Archives mensuelles : novembre 2011

Chapitre 11

 Regardez souffrir les vagues. Elles écument de leurs mufles des crachats à la mort.

Carlos est adossé au mur de la bicoque, juste à côté de l’entrée, le pistolet armé. Il jette un regard furtif à l’intérieur. Puis, il fait un geste bref du menton à Ernesto qui attend en retrait.

–         Adelante !

Les deux hommes s’élancent dans l’entrée, les armes braquées dans la pénombre.

–         Sortez dé là ! déhors !

Petit à petit la clarté diffuse révèle la pièce. Elle est jonchée de journaux et de dépliants publicitaires. Certains sont empilés soigneusement, économisant l’espace, d’autres s’accumulent en tas informes étayés par une énorme pompe à eau hors d’age, vestige d’activités agricoles révolues.

–         ¡ Nada! ¡ Malditos! Demasiado tarde.

Carlos range à regret son arme dans la poche intérieure de son manteau, puis sort. Ernesto le suit. Les écouteur fixés sur les oreilles, il chantonne :

–         Por una cabeza de un noble potrillo

           que justo en la raya afloja al llegar

           y que al regresar parece decir:

           No olvides, hermano, vos sabes que no hay que jugar…*

 

Sur le seuil, Carlos s’arête brusquement.

–         ¡ Cállate! Escucha.

Des bruit de raclement : on déplace quelque chose de lourd, là bas, vers la rivière.

–         ¡ En el río, rápidamente!

Il leur faut peu de temps pour trouver la fillette sur la petite plage. Elle s’efforce de glisser la barque à l’eau. Mais le bateau est lourd, son fond plat semble collé sur les galets. Il n’autorise que de légers basculements.

Absorbée par sa peine, elle n’entend pas les deux hommes arriver. Ils restent silencieux sur le talus dominant la berge, a demi- cachés par l’arbre surplombant la rivière. Ils s’amusent des efforts vains de l’enfant.

–         Alors, c’est ça. Tou né nous aimé pas, vraiment ?

La fillette sursaute et se retourne, livide.

–         Carlos !

–         Tou veux t’en aller, c’est pas cool, ça mé fait dé la peiné, tou sais…

–        Yo siento alzar más y más

          la llama en mi idolatría;

           pues mi mayor alegría

           y mi sueñito mejor

           es jinetear en tu amor*, commente Ernesto.

–         Pourtant tou vois, nous, on s’ocoupé dé toi… On té laissé pas toumber comme ouné vieillé chaussetté, hé ?… Il est où toun grand typé ?

–          Il, il…. Il ,est parti.

–          Tou vois, parti… C’est qu’à Carlos qué tou peux fairé confiance… Tou  vois, qu’à Tonton Carlos… Allez, viens là… Il va bientôt plouvoir… J’ai pas envi dé mé mouiller.

La fillette soupire, indécise.

–         Bon, ok Carlos, je prends mes affaires dans le bateau.

–          C’est ça, prend tes aff…

Un vol plané vers la rivière conclut sa réplique. Les deux hommes s’étalent dans une gerbe d’écume. Neptune est déjà sur la plage. Il tire la barque à l’eau, la pousse dans le courant, saute à bord et de sa longue perche, propulse l’embarcation hors de portée des malfrats.

–         Honhon ! Fait la gamine. Je t’avais bien caché, hein ?

Le tonnerre retentit, quelques gouttes de pluie amorcent l’orage.

–         ¡ Maldito! ¡ Maldito! Jure Carlos

Il se relève péniblement, alourdi par son manteau gorgé d’eau. La force du courant, glissant entre ses genoux, rend son équilibre précaire. Des ruisseaux dégoulinent sur son visage, plaquant ses cheveux en mèches raides contre ses lunettes toujours en place. Sans son chapeau, il est méconnaissable. A côté de lui, Ernesto examine son baladeur noyé, les écouteurs pendent entre ses doigts comme des serpents morts.

____

Maintenant, la pluie tombe à verse sur le vieux moulin désaffecté. Le pêcheur et la fillette sont enveloppés dans des sacs de jute poussiéreux trouvés sur place. Leurs habits sèchent sur un fil tendu dans l’angle de la grande pièce. Serrés l’un contre l’autre, ils regardent, à travers le treillis de la grande verrière en ruine, le jour s’éteindre dans la grisaille pluvieuse.

