Komer, je t’enlève. Ordre du papamaster !

Comment s’y prend-il, Pâkis, pour toujours me surprendre, se glisser dans mon espace comme une ombre et d’un coup être là ? Il a surgi dans ma vie de cette façon. Dès qu’il apparut, mon existence devint plus confortable : plus de corvées, meilleur dortoir, plus d’égard. Je n’étais plus traitée comme une sans-quartier et on a ajouté un K à mon nom. Il ne me parlait pas de mon père au début, c’est venu après. Il me disait que s’était trop tôt pour le connaître, qu’il fallait attendre le moment mais que bientôt tout changerait pour moi. J’avais compris que Pâkis était un ancien coureur et j’étais assez fière de ça quand j’en parlais.

– Tu as abandonné ton poste, Pâkis ?

– Ho, ma petite chérie, j’ai mes assistants moi aussi… D’ailleurs, excuse-moi, quelques formalités…

Il me délaisse un instant pour parlementer avec l’Argos qui vient de lever son nez des écrans et le questionne du regard. Je l’entends donner des consignes de la part de mon père en exhibant la plaque officielle d’Argosmaster qu’il lui a confié.

– Il faut y aller, ton père t’attend, reprend-il.

– Non, je ne veux pas. Je veux voir le départ.

– Komer, allons… insiste-t-il avant de s’étouffer dans une quinte de toux.

Que reste t-il du coureur du Ring qui s’étrangle à mes côtés ? Un grand corps lové sur lui même comme si sa poitrine, en rétrécissant, l’aspirait en dedans. A- t-il seulement couru , où bien n’est-il que l’obligé de mon père pour des raisons que je n’ai jamais pu deviner ?

–  Ton père t’attend à la tour de la porte Nord. Tu verras la poussière là bas. Ici tu n’auras que des images, sur la tour ça sera du direct.

–  Mon père m’a dit qu’il n’y aura pas de poussière à cause du vent.

–  Il aura changé d’avis, allez viens.

Le spectacle de la place me fascine. Je dialogue avec Pâkis sans dévier mon regard. Je lui réponds les yeux rivés sur les formations qui se mettent en place devant moi. Je me presse contre le garde-corps se la tribune, la rampe qui me sépare du vide écrase ma poitrine. Je voudrais franchir ces barrières, m’insinuer parmi les coureurs, être avec eux, invisible mais au plus près, deviner leur visage derrière leurs lunettes ou leur visière, sentir leur odeur, celle de leur stress ou de leur peur. Ont-ils peur ? Oui ils ont peur, forcément peur car ils sont seuls, malgré la foule, malgré leurs équipiers. Ils savent que c’est chacun pour soi, finalement, et qu’il faudra sauver sa peau, comme nos rats dans les tuyaux, courir, courir et vivre.

Pourtant nous ne sommes pas seul, je le sais, je le sens quelque fois. Il y a des choses qui rodent autour de nous. Des présences qui nous poussent ou nous retiennent, qui organisent des coïncidences, orientent le hasard. Ont-ils conscience de ces choses insaisissables, non, je ne crois pas, dommage, ça les aiderait… Nos yeux ne voient que la surface, l’apparence. Je sens le regard insistant de Pâkis sur ma nuque. Il me voit, serrée contre la rampe jusqu’à m’étouffer, il ne comprend pas que je suis ailleurs, que je me prolonge, me dédouble, que je suis déjà au delà de la barrière de métal, sur la place Haute. J’accompagne les contrôleurs en tenue noire qui inspectent les protects, mesurent les longueurs des pointes-dagues qui hérissent les gantelets, les jambières ou les épaulières. L’un d’eux se retourne, inquiet, m’a t-il senti derrière lui ? Oui, je suis là bas. Je n’entends même plus les insupportables commentaires :

  •   Pas d’arme pour le Ring, c’est une course, mes amis, une course ! Mais, regardez : les Stadiums rivalisent d’imagination pour rendre les équipements les plus, comment dire… Incisifs, oui, les plus incisifs possibles ! Voyez, la forme effilée de ce brassard, va t-il passer le contrôle ?

–  Komer, insiste Pâkis

–  Je le rejoindrai après le départ, je veux voir le départ !

–  Oc, après le départ. Nous traverserons la place, nous gagnerons du temps.

  •   Voilà, les neufs Triums sont parfaitement en règle. Au tour de nos valeureux indépendants. Leur équipement est souvent assez fantaisiste et…

Je me glisse mentalement entre les Triums. Ils sont alignés en ordre de course : le Voltigeur, le Finisseur, le Défenseur, parfaitement immobiles, concentré sur l’éclat d’airain qui enflamme encore le haut d’un vestige de mur, dressé comme un dent monstrueuse sur le dos de l’éminence rocheuse. Je ne reconnais aucun coureur du TriumK, pas même Kulys car leur protect les recouvre intégralement, boursouflant leur corps, occultant leur visage. Les coureurs indépendants forment une ligne derrière eux. Ils ont jeté leur banderole lorsqu’ils sont entré sur la place Haute. Enchevêtrées aux bannières lancées par les porte-drapeaux des quartiers, elles forment une sorte de large pelote bariolée qu’ils devront contourner ou piétiner pour atteindre l’escalier menant au sommet du rocher et à la muraille. La plupart de leur protect est saturé de symboles et d’inscriptions colorés, d’autres restent relativement sobres comme celui-là, en bout de rangée, presque invisible dans sa discrétion, presque anachronique dans le choix des accessoires.

  •  Mes amis, mes amis, la pointe du mur ! Le soleil se dérobe, mes amis, le crépuscule ! Citoyennes, citoyens, le trentième RIIIIIIING ! RIIIIIIING !

Les cors des neufs quartiers ont retenti à l’unisson, un tonnerre de cuivre…

La masse des coureurs s’élance. Chaque Trium respecte le bloc de sa formation tandis que les Indépendants tentent de se faufiler entre leurs rangs. Et je suis avec celui là, empêtré dans les plis d’une bannière comme dans un filet, je lui souffle qu’il va mourir que le voltigeur du Trium U qui accourt ne l’épargnera pas. Qu’il répandra,sur le vert tendre du tissu, l’écarlate couleur de son agonie. M’entend-il murmurer dans sa conscience ?

  •  Quel coup terrible du voltigeur des grillons, mes amis ! Celui-là ne portera pas le cercle d’or!Ha!Ha ! Ha ! Ils veulent tous être devant mais la piste et bien trop étroite ! Regardez, c’est le quartier O qui a pris les commande, mais les U les talonnent ! Je vous le disais : ce pourrait être le grand retour du mille-pattes ! Les K semblent se résigner, ils ont perdu des éléments importants, leur côte est bien tombée, mais sait-on jamais, citoyennes, citoyens, fiers habitants de notre cité, le Ring est imprévisible !

L’Indé à l’équipement vétuste est le dernier à disparaître en haut de la montée. La caméra du drone l’accompagne un instant pour permettre au commentateur quelques plaisanteries faciles ; puis s’en détache rapidement, rejoignant la tête de la course qui négocie déjà l’accès à la muraille sur les degrés branlants d’un court escalier.

La place Haute n’est plus qu’un lieu d’abandon où l’on perçoit faiblement, entre deux commentaires télévisuels, les râles du coureur qui se tord sur son lit de drapeaux. Maintenant, la course se fera sur les écrans géants jusqu’au retour du vainqueur. Je serai revenu alors, je le verrai brandir le cercle d’or et je l’acclamerai.

–  C’est bon Pâkis, on y va.

RING

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RING

 

TROISIÈME ROUND

 

 

Pour en finir avec le contexte :

Où s’arrête la ville ? Où en sont les limites ?

Elle se déploie en anneaux à partir du promontoire rocheux où trônent encore d’antiques vestiges, comme le font les ondes à la surface de l’eau après l’impact. Aux quartiers extra-muros succèdent des secteurs intermédiaires puis les zones périphériques jusqu’aux espaces des confins, comme si les éléments urbain s’amalgamaient d’eux même, mus par quelque loi centripète inexpliquée... Mais qui se soucie vraiment du territoire ?

À l’origine, se dressait la muraille cernant le centre ancien. Elle aurait certainement disparu sans l’avènement d’un nouveau matériau de construction rendant inutile le démembrement de ses pierres. Lorsqu’il fut décidé que la course serait plus spectaculaire si elle se déroulait sur une piste étroite, irrégulière et surélevée, la vielle enceinte fut, sinon restaurée, mais rendue praticable à la compétition. Les brèches furent colmatées avec le nouvel agrégat, des passerelles tendues entre les béances et des pans entiers de mur reconstruits pour permettre les jonctions. Ces nouveaux murs n’avaient rien de commun avec les anciens mais ils comblaient les vides, étaient solides et parfaitement étudiés pour accueillir la compétition. L’authenticité historique, qui s’en soucie ?

On annonce le trentième Ring de la troisième Ère, mais qui tient les comptes, qui était présent pour le premier ? L’histoire ne tient plus que dans les souvenirs d’une existence. Ainsi cette cité est à l’image du mur : un agrégat construit sur des vestiges urbains, sur des bribes de mémoires, un aggloméra de quartiers, de peuples et de lieux. Elle n’a pas de limite et elle est hors du temps. Le vieil anneau de pierre qui circonscrit son centre et l’événement qui s’y déroule suffit à sa cohésion. Plus qu’une protection contre un ennemi oublié, c’est de la dissolution dans l’espace et le temps que l’antique muraille préserve.

… Et terminons l’histoire :

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TROIS

 

 

 

 

Les marches de l’antique escalier sont larges mais irrégulières et mal entretenues. La rampe rouillée qui le divise sur sa longueur est un précieux secours pour soulager ma cheville. Le retour sera plus facile car je solliciterais moins le tendon estropié. Ce passage relie directement les rues conduisant au bas du massif rocheux qui perturbe tant les communications entre la tour Nord et la place Haute. La descente est un peu douloureuse mais rapide. Je serais de retour avant le départ du 30ème Ring et je partagerai l’événement avec Komer, je répondrai à ses questions, j’expliquerais les différentes fonctions des protects, je lui exposerai les différentes stratégies de course, je donnerai tous les détails… Bien sûr, ça ne comblera pas ces longue années d’abandon, ça n’excusera rien, mais au moins, ça donnera un sens, un contenu à cette absence… Bah, tout ça c’est du baratin, je le sais bien. Toutes ces années de reniement pour un commentaire éclairé du Ring, foutaise ! Je suis toujours vivant. Ça devrait me suffire. Je me suis hissé sein l’élite de la cité. Je n’ai pas à justifier quoi que ce soit, ça s’est fait comme ça, ma vie, la sienne. J’ai survécu au Ring, c’est beaucoup.

Je rejoins une rue transversale au bas de l’escalier et j’aperçois, au bout de la rue, le contrefort de la tour Nord. Je dois être dans le quartier U. Les limites des quartiers sont assez floues dans ce secteur. Je ne rencontrerai personne ici, car chacun s’impatiente sur les gradins extra-muros ou se presse sur les balcons des bâtiments riverains à la muraille. L’ombre a déjà englouti le bas des immeubles mais le haut des façades ouest reste vivement éclairé par le soleil. Komer parlerait de flamboiement, d’incendie, d’ultime agonie des couleurs, de choses dans ce genres, mais ce n ‘est que le crépuscule qui s’annonce. Bientôt, les coureurs s’élanceront dans la pénombre du soir, puis les projecteurs lanceront leur faisceau, la muraille s’illuminera et les protects resplendiront. Dommage que le vent soit annoncé, j’imagine l’enthousiasme de Komer devant les nuages de poussière absorbant les rayons, jouant avec les lueurs, modelant les reflets. Que verrait-elle, alors ? Que dirait-elle ?Aucune vidéo-diffusion ne peut rendre compte des sensations que l’on éprouve devant ces distorsions lumineuses, il faut y être. Mais il y aura d’autres Rings, et nous vivrons ces moments ensemble. Oui, il nous reste du temps, maintenant.

La porte Nord est un passage creusé dans un éperon rocheux qui se détachant du massif. Une tour carré assez haute et encore en bon état, épaule cet éperon et permet la jonction avec la falaise. Le chemin de ronde de la muraille traverse la tour par deux étroites portes en enfilade, puis se prolonge au dessus du passage sur un structure maçonnée. Il contourne ensuite la falaise par l’extérieur, en suivant l’inclinaison en pente douce du mur, pour escalader le massif grâce à des degrés taillés à même le roc. Autrefois, aucune protection n’amortissait les chutes des coureurs. Il valait mieux éviter les contacts ici, car ceux qui tombaient ne se relevaient jamais. Maintenant, des filets ont été installés en contre-bas, cela limite les pertes. Je pense aux pertes financières bien sûr. Les quartiers dépensent des fortunes pour nous, notre formation, notre équipement et tout ça…

La monnaie, toujours la monnaie, elle nous ramollit, brouille sens de la course, détourne la vérité du Ring. Nous courons contre la mort. Nous tournons avec elle, nous la voyons devant, nous la sentons derrière. La vie, la mort, pas de demi-mesure… Mais, monnaie, monnaie…

Quatre gardes civils sont en faction au abord de la porte et interdisent le passage. Ils interdisent toutes tentatives d’intrusion sur le chemin de ronde. Ce n’est pas une forte contrainte car cette porte donne sur des artères secondaires de la ville et n’est d’ailleurs pas assez large pour permettre une circulation de masse. La muraille appartient aux coureurs, uniquement aux coureurs et aux juges éventuellement. J’espère que je n’aurais pas à me poster sur la tour pour remédier aux dysfonctionnement techniques. Non, je règle le problème et je rejoins la tribune. À la rigueur, je laisse mon Argos pour prévenir de nouvelles défaillances. D’ailleurs, où est-il, celui là ?

Me voyant arriver, les gardes échangent quelques regards. Puis l’un d’eux- un gradé d’après les insignes sur ses épaulettes- se détache du groupe pour s’avancer vers moi. Il m’adresse le salut conventionnel en claquant les talons de ses botes puis se présente dans les règles en demandant en quoi il pourait m’être utile. Puis, brusquement, il se détend :

–  Ho, mais vous êtes Akkkil ! Le vainqueur du Ring !

Mon visage reste encore dans les mémoires, mais c’est ma tenue officielle et la plaque d’or qui bat ma poitrine qui ont imposé le respect. Elles l’imposeront toujours, alors que mon nom sera effacé des souvenirs. J’ai gagné mon rang.

–  Vous dézinguez mes drones-arbitres, chef !

Le garde paraît sincèrement désolé. Il baisse les yeux et tourne la tête vers un débris de ferraille noircie, abandonné au pied de la muraille.

–  Sincèrement navré, lamentable erreur… Vous savez, ce drone volait anormalement bas…

–  La norme, c’est moi qui la décide !

Je suis brutal. Il le faut. C’est la marque du pouvoir. Et puis je n’aime pas l’attitude de ce garde, son regard fuyant, son admiration flagorneuse.

–  J’ai perdu le contact avec deux autres drones, y seriez-vous pour quelque chose ?

–  Deux autres drones ? Master, on peut se tromper une fois, mais deux autres drones !

–  J’imagine que mon assistant vous a déjà posé ces questions…

–  Oui, oui, votre assistant, bien sûr… … Il m’a informé que vous aviez quelques problèmes techniques… Votre relais, je crois… Mais il vous a contacté, n’est-ce pas ?

–  Je n’ai plus aucune communication avec votre secteur, ni avec les drones, ni avec les caméras fixes, sans parler de mon Argos.

Le garde esquisse un mouvement de tête en direction du sommet de la tour.

–  Il est la haut Master. Il s’occupe d’arranger ça

Le sommet de la tour reste encore baigné d’un liseré de lumière. Ma position ne me permet pas de vérifier si quelqu’un s’affaire au près du relais défectueux.

–  Je connais votre Argos, on vient du même secteur. C’est un bon, vous savez, il aura vite trouvé le truc. Ne vous en faites pas, c’est souvent qu’il y a des problèmes de liaison ici. Le rocher, voyez, c’est ce foutu rocher…

Et en plus il me fait la leçon, fucklé de garde !

–  Bien, je le rejoins, nous verrons ça ensemble, évitons les intermédiaires.

–  Comme vous voulez, Master. Mais c’est une question de minutes, vous feriez mieux de rejoindre les tribunes.

Sur le Ring, je te massacre ! Est-ce que tu perçois ta mort dans mon regard ? Oui, tu as dû la ressentir car ta belle arrogance  disparait.

–  Nous avons condamné le rez-de-chaussé, Master, le règlement… Il faut prendre les escaliers extérieurs…

Tu me barres le passage, je ne te contournerai pas, tu t’écarteras.

–  C’est précisément ce que je voulais faire. Laissez-moi passer.

Je gravis rapidement les vieux degrés de pierre qui conduisent au chemin de ronde. Je me souviens combien l’ ascension des marches était pénible sous le poids du protect. J’entends de plus en plus nettement, le brouhaha de la foule massée de l’autre côté du mur et la voix du commentateur qui annonce arrivée du premier Trium sur la place Haute. Je jette un dernier regard vers la rue que je viens de quitter, les gardes m’observent. Plus loin, je crois discerner un autre tas de ferraille noircie, je n’en distingue pas bien les couleurs épargnées. Non, ils n’auraient pas abattu tous mes drones !

Un air frais s’infiltre dans ma barbe dès que j’atteins le chemin de ronde. Le vent déjà ? Mais il reste encore très faible, insuffisant pour perturber un nuage de poussière, surtout si des dispositifs ont été installés pour le stabiliser.