–         N’empêche, Honhon, tu les as bien envoyé valdinguer. Hi ! Hi ! Hi ! Les deux à la fois… Tu veux un gâteau, il en reste ?

____

Le vent a chassé l’orage. Le ciel est d’un bleu pur, juste strié par les traces blanches des avions. La rivière s’est élargie mais elle est barrée par une digue à fleur de la surface. Cela fait une retenue d’eau pour une aire de jeu nautique en contrebas du village. L’eau tombe en cascade et retrouve son lit juste en dessous.

La barque est en porte-à-faux sur cette digue, mais le pêcheur connaît bien ce genre d’obstacle. Sous les yeux admiratifs de la fillette, qui attend les pieds dans l’eau, il fait glisser l’embarcation. Des gamins, sur le quai dominant la rivière, saluent l’exploit à grand renfort de cris et de gesticulations.

–         Youhou ! Fait la fillette, les saluant à son tour.

____

Trop souvent, de petites routes jouent avec la rivière. Elles l’épaulent quelque temps ou l’enjambent d’un petit pont bas. Alors, les angoisses assoupies s’avivent. Les deux fugitifs s’attendent à voir surgir la berline noire. La fillette scrute la route tandis que le pêcheur force l’allure pour retrouver l’abri d’un détour.

Pour l’heure, ils ont laissé la barque sur une longue plage de limon.  Il y a un verger chargé de pommes rouges derrière un étroit chemin longeant la berge. Neptune et la gamine se gavent de fruits.

–         Elles sont super bonnes, hein, Honhon ?

____

La rivière n’a jamais été aussi large. En amont, elle a mêlé ses eaux à une autre rivière. Des bâtiments industriels et des entrepôts cernés de grillages disputent les berges à des arbres chétifs et de hautes touffes de roseaux. 

Le pêcheur maintient le bateau proche des rives. Sa perche s’enfonce profondément dans l’eau. Ses coups sont rares, il ne cherche pas à donner de la vitesse mais juste à diriger la barque. La fillette chantonne en proue. Allongée sur le ventre, elle regarde fuir les vagues sur le courant.

Le bateau dévie. Il a fallu éviter une masse de roseaux s’abandonnant à la surface de l’eau. Il doit être  ramené rapidement vers les voies tranquilles du bord. Neptune plonge sa perche dans l’onde mais le bâton ne rencontre aucune résistance. La perche lui échappe des mains. Elle s’englouti entièrement pour émerger en aval, filant plus vite que le bateau qui dérive vers le centre de la rivière.

Là bas, la rivière disparaît. Au delà d’une limite qui la coupe d’une berge à l’autre, elle n’existe plus. Il n’y a, à l’horizon, qu’un lointain  rideau d’arbres et le ciel. La fillette s’est dressée sur les genoux.

–         Honhon, regarde !…

Le muet est debout à l’arrière, il montre ses mains inutiles. Le bateau se rapproche de la limite, il prend de la vitesse. La petite musique de l’eau devient un concert tonitruant. Les deux passagers se cramponnent au bastingage. D’un coup, la barque bascule en avant, elle racle par le fond, tourne sur son axe, verse presque. Puis, tout s’apaise. Le fracas de l’eau s’atténue.  Le bateau oscille sur les vagues, doucement, en une rotation lente. Il  s’écarte de la fureur de la rivière qui se déverse au dessus en une cascade bouillonnante. Le long pan incliné de cette nouvelle  digue a tempéré la chute.

La fillette s’est levée, elle contemple l’immense étendue liquide qui entoure le bateau.

–         Le fleuve ! Fait-elle.

* Por una cabeza Carlos Gardel

Chapitre 10

Chut! Les renards tapis, glapissent de rancoeurs archaïques.

Leurs dents grincent, entends-tu?

 

 

La voiture ralentit à l’approche de la maisonnette, puis stoppe à quelques mètres du foyer. C’est une petite voiture, une Fiat Panda. La portière grince lorsque le conducteur s’extirpe de l’habitacle.