Je n’avais pas remarqué, lors de mes précédentes visites inspections, le revêtement sableux répandu sur les dalles. Il masque les portions où stagne la poussière. C’est certain maintenant, il y aura la poussière ! La foulée des premiers coureurs la fera surgir du sable et le nuage se formera. Ces longs tuyaux, de par et d’autre de la piste, constituent certainement le fameux système de stabilisation.

Je gravis les dernières marches et soudain le spectacle du Ring m’assaille. Devant moi s’étire la longue muraille. Comme un réplique, la foule massée sur les gradins extérieurs forme une nouvelle enceinte de chair, braillante, gesticulante. Et puis ce sont les images, multipliées, démultipliées sur les murs, les façades ; et les voix ; les cris ; la nuit ; les lumières…

C’est alors que je me vois.

Là bas, au bout de la piste, j’émerge du nuage de poussière. Je cours vers la dernière tour du Ring. La tour devant laquelle je me trouve maintenant, abrité des regards par un reste de créneau, tournant le dos à l’étroite poterne permettant au chemin de ronde de traverser la tour puis d’enjamber la porte Nord, avant l’ascension du rocher. Ektor me précède. C’est l’ultime boucle, la dernière tour, la victoire n’est qu’à quelques longueurs.

Nous avons accéléré car les Orvets sont à nos trousses. Ils ne nous rattraperont pas si nous maintenons cette cadence. Ils espèrent que leurs Indés embusqués dans la tour, nous stopperont. Mais nous sommes prévenus, nos Rapporteurs sont efficaces. Ektor dégagera la voie. Derrière nous, déjà loin, mon Défenseur est à la peine. Le rythme est trop rapide et nous le distançons. Je ne pourrai pas l’aider s’il est rejoint. Il les ralentira autant que possible, puis il se dégagera lui-même en sautant dans un filet. Il en a assez fait. Mais, il est trop fier, trop vaniteux, je le vois, assailli par un Voltigeur puis rejoint par un Finisseur. Saute ! Fucklé, Saute ! Le premier coup le met à genoux, le deuxième éclate son casque, le troisième l’éjecte de la piste. Il chute. Son corps se plie sur le montant métallique d’un filet, puis bascule au pied de la muraille. Du sang ! du sang ! Le Ring dévore les meilleurs de ses fils !

Les deux Indés n’ont pu retenir Ektor dans la tour. Ils sont, maintenant, pris en étau entre lui et moi. J’accours avec tout la fureur de ma détermination. Ils hésitent. On ne réfléchit pas sur le dos du Ring, on suit son instinct animal. Je me vois, moi, courant sur son échine de pierre, avec toute ma rage au bout de mes deux poings, tendu comme un bélier. J’entends le craquement d’un protect. Sur les pointes de mes gantelets : un mélange de fer, de tissus et de chair. Je vois l’Indé s’écrouler, les mains crispées sur ses viscères, puis rouler dans le vide.

La piste est dégagée…

Une voix me ramène brutalement dans le présent:

–  Méfie-toi des souvenirs Akkkil, ils s’habillent souvent de rancœur…

Je me retourne.

–  Toi ?

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DEUX

 

 

–  Oooooooh ! Ooooorvet ! Entendez les admirateurs du secteur O ! Citoyennes, citoyens. Oh, mais ça s’échauffe dans le public. Du calme mes amis, c’est une fête.

La camera s’ est éloigné du cortège qui défile pompeusement. Elle filme, par dessus les barrières de sécurité, les affrontements entre deux groupes de supporteurs surexcités. Soudain : un projectile. L’écran devient noir, juste une seconde puis l’image apparaît à nouveau sous un angle de vue différent. À peine s’est-on rendu compte de l’incident et je me dis qu’ils sont sacrément efficaces pour régler les problèmes. Moi, je n’ai toujours aucun visuel sur la tour Nord. J’y ai pourtant dépêché un assistant. Il devrait être sur les lieux maintenant, c’est pas si loin.

–  C’est eux qui étaient tout à l’heure, dans le quartier O. Tu as vu ? Ils ont ces gigantesques cymbales, t’entends le boucan que ça fait ? Et puis leur affreux serpents ! Hou !…Hou !…

–  Orvet, Komer, orvet, c’est plus petit… Et puis, soit un peu plus discrète. Laisse ça pour ceux des gradins d’en dessous. Tu le sais : nous devons rester neutres.

–  Ho ! C’est toi l’Argosmaster, pas moi !

–  Oui, mais tu es sur ma tribune, alors, s’il te plaît.

–  Oc, oc, c’est Ta tribune… fait-elle résignée.

Pourquoi suis-je aussi maladroit ? Ne resterais-je qu’un vieux guerrier brutal, incapable de nuance ? Bien sûr qu’il fallait qu’elle l’entende. Mais c’est son premier Ring, sa jeune tête est encore bourrée de propagande, d’idées simplistes. J’ai été comme ça moi aussi… Dire que la plupart en reste là :son secteur, son quartier, son cadre, ses limites, chacun à sa bonne place, meilleure que celle du voisin puisque c’est la sienne… Un Argosmaster se doit d’être au dessus des quartiers et sans attaches. C’est un juge impartial et solitaire. Garant du Ring. Le Ring est ce qui nous lie, c’est ce qui fait qu’on se supporte et que tout tourne rond. Je ne suis pas vraiment solitaire. Je ne le suis plus. Ils n’ont pas été regardant la dessus pour me nommer à ce poste, heureusement.

Je m’impatiente, je laisse Komer restreindre son enthousiasme et me glisse derrière mon autre adjoint. Les tribunes des Argos sont assez étroites, elle ne sont pas prévues pour travailler ainsi groupé, mais elles dominent la place haute et constituent le point de vue idéal pour assister au départ de la course et aux cérémonies de clôture. Ceux qui attendent sur les gradins au dessous de nous, sont encore plus serrés et ont payé cher pour cela.

Je m’appuie sur le dossier du siège de mon dernier assistant. J’ai dû me lever pour regarder par dessus ses épaules et bien que cette position soit inconfortable, j’ai une vision plus nette des images transmises sur la dizaine d’écrans qu’il contrôle de son pupitre.

– Ça revient toujours pas, Master. Toujours noir… Et puis, aucun contact avec les drones sur place, comme s’ils n’existaient plus, comme si on nous les avait dézingués.

–  Tous les quatre en même temps ? Non, impossible, et puis les caméras fixes… Ton secteur et juste à côté, envoie un de tes drones

–  Et que vois-je se former sous la porte Sud ? Oui, au bout de l’avenue ? Le fameux mille-patte du secteur U ! Deux fois vainqueur du Ring eux aussi, il y a longtemps mais ce pourrait être son grand retour, au mille-patte ! IUh ! IUh ! IUUUUUUUUUle !

Komer délaisse un instant le spectacle diffusé sur les façades et me regarde d’un air grave

–  Tu crois qu’il y aura la poussière ? Certains disent qu’il y en aura pas ?

–  Il devrait y avoir du vent. Alors la poussière, je ne crois pas…

–  Mais, il paraît qu’ils ont trouvé un moyen de la stabiliser.

–  J’ai entendu ça, je ne suis pas sûr que ça soit bien au point.Tu sais, je ne fais pas encore parti du conseil, je n’en sais pas plus que toi…

–  Mais quand même, le 30eme Ring sans la poussière !

–  Écoute, tu ne sais pas ce que c’est : la poussière, s’il y a du vent, c’est trop dangereux !

J’ai été trop tranchant. Encore une fois. Komer me fixe un instant d’un regard étonné, elle comprend que les variables du spectacle ne sont pas mes préoccupations immédiates, puis tourne la tête vers les écrans géants. Ce n’est pas de cette façon que je me rapprocherais d’elle. Cette panne joue sur mes nerfs. Où est la fameuse maîtrise de soi qui faisait ma force sur le Ring ? Je ne manœuvre pas les mêmes armes . Où sont les pointes-dagues de mes épaulières et les lames de mes gantelets ? Je n’ai qu’écrans, drones et caméra… Technologie… Et c’est mon premier Ring d’arbitrage !

–  Master, j’ai la tour en visuel. Je me rapproche.

–  Maintient une bonne distance, je ne voudrais pas perdre le contact avec ce drone aussi… Voyons… Tout à l’air correct . Les gradins extra-muros sont déjà pleins à craquer. Les gardes civils contrôlent le passage de la porte… Oc… Passe intra-muros, voir si tout est en ordre de l’autre côté.

–  Oc, je suis un peu trop haut. Je redescend…

–  Là, dis-moi : c’est ton collègue, l’Argos que j’ai envoyé tout à l’heure ?

–  Oui, on dirait bien, Master. Je m’approche… c’est bien lui, il a l’air de parlementer avec un garde. Ils ont pas l’air d’être d’accord, on dirait.

–  Met-moi en contact avec lui, il faut que sache ce qu’il y a.

–  Oc, voilà… Regardez : il reçoit l’appel, il prend son talkie… Hé, mais l’autre, l’autre garde nous met en joue !

Brusquement, l’écran devient noir. Nous restons consterné devant ce rectangle mort. D’autant plus mort que les écrans voisins, sont animés de multiples agitations colorés et festives. Seul un grésillement demeure encore avant qu’un craquement sinistre ne mette fin à tout contact.

–  Fucklé ! Mets- moi en contact avec l’Ordonnateur de la Garde Civile.Vite !

L’écran s’éclaire à nouveau sur un visage maigre et sévère, assombri par la visière d’une casquette d’officier de la Garde Civile.

–  Ordonnateur, oui, parlez ! Ho, mais c’est vous Akkkil !

Aussitôt, un fin sourire adouci cette austérité fonctionnelle.

–  Comment allez-vous ? Je vois que vous avez adopté la barbe qui sied à votre nouvelle charge, mais nous reconnaîtrons toujours notre champion .

L’Ordonnateur s’adresse à moi comme si nous nous étions quitté la veille, cette familiarité me surprend mais me rassure : maintenant, je suis de leur monde. Je ne l’avais pas revu depuis la cérémonie d’introduction dans le corps des Argosmasters. Il n’avait cesser de commenter, avec force détails, les stratégies que j’avais développées pour éliminer mes adversaires. Il admirait surtout comment j’avais su utiliser mon Voltigeur pour dégager la piste jusqu’à la victoire. Je me gardais bien de lui révéler la part d’improvisation et de hasard, ni le dévouement et l’abnégation d’Ektor. Mais l’Ordonnateur est un vieux raseur et dire qu’il me parle de barbe…

Je ne m’embarrasse pas de formalité :

–  Voilà : J’ai un problème avec vos gars sur la porte Nord. Ils dézinguent mes drones…

–  Comment cela, vous êtes sûr ?

–  Écoutez, avant d’être abattu,notre drone à filmé un garde le mettre en joue et tirer.

L’ordonnateur s’excuse et s’écarte du champ de la caméra puis réapparaît quelques secondes plus tard.

–  Effectivement, un garde à tiré sur un de vos drones. J’en suis vraiment désolé. Vous savez, ils ont pour consigne de supprimer tous drones suspects. Vous avez entendu parler des paris sur les nuages de poussière ?

–  Ridicule, il y aura du vent, il n’y aura pas de poussière.

–  En êtes-vous si sûr, pas de poussière pour le 30eme Ring ?… Bref, il s’agit de savoir dans quelles zones ces nuages seront soulevés. Aussi, certains n’hésitent pas à guider des drones sur le mur pour détecter des indices. Les enjeux sont élevés, vous savez. Votre drone a été pris pour un de ces drones espions. Désolé, vraiment.

–  Pourtant les couleurs de nos drones sont facilement reconnaissables.

–  Oui, et soyez sûr que ce garde aura de mes nouvelles, mais votre drone volait anormalement bas. A ce stade de la compétition, ce n’est pas habituel, il aura pensé qu’un drone espion se faisait passer pour l’un des vôtres. Vraiment, je vous fait une nouvelles fois mes sincères excuses , ce sont des choses qui arrivent, vous verrez.

Autrement dis : tu débutes, t’y connais rien, fous-nous la paix.

–  Un autre soucis, cher Akkkil ?

Lui parler des altercations avec mon Argos et lui avouer mes ennuis technologiques ? Lui laisser supposer des incompétences ? Je le remercie pour ses précieux conseils et coupe court à la conversation.

Pas question de sacrifier un nouveau drone ni de dépêcher mon ultime assistant, d’ailleurs le premier est peut-être en train de résoudre le problème. La place Haute s’adosse au promontoire rocheux qui surplombe la ville et nous avons dû installer un relais amplificateur sur la tour pour contourner l’obstacle. Les défaillances viennent certainement de là.

La voix du commentateur raisonne comme un compte à rebours :

–  Et maintenant, chers amis, entendez-vous ? Prêtez l’oreille ! Ce crissement stridents, vous le reconnaissez ? Les voix terribles des grillons du quartier Q ! Combien ont-ils aligné de crécelles pour cette parade ? J’ai dû mal à compter les joueurs :15…20… 25…

Le cortège des Indés va bientôt déboucher sur la place et se mettre en ordre pour la cérémonie d’ouverture. Il sera alors difficile de rejoindre la tour. Attendre  ? Il y a trop d’incertitudes. Je dois aller la bas. Voir. Régler le problème et revenir.

Komer est toujours debout appuyée sur la rampe du garde-corps. Elle guette l’apparition de la tête du défilé dans l’étroit goulot donnant accès à la place Haute. Son enthousiasme semble contenu, boude t-elle ? Je voudrais rattraper mes maladresses de tout à l’heure, me justifier en quelque sorte mais sans l’inquiéter outre mesure. Je m’approche d’elle.

–  Komer, Nous avons quelques soucis techniques, je dois m’occuper de ça. Je vais te laisser.

–  Mais, ils seront bientôt là, et la cérémonie…

–  Je ne serais pas long, jusque quelques détails à régler, je serais de retour avant le départ. Et surtout tu ne bouges pas d’ici, tu restes avec mes assistants, veille à ce qu’ils fassent bien le job. Oc ?

–  Oc, fait -elle avec un sourire en coin semblant dire : « Pas la peine de me parler comme une gamine, je suis plus une enfant. »

Je donne quelques consignes à l’Argos assistant et quitte la tribune. Avant de disparaître derrière les marches qui conduisent aux bas des tribunes, j’adresse un dernier salut à Komer qui me le rend aussitôt, en agitant discrètement la main. Je m’éloigne soulagé, presque heureux.

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AKKKIL

 

Au boulot Thomas...

Au boulot Thomas…

 

 UN

 

 

–  Père, Père ! Quelle foule, c’est incroyable !

La voix enthousiaste de Komer me fait sursauter. Je vérifiais, par dessus l’épaule d’un de mes deux assistants, la fiabilité des connexions avec les drones et caméras de surveillance de la partie de Ring dont j’avais la charge. Il m’informait de parasites fâcheux perturbant la réception des images au niveau de la porte Nord, porte d’importance s’il en est, car la tour qui la domine est la dernière du parcours, le dernier espace fermé avant l’arrivée. Mais tout semblait maintenant rentrer dans l’ordre.
J’indique, en tapotant l’assise du plat de la main, un siège vacant non loin des pupitres de contrôle.

–  Ah ! Komer, te voilà, je m’inquiétais. Assieds-toi là. Pas facile de circuler, hein ?
–  Ça grouille de monde, ça vient de partout, fait-elle très excitée. On a dû passer par les rues secondaires. On a traversé le quartier Q et puis le O. J’étais pas trop tranquille car il ne nous aime pas trop, nous, du quartier K.
–  Bah, je pense qu’ils ont autre chose à penser.
–  Oh, oui c’est sûr ! Ils formaient leur cortège dans le O. Du jaune, du vert, avec cet affreux serpent sur leurs bannières.
–  C’est un orvet Komer, pas un serpent.
–  Oc, un orvet. Et puis il y avait les tambours et tout ça. Pâkis était là, heureusement qu’il m’a guidé.

Pâkis, le dévoué Pâkis. Nous aurions pu être ennemis. Nous avions les mêmes ambitions mais il n’y a qu’un seul Finisseur dans un Trium et un seul Trium par quartier sur le Ring. Le destin s’en est mêlé, on ne peut pas courir avec des poumons en lambeaux. Ni avec une cheville en miette d’ailleurs, mais moi, j’ai eu du temps avant… Et puis, jamais ils n’auraient désigné un Finisseur issu des des zones périphériques . Mais ça, il ne le savait pas.
Pâkis ne monte pas jusqu’à la tribune des Argos, il m’adresse un rapide salut au bas des marches et s’éloigne. Il est temps qu’il rejoigne son poste de Rapporteur.
Komer ne tient pas en place. À peine a t-elle effleuré l’assise du siège que déjà elle se lève et trépigne comme un enfant qu’elle n’est déjà plus. Je suis émerveillé de voir à quelle vitesse elle grandit. Je l’ai délaissé si longtemps. Elle a conservé la coupe austère de ses cheveux . Cette coupe carrée imposée par l’institut qui la retenait loin de moi. Mais, j’aime ses courts cheveux noirs qui encadrent ses joues rosies par l’excitation et qui donnent au bleu profond de ses yeux cet éclat de vie que je m’efforce de conserver, moi, à grand renfort de collyre. Sans doute se plaît-elle ainsi car les établissements intra-muros qu’elle fréquente aujourd’hui, sont beaucoup moins rigoureux.
Un coureur du Ring ne doit pas avoir d’enfant, ne devrait pas. Je n’ai pas voulu Komer et je ne l’ai pas reconnue au début. Pourtant, maintenant, mes seuls regrets,cette amertume au profond de mon âme, c’est de l’avoir renié toutes ces années. Tout ce temps, ces jours, ces heures, ces minutes ont creusé cette distance entre-nous. Je me sens si démuni, maladroit. Il ne s’agit pas de régler la cohésion d’un Trium, d’allonger la foulée et d’augmenter le rythme des pas pour combler cet espace, ce retard. Pourra- t-on un jour se rejoindre vraiment ? Pâkis est certainement plus proche d’elle. Oui, il y a certainement Pâkis entre nous deux… Mais il s’effacera. Il a été un précieux secours lorsque sa mère est morte, mais il dégagera. Il me le doit. Sans moi il ne serait plus rien. Non, il n’y a rien entre-elle et lui, juste un accord, juste un marché.
Mon pied s’ankylose. Ces longues stations immobiles me sont pénibles. Quand pourrais-je me débarrasser de cette foutue atèle ? Est-ce que je pourrais courir à nouveau ? Ça ne serait plus pour un Ring, sûr !… Pourtant, celui-ci, j’aurais pu le gagner. J’en avais la force, je suis pas si vieux et j’avais un bon Trium… Trois victoires : exceptionnel ! Un autre K à mon nom, un K majuscule ! Bah !… Mais, peut-être que ce Ring aurait été le Ring de trop. Va savoir… Peut-être que ce jour serait celui de ma mort.
On croit maîtriser sa vie, mais on ne maîtrise rien. Foutaise, on prend ce qui vient, on fait ce qu’on peut. Rien n’est écrit, rien ne nous est destiné. J’aurais pu jouer ma vie aujourd’hui mais je ne joue qu’avec des écrans, des micros et des drones. Je regarde les autres courir, je les surveille, les contrôle. Fini les honneurs, la gloire et tout ça. On ne m’acclamera plus, je ne brandirai plus le cercle d’or… Mais je vis intra-muros avec l’élite, les notables, je suis Argosmaster, sacré compensation ! Ça fait passer les petites douleurs, ça fait taire les doutes, la rage et l’amertume. Les scrupules aussi.
Soudain, Komer bondit de son siège et désigne l’écran géant face aux tribunes d’honneur.