–         Qu’est-ce que vous foutez là ? Grogne t-il

 

Il parle fort pour couvrir le bruit du moteur qui tourne toujours au ralenti, et parce qu’il reste à une distance prudente.

La fillette se blottit contre le grand corps impassible du pêcheur.

–         Heu… C’est votre maison, monsieur ?

–         Oui, c’est  chez moi !

 

L’homme se tient derrière la portière. Il prend appuis sur le dessus avec son avant-bras. Sa tête ronde, aux cheveux rares et gris, dépasse à peine. Il y a une femme à la place du passager. Elle le tire par la veste et l’interpelle :

–         Gérard, attend un peu, écoute… Ecoute, je te dis…

 

Mais Gérard l’ignore, son regard tendu vers les deux intrus.

–         C’est qu’on croyait que c’était à personne… Il y avait des papiers partout.

–         Et alors … Je fais ce que je veux ici ! Et puis…

 

Il s’écarte légèrement de la portière, considérant ce bouclier de tôle superflu. La passagère, qui s’accroche toujours à la veste, s’étale sur le siège du conducteur. On ne voit d’elle que la touffe décolorée de ses cheveux et les motifs rouges des coquelicots de son tablier.

–         Gérard !

 

Mais l’homme insiste :

–         Et puis toi, le grand là, je te connais…

–         Neptune, tu vois pas que c’est Neptune, souffle la passagère.

–         Ah, oui…Le niaï ! Celui  qui fait la pêche d’autrefois pour les touristes !… Mais qu’est-ce qu’il fiche ici avec cette gamine ? Et puis d’ailleurs, d’où qu’elle sort celle là. ? Qu’il me semble que je l’ai déjà vu quelque part, elle aussi…

 

La vieille femme tire si fort sur la veste qu’elle contraint Gérard à se rapprocher. Elle murmure quelques mots imperceptibles.

Gérard dévisage longuement la fillette, puis arête le moteur, claque la portière et avance souriant vers les deux fugitifs.

–         Allez zou ! Les amis de Neptune sont les bienvenus.

–         Alors on peut rester chez vous ?

–         Oui, bien sûr. Hé Gisèle, qu’ils peuvent rester ?

 

Gisèle s’approche à son tour. Elle approuve de la tête avec un grand sourire édenté couronné d’une moustache naissante.

–         Et bé, comme ça, ils vont nous filer un coup de main, dit-elle.

–         Oui, pardi ! Qu’ils ont déjà fait le feu.

 

La fillette, rassurée, secoue le pêcheur par les épaules.

–         Allez Honhon ! On vous aide ! Il faut faire quoi ?

 

Gisèle a ouvert le coffre de la voiture. Elle en sort une pile de prospectus serrée par un lien plastifié.

–         Y en a plein la malle ! On va faire un grand feu avec et quand on aura fini : pique-nique ! Qu’on a amené ce qui faut.

–         A la santé des boîtes aux lettres, poursuit Gérard. Distribution express, Hi, hi, hi !

 

_____

 

 

Maintenant, le jour se lève. C’est une aube triste et grise, écrasée par un chape de nuages sombres  annonçant l’orage. Les pluies d’automne, déjà.

La fillette a mal dormi. Elle s’était pourtant fabriquée un lit confortable avec les dépliants publicitaires. Peut-être, à cause de la chaleur pesante de l’orage en suspend, ou bien, est-ce les deux vieux… Bien sur c’était amusant de brûler tous ces canapés en cuir fleur de peau, ces cuisines intégrées rutilantes, ces pièces de bœuf au kilo. Ça faisait de super flammes à condition de bien ouvrir les pages. Oui, c’était beau, tous ces papiers qui s’évadaient un instant des braises comme des oiseaux de feu. D’accord, c’était sympa de partager le pique-nique, mais ce n’était pas une raison pour faire boire Neptune. On voit bien qu’il n’a pas l’habitude du vin. Et il n’a pas traîné pour s’endormir, lui.

–         Et à ronfler comme un sourd, ironise la fillette. Et puis, je sais bien que c’est pas leur maison. Faut pas me prendre pour une conne !