–  Ils arrivent, Père, Ils sont là !

Depuis la mi-journée, les images ont défilé sur les écrans. Il y en a toujours plus, installés sur les murs de la vieille enceinte ou aux carrefours des avenues, partout où le public se masse. Jusqu’à présent, il n’y avait que des images d’archive, des rediffusions de séquences mémorables. Ça passait en boucle, ponctué d’annonces publicitaires. Un fond d’images, un bruit de fond. Puis,une forte musique a signalé la fin des rediffusions, des images en direct de l’artère principale ont empli les écrans et la voix enthousiaste du commentateur a vibré dans les hauts parleurs :

–  Je déclare ouverte la grande parade des quartiers, pour le 30eme Ring, de la troisième ère ! 30, chiffre historique ! 3 chiffre magique ! Je pressens une course d’exception, citoyennes, citoyens, une course mythique !

–  Ils ont des drapeaux,regarde ! continue Komer. Mais je ne reconnais pas les quartiers.
–  Ce ne sont pas vraiment des drapeaux, ce sont des banderoles.

Komer est dressée sur la pointe des pieds et se penche en avant autant que lui permet le garde-corps de la tribune, comme si les quelques pouces gagnées permettaient une vue plus précise des images diffusées à l’autre bout de la place Haute.
La caméra se rapproche du cortège qui débouche au bas de l’avenue, s’attardant à montrer l’excitation des spectateurs et la progression martiale des premiers coureurs engagés sur la large voie, jouant avec les plans d’ensemble et les gros plans, révélant les slogans imprimés sur les plaques des protects et ceux illustrant les banderoles.

–  C’est le début du cortège, Komer. Ceux que tu vois sont des Indés. Tu sais, des indépendants. Les coureurs qui ne dépendent d’aucun quartier. Ils courent pour eux même et pour leurs sponsors.
–  Ha ! C’est pour ça que leur protect sont si bizarres avec toute ces couleurs. C’est bizarre mais c’est joli.
–  C’est de la publicité, faut que ça se voit. Pareil pour leur bannière, juste des banderoles publicitaires.

– 30 ! 30 ! Ils sont 30 ! Pour le 30eme Ring, nous avons voulu 30 coureurs indépendants ! Pas un de plus, pas un de moins ! Honneur, citoyens, honneur aux coureurs solitaires ! Le vainqueur est peut-être parmi-eux ! Car nous les avons voulu redoutables, notre sélection à été implacable !

– Tu vois, Komer, il faut de la monnaie pour s’inscrire, beaucoup. Les annonces ça sert à ça et même ça ne suffit pas toujours, certains s’endettent pas mal… La sélection, faut pas trop te fier à ce qu’ils racontent, la sélection c’est surtout par la monnaie… Et ils ne crachent pas sur celle des quartiers.

Komer détourne les yeux de l’écran et me fixe, perplexe. J’aime les deux petites fronces que font ses sourcils sur son front.

–  Alors, c’étaient des Indés qui s’entraînaient avec toi le jour où…
–  Oui, il y avait des Indés aussi… Les quartiers les recrutent pour qu’ils assistent le Trium, le renforce. Mais ce n’est pas officiel, ça se fait mais ça ne se dit pas. Il n’y a pas beaucoup d’indés qui ne courent pas pour un quartier, pour la monnaie, mais qui courent pour eux même, pour la gloire…
–  Tu…Tu reconnais ceux de notre secteur ? Continue t-elle hésitante.
–  Je ne suis plus dans course, Komer… Il faudrait qu’ils ôtent leurs casques ou que je connaissent leurs annonceurs. Que je connaissent leurs codes. Même s’ils m’ont nommé Argosmaster, je n’ai pas à avoir de relations particulières avec le Stadium K. C’est comme ça, on ne peux pas être juge et parti. Je ne fais plus partie du Stadium K… C’est fini maintenant.

Komer n’insiste pas. Elle craint de raviver des souvenirs douloureux. Je descelle tant de sensibilité chez elle. Il y en aura t-il assez pour nous rapprocher ? Les liens du sang, va savoir…
Je dois oublier, effacer l’accident de ma mémoire. L’accident… Mais, je les revois autour de moi, encore : Kairos, les dirigeants du Stadium. Je les entends toujours : mauvaise chute Akkkil. Quelle perte pour le quartier. Un coureur de ta trempe ! Je m’entend protester : c’était qu’un exercice! on m’a pas dégagé dans les règles ! il y a eu des incompétences, des fautes, il y a des responsabilités à assumer ! Et je m’entends soupirer, capituler si vite : Argosmaster, c’est votre proposition ? Bien sûr que ça m’intéresse. Résider Intra-muros, ma fille dans les meilleures institutions… Je les ai même senti surpris que je ne me batte si peu. Peut-être n’auraient-ils pas été aussi loin s’ils me connaissaient vraiment, s’il savaient ce qui me motive vraiment. La gloire, croyiez-vous ? L’honneur du secteur K ? Allons donc…
Il y a eu ce bruit strident dans le casque. Puis la chute. Non, ce n’est pas l’Indé qui m’a dégagé, ni la chute qui a sectionné mon tendon. Le coup est venu de derrière. Un coup trop violent pour un entraînement : le Néo ? Est-ce qu’un Néo aurait pu connaître le point faible de mon protect ? Alors Kulys ?… Kulys.
Tout à coup une clameur retenti dans les haut parleurs relayé par la voix du commentateur.

–  Les quartiers ! Les quartiers fait Komer en battant des mains.

–  Ils arrivent, ils sont là ! Nos quartiers, Notre cité, citoyennes, citoyens. Notre ville dans ce qu’elle a de plus beau, de plus grand, de plus admirable. Nos neuf quartiers, nos neuf glorieux quartiers ! Voilà les porte-étendard des vainqueurs qui s’avancent. Ils ont remporté le dernier Ring ! Elles sont là : les bannières flamboyantes du secteur K. Avec le fameux scarabée sang et or. Écoutez, citoyennes, citoyens, fiers habitants de notre république, écoutez leur chant, écoutez leur hymne. Ska ! Ska ! Skarabée ! Ka ! Ka ! secteur K !

Le rouge et de jaune envahissent l’écran. Ils se déploient sur les bannières que les porteurs jettent au dessus d’eux en d’improbable figures avant de s’en saisir pour un autre lancé. Ils ornent les costumes d’apparat des tambours et des joueurs de cor. Ils illuminent les luxueux caparaçons des quatre chevaux tirant le large char où paradent les coureurs engagé pour la 30eme course du Ring. Là où j’aurais dû être. Finisseur du Trium K.

–  Ka!ka ! Secteur !Ka ! fait Komer.

Son poing dressé en avant scande chaque syllabe. Conformément au rituel du quartier, elle garde les deux doigts des extrémités tendus, à l’image des mandibules de scarabée.

–  Ce n’est pas Ektor sur le char, c’est ça ?
–  Non, Ektor ne courra pas, Komer.