 

Elle est assise sur seuil, adossé au montant de la porte, à la fois dedans et dehors. Elle regarde la blancheur du jour s’installer. Le petit agenda est ouvert sur ses genoux. Elle se perd un instant dans la contemplation de la photographie.

–         Papa, soupire t-elle.

 

Elle feuillette les pages au hasard, le dessin du pêcheur la fait sourire. Puis, les phrases éparpillées au détour des pages l’intriguent. Elle lit :

« Chut! Les renards tapis glapissent de rancoeurs archaïques. Leurs dents grin … »

 

La fillette ne termine pas sa lecture. Au bout du chemin, la vieille Fiat est de retour.

–         Les deux vieux… Mais qu’est-ce qu’ils trafiquent ?

 

La fiat s’est arrêtée. On devine la silhouette ronde de Gérard sortant du véhicule. Il fait de grands gestes à la berline noire qui débouche à son tour sur le chemin. La voiture dépasse le bonhomme et se gare devant la Fiat. Les massives carrures de Carlos et d’Ernesto apparaissent aussitôt. Les deux hommes échangent quelques mots avec Gérard puis se dirigent, d’un pas résolu vers la maisonnette.

–         Honhon ! vite !

 

La gamine secoue énergiquement le pêcheur allongé de tout son long sur un tas de prospectus.

–         Honhon, Neptune ! Réveille toi. Réveille toi, s’il te plait, Neptune !

 

Mais rien ne semble pouvoir sortir Neptune de sa torpeur.

 

Chapitre 9

Des choses de rien, comme autant d’araignées d’eau.

 

 

 

–         Il était super bon, ton poisson. Mais t’en a pêché beaucoup…

La fillette, adossée au mur de la maisonnette, est assise sur une pile de brochures publicitaires. Devant elle, d’autres paquets, disposés en un arrangement étudié, figurent une sorte de table sur laquelle gisent les restes d’un poisson. Le pêcheur est en face. Il mord à pleines dents dans la chair rose de la  truite qu’il vient de retirer du feu. Il regarde avec insistance la gamine.

–         Il y en a beaucoup, c’est dommage.

Elle désigne une demi-douzaine de poissons mal contenus dans un large dépliant vantant les mérites de la viande charolaise. Le muet frotte le pouce contre l’index pour signifier l’argent.

–         Ha non, on ne peut pas. Ils nous cherchent. Ils me cherchent moi, mais toi aussi. Il  faut pas qu’ils te voient en ville. Je les connais bien, tu sais…Ils sont partout… Ils ont des yeux partout, t’as pas idée ! Non, tu peux pas vendre tes poissons… Et puis j’ai des sous, maintenant.

Elle se lève, entre dans la bicoque et ressort aussitôt avec le sac  dérobé dans la caravane. Elle y plonge sa main et en retire une poignée de billets froissés.

–         Tu vois… Ah ! et puis j’ai le dessert.

Elle exhibe le paquet de biscuits au chocolat entamé, en sort un, qu’elle croque aussitôt, avant de tendre le paquet au muet. Il refuse son offre d’un signe de tête fixant toujours les yeux fuyant de la fillette.

–         Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a le muet ? Fait-elle agacée. Pourquoi tu me regardes comme ça hein ? Tu me regardes… Tu voudrais dire… Tu voudrais savoir… C’est ça ? Tu voudrais savoir pourquoi je fuis et tu sais pas ce que tu fais avec moi, hé ? Tu voudrais demander, mais tu peux pas… Alors tu me regardes avec tes yeux de poisson frit… Bon, OK. .. Ça va pas être simple à t’expliquer. Attend…

Elle cherche à nouveau dans le sac et trouve le petit carnet. Elle s’agenouille tout contre le pêcheur, ouvre le carnet et dégage la photographie qu’elle y avait glissée.

–         Tu vois…

Le regard du pêcheur s’éclaire. Il pointe du doigt l’enfant de la photographie.

–         Oui, c’est moi, c’était avant… Et là, c’est mon père.

Il saisit doucement l’image et l’examine attentivement. Il est embarrassé. Il essaye des gestes en direction de la  fillette. Il revient sur la photographie. Il bafouille son langage muet.

–         Bon, qu’est-ce que tu veux me dire ?