Non, ce n’est pas Ektor. Pourtant, c’est lui qui aurait dû être ma place. C’était le plus doué, le plus rapide, le plus agile. Il avait le Ring dans la peau, il sentait les choses avant qu’elles adviennent, une intuition rare. Intelligent, ouvert aux conseils, respectueux des aînés, de la hiérarchie, et cetera , cetera… Et des règles. Des règles… Elle ne sont pas toutes écrites, les règles, les lois. On ne verra jamais un vainqueur du Ring issus des zones périphériques, jamais. Ce n’est pas écrit ça. Ils peuvent nous faire croire ce qu’ils veulent, c’est un fait : c’est la situation qui compte, pas le mérite. Malheur aux naïfs… Il est tombé de haut, Ektor, de bien plus haut que moi. Il a compris maintenant, il a bien fait de se barrer de tout ce cirque. Rester Voltigeur et faire gagner Kulys, ultime humiliation ! Kulys Finisseur, quelle farce…

–  Master, master. On a perdu le visuel sur la porte Nord !
–  Fucklé !

 

RING

 

DEUXIÈME ROUND

Précisons le décors :

C’est la cité. La partie la plus centrale de la ville. La plus ancienne aussi. Celle qui se trouve ceinte d’une antique muraille l’isolant des quartiers plus récents dont les hauts immeubles s’élèvent d’autant plus haut qu’ils s’éloignent du centre pour s’affaisser ensuite, en s’essaimant, dans les zones péri-urbaine. Le large fleuve qui borde l’agglomération au nord-ouest, limite la cité à ses vestiges fortifiés, acculant l’ancienne ville à l’intérieur d’une sorte d’amphithéâtre dont le front de scène serait les hautes collines de la rive droite du fleuve.
Au sud, une large faille dans la muraille ouvre la ville sur une longue artère conduisant à une succession de places s’étageant jusqu’au pied d’un massif rocheux où des bâtiments nouveaux et coûteux semblent surgir de ruines d’édifices d’autres temps.
Une foule bigarrée et bruyante, contenue par des barrières de sécurité, se presse de par et d’autre de l’avenue. Elle envahit les balcons, se serre aux fenêtres des immeubles et s’entasse sur les gradins métalliques montés au abord des deux places et sur le pourtour de la muraille. Multitude, effervescence, couleurs vives des costumes, des banderoles, des annonces qui défilent sur les écrans lumineux, tonitruances des chants, des rires, des cris et des musiques confuses des les hauts-parleurs.
C’est la trentième course du Ring de la troisième ère.

… Et continuons l’histoire:

Quelques croquis pour prolonger...

Quelques croquis pour prolonger car c’est un peu court non?

TROIS

 

 

 
– On s’emballe pas au début… Je donne le rythme, basez-vous sur mes pas.

Plus aucune interférence ne brouille le message d’Akkkil. Il y a eu les piétinements inévitables après le signal du départ, mais maintenant, son pas sonne distinctement sur l’agrégat de la piste… Devant, les Néos sont se lancés. Ils ont déjà creusé la distance.

– Akkkil au Défenseur : Ils en sont où derrière ?
– Je ne les ai pas en visuel ? Pas encore…
– Oc, On maintient l’allure, on laisse venir… On va voir où en est leur cohésion.

Une respiration réglée sur la course accompagne les phrases du Finisseur. Trois pas d’expiration, deux pas d’inspiration… Une machine…

– Akkkil au Rapporteur : ça donne quoi ?
– Ça se rapproche à l’arrière, ça s’éloigne devant, répond la voix grésillante de Pâkis
– Tu sera en contact permanent ?
– Non, je… Une quinte de toux interrompt le message. Je… Il y aura des coupures, des brouillages. On se la fait dans les règles de l’art. C’est les Chronos qui gèrent…
– Le brouillage… Les Indés… Comme si on y était. La totale…. Où es-tu posté, Pâkis ?
– Tribune sud, brassard jaune. J’ai un bon visuel sur le premier tiers de boucle. Après c’est compliqué…
– Ça suffira pour les dégager…

Pâkis se distingue bien dans la tribune quasi déserte… Il y a un enfant assis à côté… Une fille, on dirait… Certainement Komer, la fille d’Akkkil. Elle l’accompagne maintenant… Partout…. Même ici, une fille !… Privilège d’un triple K… Les autres rapporteurs informent leur Trium par des gesticulations comiques. Pourtant rien n’est encore brouillé… Répétitions… Apprentissage des codes…
Une nouvelle toux rauque dans les écouteurs :

– Ça serre à l’arrière, une dizaine de foulée.
– Tu les vois, Kulys ? Demande Akkkil.
– Je vois et j’entends.
– Bon, laisse venir… Maintiens la distance de sécurité jusqu’à la prochaine tour…Dès qu’on est dedans, t’accélères… Il te suivra… Avant que les autres réagissent, on aura fait gicler leur voltigeur… On se règle sur toi.
– Oc, tactique classique…
– Tactique du gicle-Néo !Ah ! Ah!…

Rire et courir… Ce n’est pas incompatible pour d’Akkkil… Lent, vieux, rustique… Pas de consigne pour moi… Il sait que je sais… Après la tour, il y aura la piste bien droite, sur la courtine… Je me décalerai pour que le Néo me voit devant… Et pense que le notre Trium maintient la formation… Le Défenseur s’alignera juste derrière le Finisseur… Le masquera de son large protect… Se laissera approcher… Jusqu’à ce qu’il se décale soudain… Et que le Néo s’empale sur le poing du Finisseur qui l’attend, immobile… Hors de portée des deux autres trop éloignés pour agir….
On fait ça à chaque début de saison… A tous les Néos… Moi aussi, j’y ai eu droit… Mais avec moi, ça s’est pas passé pareil… Alors, ils ont su ce que je valais… Et je suis Voltigeur du Trium Premier…
Je passe les murs de la tour. C’est un espace ouvert, à peine plus large que le chemin de ronde. Aucun surprise à attendre ici… J’entends la foulée d’Akkkil… Plus forte, plus proche… J’accélère… Tout se passera dans mon dos et dans mes oreilles.

– Alignement ! Ordonne Akkkil au Défenseur.

J’accélère un peu et me déporte pour rester bien visible. Puis : juste la respiration et le battement des pas…

– Prêt ? Écart !

Le bruit de l’impact, le cri de douleur, de surprise… Je risque un regard à l’arrière. Le Néo a roulé au pied du mur… Il se relève déjà… Le choc à été violent mais sans danger, Akkkil à visé le plastron… Ce n’est qu’un exercice.
A nouveau, son souffle puissant et régulier dans les écouteurs.

– En avant maintenant, rugit Akkkil. Poursuite ! Poursuite ! Je donne le rythme !

Je vois l’autre Trium devant… Il nous a pris quelques longueurs mais semble ralentir… Ils ont compris qu’ils étaient partis trop vite… Trop loin pour voir le combat mais leur rapporteur les aura informé.
Nos pas martèlent l’agrégat de la piste… La foulée est plus longue, plus rapide… Akkkil accélère encore… encore… Là bas, ils arrivent en bout de la courtine, ils vont passer l’autre tour… Mais ça hésite… Ça s’arrête presque… Ça nous regarde… Sûr, on leur fait le spectacle, la leçon… La cohésion, Néos, la cohésion !… Admirez ! Droite, gauche, droite, gauche … Gauche !… Gauche !… Ensemble, un même pas… Un même son… Un même accord ! Une machine…
Mais le vieux ne tiendra pas longtemps l’allure…
Ils repartent… Ça panique… Leur voltigeur creuse un écart invraisemblable… Cohésion, Néos ! Cohésion ! Je vais vous dégager les uns après les autres…
– Pâkis, les Indés ? S’inquiète Akkkil.
– Toujours pas… Rien… Mauvais visuel… Il y a des pans de mur, des renfoncements au niveau de la prochaine tour… et après la tour de la poterne 4, je ne vois plus la piste…
– On les aura avant… Ektor, lance-toi, on suit… Fait le ménage !

S’élancer vraiment, jaillir… Mais tout ce poids sur le corps. Ce carcans… Te souviens-tu Pâkis : nos courses au bord des falaises, le soleil sur nos muscles luisants, le vent !.. Le vent à plein poumon… Que reste t-il de tes poumons, mon ami ?… Je passe la première tour signalée par le Rapporteur. Personne… Les trois sont devant… C’est maintenant une longue courtine jusqu’à la poterne 4… Ils sont désunis. Je serais vite sur eux… Gauche, gauche. Mon pas sonne. Écoutez Néos, écoutez cette musique!…
Le Défenseur n’est plus qu’à quelques foulée… Quelques coudées… A portée…  Il m’a entendu, il m’a vu… Il ne se retourne pas. Il refuse le combat, continue à courir à son rythme de cloporte… C’est d’ailleurs à ça qu’il ressemble. Ce nouveau protect à larges lamelles intègre le casque même… Carapace d’insecte. Cloporte, ça leur restera… Il me barre le passage. Trop risqué de le déborder : un coup d’épaule et je gicle… Insaisissable, mes coups glissent sur son armure, à peine redouble t-il son pas pour garder l’équilibre… Mais je connais ton jeu, cloporte ! Tu attends que je frappe vraiment : le coup décisif… A deux poings, comme ça, Han ! Ça t’a secoué là !… Ça te plairait que je recommence hein ?… Je feinte un nouveau coup, le Défenseur s’écarte d’un rapide pivot. Je bascule vers l’avant, me baisse pour éviter le coup attendu, et retrouve l’équilibre. Le Néo me présente maintenant sa face. Les protects de Défenseur sont très légers devant, une plaque sur l’abdomen et encore. Les nouveaux respectent la norme. Je mime un coup dans le plexus. Je le touche à peine, ça suffit.

– Et, voilà t’es mort, Néo, sur le Ring, t’es mort. Maintenant dégage.

Mais le Défenseur ne réagit pas. Surpris, déçu, humilié ? Le casque masque entièrement son visage. Je ne vois rien d’humain chez lui. Ce pourrait être une machine, un robot….
L’écouteur crache soudain la voix de Pâkis :

– Un Indé, un Indé derrière vous… Un rapide, il gagne, il…

Un grésillement continu prolonge sa phrase.

– Pâkis, Pâkis ! hurle Akkkil. Fucklé ! Brouillé… Un Indé ! D’où il sort ?

Puis :

– Qu’est-ce que tu fous, Ektor, j’arrive sur toi, dégage-le !

Un coup d’épaule libère définitivement le passage. Pas le temps de si voir ce cloporte se met en boule pour amortir sa chute. Je cours. J’entends déjà la foulée d’Akkkil. Là bas, sur les gradins, Pâkis agite frénétiquement mains et bras. Que dit-il ? Je vois mal ses signaux…
Akkkil, lui, les comprend:

– Kulys, l’Indé va être sur toi, derrière. Retarde-le et fait-le gicler si tu peux. Je rejoins Ektor. Il y a…

C’est, maintenant, un bruit strident dans les écouteurs.Intolérable.
Déconnecter, déconnecter ! Impossible : rien ne fonctionne. Courir, continuer à courir. Devant, les deux du Trium arrivent à la tour de la poterne 4. Ce bruit ! C’est une douleur ! J’arrache mon casque. Le Néo-Finisseur grimpe les marches qui conduisent à l’entrée de la tour. Il sera bientôt hors de prise. Pas le choix : le casque dans ses jambes… Beau tir. Il s’écroule sur les degrés. Je suis sur lui. Je le gicle.

– Stop, stop ! Crie t-il en levant les mains. C’est bon, je suis hors jeu, je me range.
– Oc, dégage-toi !

J’enjambe son corps qui docilement se retire. En haut des marches, je passe la poterne et pénètre dans le sombre réduit de la tour. Le dernier Néo passe la porte opposée. En trois foulée, je le rejoins. Il hésite, se retourne presque. Doit-il essayer de me distancer ou bien faire face et combattre ?… Tu es une bête Néo. Ne l’as-tu pas compris ? Libère l’instinct, libère le corps. Si tu réfléchis, tu es mort… Mais c’est trop tard pour toi : feinte de coup au visage, fauchage de la jambe d’appuis, contact de l’épaule et dégagement.
Je m’attarde un instant à le regarder se ramasser quelques coudées plus bas et lui fait un signe narquois de la main. Exercice terminé… Akkkil va me rejoindre. Déjà son pas cogne dur sur les marches et je vois sa tête apparaître en bas de l’ouverture.

– A kkkil ! Akkkil ! L’Indé ! L’indé !

Je viens juste de l’apercevoir, plaqué contre la paroi, en embuscade. Le voltigeur s’est sacrifié. Il m’a attiré et piégé comme un Néo. J’enrage de ma négligence. Je hurle, gesticule. Je ne peux pas revenir, aucun retour n’est autorisé sur le Ring, un pas en arrière et on t’éjecte.

– L’Indé ! Fucklé, Akkkil !

Nous nous sommes trop étirés. Nous avons perdu la cohésion, mais Akkkil s’en sortira, il en a vu d’autre. Pourtant : un cri de douleur. La tête d’Akkkil semble rouler sur le côté, j’entends le bruit mat de la chute de son corps au bas de la tour.
Je saute du mur et contourne la tour. Akkkil gît au pied de la courtine. Il semble sonné. Le mur est plus haut à cet endroit à cause des marches qui conduisent à la poterne. Lui aussi a ôté son casque et un filet sanglant macule sa tempe droite. Mauvaise chute. Ses lunettes ont glissé dévoilant un regard vide. C’est vrai qu’il y a du jaune au fond de ses pupilles.
Je lui tapote les joues devenues très pales.

– Akkkil… Ho ! Akkkil…

Il revient à lui, le jaune de ses yeux s’estompe, passe au vert, presque au bleu.

– Fucklé, Ektor, qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je t’ai dégagé Akkkil… Tout simplement, répond une voix au dessus de nous.

L’indé se tient sur la dernière marche d’accès à la poterne, appuyé négligemment au montant de l’ouverture.

– J’ai giclé Akkkil, Akkkil le triple K !… C’est tout.

J’exulte :

– T’as rien dégagé, j’étais là, j’ai vu ! C’est l’autre là… C’est toi derrière! T’étais hors jeu… Fucklé ! Hors jeu !

Le Néo-Finisseur est assis sur la première marche, un sourire ambigu aux lèvres. Il se tait. Kulys est là aussi, debout, non loin des deux autres, il tient son casque sous le bras. Le bruit, ce foutu bruit…

– Kulys, t’étais juste derrière, qu’est-ce qui s’est passé ?

Kulyss désigne d’un mouvement de tête le dernier Néo qui nous rejoint au bas du mur.

– J’avais celui-là dans les pattes… J’ai rien vu.

Je me demande d’où vient ma rage ? De la posture vaniteuse de l’indé, du neutre détachement de Kulys, des mensonges, d’une trahison forcement un trahison : on ne dégage pas comme ça le Trium Premier. Kulys soutient mon regard, impassible. Mais je sens ma colère s’estomper. Après tout, Akkkil est peut-être définitivement trop âgé, usé. Peut-être que la pénombre de la poterne a masqué une manœuvre, un mouvement. Qu’ils l’ont effectivement éjecté, le vieux… Va savoir… Le destin. Peut-être que mon tour est venu… Enfin.
Akkkil met un terme à ma réflexion et à mon reste de colère.

– On s’en fout, Ektor… J’ai mal à la cheville, un mal de chien. Aide- moi à me lever, il faut que je vois si ça tient.

Je passe un bras sous son aisselle et le tire à moi. Un cri de douleur. Je sens son corps qui s’affaisse d’un coup et je m’effondre avec lui. Sa tête roule contre mon plastron. Son souffle est court et bruyant. Il bat fébrilement des paupières et son regard se perd derrière mon épaule. La bas, sortant du tunnel de la piste d’entraînement, se découpe la silhouette caractéristique de Pâkis ployé sur ses poumons ravagés. Devant lui, la jeune fille. Elle court vers nous.

– Komer, gémit Akkkil. Oh, Komer…

DEUX

 

 

 

– Qu ‘est-ce que tu as là ?

Akkkil désigne mon visage de l’index. Il n’a pas de gant. Comme moi, il préfère avoir les mains nues, libres. Même si les gants de protection sont parfaitement étudiés, rien ne vaut le contact direct des doigts sur les digitals du protect.
Akkkil s’est accroupi en limite du parapet qui supporte la piste d’entraînement, aussi bas que lui permettent les articulations de son protect. La tête du Chronosmaster ne dépasse pas ses genoux. Il affectionne particulièrement ces rapports de domination. Il peut se le permettre : c’est Akkkil. Il pourrait s’asseoir sur le bord de la piste et laisser ses jambes se détendre dans le vide. Après tout, nous avons couru une longue boucle. Mais, c’est ainsi qu’il affirme son inébranlable vigueur, malgré les blessures, malgré le temps, comme si il pouvait à tout instant reprendre la course à la demande du Master. Akkkil connaît les codes. Il sait en jouer, c’est sa force, c’est pour ça qu’il est là… Toujours là.
Le Défenseur, lui, a sauté au sol. Il s’appuie négligemment contre le mur où se déploie la piste d’exercice. Kulys, lui aussi, connaît bien le langage des comportements. C’est un malin, je m’en méfie. L’apparente désinvolture de sa posture n’est qu’une manœuvre pour se situer à la hauteur du Chronos, qui est plutôt petit pour un ancienne gloire du Ring. On ne domine pas un Chronosmaster.
Les Néos apprennent les règles et, s’ils ne sont pas trop idiots, comprennent les codes, ceux qui ne sont pas écrits, ni formulés mais qu’il faut sentir. Il faut des règles pour que tout tourne rond, c’est normal sinon c’est l’anarchie. Même les bêtes sauvages ont leurs lois. Il y a de la bête en nous, on se soumet à la hiérarchie de la meute sinon on gicle. Moi, je veux rester dans les lignes, sur la voie et avancer, courir, montrer ce que je vaux. C’est comme ça que ça fonctionne. Après ils plieront, ils courberont l’échine, je dicterai les codes… Je me demande si Pâkis avait bien intégré tout ça. Peut-être était-il trop fier pour s’y plier. Il pensait que son talent suffirait… Son talent… Oui, ça a joué au début. Avant qu’il comprenne qu’on ne triche pas avec la poussière. Tôt ou tard elle se réveille, ronge l’intérieur comme un crabe…Ils l’on écarté aussitôt qu’ils ont su. Aussitôt. Et maintenant les codes, il les connaît, sûr, il a intérêt.