Il montre le carnet.

–         Ah, tu veux le carnet ? Tiens …

Le muet ouvre le carnet. C’est un petit agenda aux pages pratiquement vierges si ce n’est quelques phrases griffonnées parmi les jours du calendrier. Lentement, concentré sur le trait fin du petit crayon, il reproduit sur une page les formes principales de l’image. Le trait est clair, direct, sans hésitation. On reconnaît l’homme et l’enfant.

–         Houa ! Tu dessines super bien dis donc !

Derrière les personnages, il trace le contour d’une silhouette féminine qu’il indique d’une flèche.

–         Ma maman ? Je n’ai pas de maman, elle est morte quand j’étais bébé, répond la fillette en agitant négativement la tête.

Le muet rature les personnages féminin et masculin puis se désigne du doigt.

–         Toi aussi, t’as pas de maman et même pas de papa… Et bé, mon pauvre… ça a dû être dur avant !

Elle soupire longuement pour exprimer sa compassion puis reprend le carnet et la photographie.

–         Bon, maintenant t’es vieux, c’est pas pareil… Ah, il faut que je te montre pourquoi je l’ai prise, cette photo.

Elle retourne l’image. Au dos, une écriture soignée permet de lire :

« En remerciement de votre aide, je vous envoie un souvenir de ces jours bénis. C’est le moins que je puisse faire. Madame Molénas s’occupe bien de moi. La rue des Teinturiers est très pittoresque et Avignon est une ville vraiment agréable. Ici tout me rassure et tout m’apaise.

Merci encore.

Albane. »

 

D’un trait rapide, la fillette entoure le mot « Avignon », puis juste en dessous du texte, dessine maladroitement le célèbre pont.

–         Tu vois, là, y a quelqu’un que mon père connaît. C’est là que je dois aller, après tu seras tranquille. Tu comprends. Je t’embêterais plus.

Le muet approuve du menton. Puis il prend un air sévère, il souffle dans deux doigts pour mimer un sifflet tout mettant son autre main en visière.

–         Les gendarmes, comprend la gamine. Non, la police, je sais pas… D’abord madame Molénas… Et après…

Le ronronnement d’un moteur laisse la phrase en suspend. Au bout du chemin, voilée par le nuage de poussière qu’elle soulève, une voiture avance. On distingue mal la carrosserie mais sa couleur ne fait aucun doute : elle est noire.

 

Petits formats 2

Publié le

Je n’arrive pas à mettre au point quelque chose d’intéressant en petit format. Je voudrait continuer dans le genre paysage. Même s’il le thème ne semble pas adapté, je suis persuadé qu’il y a quelque chose à tirer de la confrontation du thème et du format. Mais le temps me manque pour tout cela, il va falloir faire des choix.

Publié le

Chapitre 8

On se demande parfois si les forêts inextricables
n’enferment pas nos souvenirs souillés.

La truite dort au creux d’une cave que la courant a creusé dans le flanc de la rive. On la voit à peine. Ce n’est qu’une trace sombre parmi les algues. De longs doigts, délicatement caressent son ventre et remontent vers ses ouïes.

Par delà la tranquille musique de l’eau, il y a les bruits d’une conversation :

–         Tu vois Jason, ceux là, on les tombe pas. On donne juste un coup de scie. On les tranche là…

Soudain les doigts se serrent.

–         Pourtant, ils sont pas malades… On dirait pas, ils sont verts. Ils ont plein de feuilles.

La truite gicle hors de l’eau. Elle rebondit sur le gravier de la berge et entreprend un fougueux hip-hop piscicole.

–         Oui,  ils sont verts, mais ils sont malades et ils vont passer le virus. C’est par les racines que ça passe… Alors, on les achève.

Le poisson s’épuise. Il se laisse aller à la mort, gobant l’air trop riche en lents bâillements.

–         Et comment ça se voit qu’ils sont malades ?

–         Bé, c’est marqué, tu vois pas ? L’O.N.F. Ils sont passés. Y a une croix bleu, alors ils sont malades ;

–         Moi, j’aime pas trop ça, tuer les arbres…

–         Hé ?

Le bruit strident du moteur de la tronçonneuse met fin  au dialogue.

 

____

 

 

–         Honhon, t’es là ?

La fillette se bouche les oreilles des deux mains. Elle a surgit juste au dessus de la zone de pêche du muet. Un arbre penché au dessus des courants lui sert de promontoire. Une nouvelle truite est projetée vers la piste de danse.

–         T’entends ce bruit ? ça m’a réveillé !

Le pêcheur reste courbé sur la rivière. Ses mains sont comme des poissons. Il avance très lentement, les pantalons remontés au dessus des genoux.

–         C’est pas vrai ! Il est sourd de chez sourd ! Je m’y ferais jamais… Honhon ! Espèce d’andouille…  Hi, hi, hi, On peut lui dire tout ce qu’on veut.

Elle casse un bout de branche qu’elle lance sur le pêcheur. Il relève alors la tête et éclaire son visage d’un large sourire.

–         Hon ! Fait il en saluant de la main, puis  se remet à l’affût

–         Bon, je vais ranger la maison… Tu vas voir, ça va être super bien ici, mieux que chez toi. 

Elle saute du tronc et disparaît derrière les taillis.

–         Avec tout ces trucs qu’ y a dedans, on va faire une super maison.

La maison n’est pas bien loin, juste à quelques mètres en amont. On aperçoit son toit de la rivière. Si elle a  davantage l’apparence d’ une maison que la masure du pêcheur, c’est grâce à ce toit de tuile. Mais l’ancienne porte métallique gît au sol, à moitié avalé par le sable et la rouille, et l’unique fenêtre n’est plus qu’une armature déglinguée.

L’entrée donne sur un terrain dégagé. De là, un large chemin se perd dans les terres masquées au loin par un rideau d’arbres. Derrière les arbres, la silhouette d’une  ancienne cheminée d’usine signale la proximité de la ville.

–         Là, ça sera la cuisine.

La fillette s’accroupit devant la trace circulaire d’un ancien feu délimité approximativement par quelques pierres noircies. De vieux journaux et prospectus publicitaires se perdent dans les cendres.

–         Mais il faut ranger un peu. Oui, ça fera bien, ça fera bien en attendant.

Elle ramasse une brochure. La couverture signale une promotion exceptionnelle sur un canapé. Elle s’attarde un instant dans la contemplation de l’image, puis jette le document dans les cendres.

–         Voilà ce que je vais faire, dit-elle en se redressant d’un bond. Ça va être super !

C’est alors qu’elle voit le garçon. Le bruit continu du moteur avait couvert son approche.

–         Hé ? fait-elle surprise.

–         Salut.

C’est presque un jeune homme. Une salopette orange fait ressortir son teint mat et ses cheveux noirs bouclés.

–         Heu… s’inquiète la fillette. C’est à toi ?… T’habites là ?…

–         Non, tu veux rire ! Et toi, t’habites là ?

La fille cambre son jeune corps pour se grandir un maximum, mais le garçon la domine d’une bonne tête.

–         Oui, c’est ma maison.

–         Et bé…

Ils s’observent un instant, sur leur garde, prudents. Mais la gamine s’impatiente vite.

–         Tu veux m’aider ?  Il y a plein de journaux dedans, plein de paquets de papier bien ficelés. Ça fait de supers matelas. Et on va faire des fauteuils et des tables avec… Hé, tu m’aides ?

–         Bah, ma fois…

–         Tu m’aides alors, insiste-elle en passant la porte.

Puis, juste avant de disparaître dans l’ombre de l’entrée :

–         Comment tu t’appelles ?

–         Et toi, comment tu t’appelles ?

–         Je te le dirais quand tu m’auras dit.

–         Tut, tut, tut ! S’amuse le garçon en claquant la langue.

Le bruit de la tronçonneuse cesse brutalement. Il était si présent qu’on l’oubliait. Ce silence prolongé parait anormal, presque inquiétant.

–         Jason, ho, Jason ! T’es où ! Fait la voix lointaine du bûcheron.

–         Hi ! Hi ! S’amuse la fillette. C’est Jason… Jason…

–         Djézonne ! reprend le garçon irrité.

Puis, il s’éloigne rapidement en direction de la voix.