– C’est du sang ? Interroge le Chronosmaster

J’ai dû me barbouiller le visage en crachant le caillot.

– Mon masque s’est dé-clipsé dans le nuage. Je l’ai replacé mais c’était plus ça… L’étanchéité, c’était plus ça…

Je prends appuis d’une main sur bord du parapet et saute aussi lestement que le permet mon protect sur le sol du stadium. L’œil du borgne examine mon visage maculé.

– T’en as respiré ?
– Non, Je ne crois pas. J’ai couru en apnée. Enfin presque…

Il manipule négligemment mon masque qui pend sur le plastron du protect.

– Peut-être un problème de ventouse. Un défaut de compression. Ça peut arriver, il fait chaud…

Puis, me fixant à nouveau, il lâche :

– Tu viens des zones périphériques sud, c’est ça ?
– Oui, Master, sud-est.
– La poussière, vous connaissez, je crois, ceux du sud-est ?…

Rien à répondre, juste un semblant de sourire crispé. Je n’aime pas les façons du Master, cette jouissance à mettre mal à l’aise avec des remarques équivoques. M’a t-il vu courir sans masque ? Enfreindre le règlement ?.. Non, il me rappelle seulement d’où je sorts. Il me situe par rapport à lui et il se venge de l’humiliation que lui fait subir Akkkil. Certains affirme qu’Akkkil vient du sud-est, lui aussi. Qu’il cache des pupilles jaunes derrière ses lentilles… En fait, c’est Akkkil qui est visé à travers moi, il le ramène à ses origines supposées. Mesquineries, frustrations, les bêtes montrent leurs crocs… J’en ai rien à foutre de tout ça. Moi, je suis un coureur, un bon coureur. Le meilleur, ils le savent. Et je serais Finisseur, le Finisseur. C’est tout ce qui m’intéresse : courir. Courir plus vite, plus fort, encore…

– Voilà l’explication du décrochage …

Akkkil se décide à nous rejoindre. Il s’assoit sur le bord de la piste et se laisse glisser le long du parapet.

– Un défaut technique, Kairos, juste un problème de matériel.

Si Akkkil appelle le Chronosmaster par son nom, ce n’est pas par irrespect ou provocation, ils se connaissent depuis longtemps, il y a eu des histoires entre-eux lors d’un Ring. Je n’étais même pas Néo alors. Tout ça est assez confus et je m’en fous. Mais la justification d’Akkkil me convient parfaitement.

– Oui, ça m’a perturbé, Master. Pendant un instant, j’ai perdu le contrôle du rythme. Je me suis éloigné.
– Rien ne doit perturber un Voltigeur ! Tu devrais avoir intégré ça, t’es plus un Néo, Fucklé! L’ index du Master frappe mon plastron, scandant ses paroles. Tu es le Voltigeur du Trium Premier, Ektor, celui qui courra le Ring. Le Masque, pff !…

Puis s’écartant de moi, il poursuit à l’intention du groupe :

– Le problème c’est que vous êtes trop lents. Trop lents, loin des objectifs de progression prévus.
– Ce ne sont pas les statistiques qui forment un bon Trium, Kairos, répond fermement Akkkil. Tu le sais mieux que personne. On est lent, d’accord, mais on a du temps, le Ring c’est pas pour demain… C’est la cohésion qui compte et nous n’avons pas encore le même tempo. Il faut régler ça. Tu as dû l’entendre sur les enregistrements: la cohésion n’y est pas encore… Pour la vitesse, on a le temps.
– La cohésion… Quand ton Voltigeur et ton Défenseur auront giclé, quand tu resteras seul sur le chemin de ronde ! Tu parles, la cohésion…
– Si je reste seul du Trium dans la course, il n’y aura plus beaucoup de monde pour me barrer la route. Ils auront fait le ménage, crois-moi ! J’ai voulu les meilleurs, je les ai, tu le sais.

Kulys et moi restons à l’écart de ce combat de mots. Nous ne sommes que des auxiliaires. Chacun à sa place et ça ira.
Kairos jauge un instant la détermination du Finisseur et reprend :

-Tu es bien sûr de toi, Akkkil. Tu es un triple K et tu en as l’arrogance… Mais je suis toujours ton Chronosmaster et c’est moi qui décide.
– Oc, Master Kairos, fait Akkkil dans un vague sourire.

Voilà, chacun est à sa place et ça va aller.

– On va terminer la séance avec tout le monde, reprend le Master. Il faut vérifier les connexions avec les Rapporteurs et puis il est temps de tester les Néos dans les combats. Certains Néos porteront le nouveau protect, avec le masque intégré… Ça va te plaire Ektor, plus de soucis avec la poussière, hein ?

Je réponds d’un hochement de tête, le plus insignifiant possible. Des rumeurs insistantes circulent à propos de ces nouveaux protects, je redoutais leur mise en pratique : cet enfermement complet. Une sorte de scaphandre armé, enfin c’est ce que j’ai compris. Peut-être juste les mains, juste les mains libres, si peu de chose… Bah ! Faudra s’y faire, comme pour le reste, nous sommes des professionnels disciplinés, compétents… à leur place…
Kairos penche légèrement la tête pour parler dans un minuscule micro accroché au col de sa tenue :

– Bon, Envoyez les Néos sur le chemin de ronde pour un simili Ring. Le Trium premier partira de la poterne 3. Je vous rejoins sur le perchoir.

Puis, s’adressant à nous :

– Poterne 3 ! Ne les faites pas attendre. Vous savez comme sont les Néos, au début, ils sont impatients, après, beaucoup moins. Ah!Ah!Ah !

Kairos  ponctue sa phrase d’un ricanement qu’il aurait voulu plus communicatif. Puis, alors que nous nous engageons sous le passage  reliant les différentes pistes, il reprend :

– Ah ! J’ai prévu de tester des Indés avant de les recruter. Un ou deux, enfin vous verrez bien. Ne les ménagez pas.

Non, nous ne ménagerons pas les Indépendants. On ne les ménage jamais. S’il ne sont pas à la hauteur, on les dégage, s’ils sont bons, ils les gardent et ils les payent. Ce sont des mercenaires, ils se foutent du quartier pour lequel ils courent et on se fout d’où ils viennent. Des bêtes sauvages, des loups, pas de fierté, pas de code. C’est la la monnaie qu’il cherchent.. La monnaie… Mais c’est inhabituel de les éprouver si tôt…
Passé l’étroit tunnel, nous devons marcher encore quelques pas pour rejoindre le chemin de ronde. Cette piste reprends presque à l’identique des portions de l’antique muraille du Ring. Avec ses tours, ses porches, ses ruines, ses passerelles qui enjambent les failles des murs. Bien sûr tout cela n’a que quelques coudés de haut, mais vu des gradins ça fait un sacré effet et il faut un beau stadium pour attirer les annonceurs… Lorsqu’on s’approche, évidemment, ce n’est que du décors.
Un bruit aigu s’amplifie derrière nous. Les aspirateurs récupèrent la poussière. Il n’y a pas de petites économies. Ce n’est que de la poussière d’exercice, mais elle vaut quand même son pesant de monnaie. Je me retourne un instant pour voir le nuage s’animer sous l’action des machines, prendre vie, comme un long vers grisâtre.

– Allez, Ektor, fait Akkkil, m’entraînant par l’épaulière du protect. On se bouge, Il y a quelques Néos à dégager…
– Et des indés, on dirait…
– Oui, des indés…

Je gravis les quelques degrés qui mènent à la tour de la poterne 3 en vérifiant du bout des doigts l’ajustement de mon casque. Je bloque mon masque-filtre de manière à éviter tout ballottement gênant et interdire toutes prises possibles pendant les contacts. Il ne servira plus maintenant, il n’y aura pas de poussière.
Les Néos sont déjà prêts, fébriles. Certainement leur première vraie course de combat. Il s’échauffent sur l’étroite piste en sautillant de façon désordonnée. Il y a un Trium sur la droite dans le sens de la course et un autre assez loin sur la gauche, certains coureurs portent les nouveaux protects, le soleil luit sur leur caque intégral. Nous allons donc dégager les premiers avant que les seconds nous rattrapent… Tactique sommaire… Efficace.

– Hé, le Trium Premier, crachotent soudain mes écouteurs. Je suis votre Rapporteur sur ce tour, vous me recevez ?
– Pâkis ! Pâkis, c’est toi ?