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Considérations diverses sur les méandres de la pensée créatrice de l’auteur.

WORK IN PROGRESS

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Bon, je m’y remets. Un motif que je voulais traiter depuis longtemps. Il s’agit d’un soleil couchant perçant derrière un massif d’arbres. ça va pas être évident, et si j’abandonne pas en route ça va me prendre du temps. En plus c’est du grand format. Bref, nous verrons bien. voilà la première étape, et je ne sais pas trop où je vais, je crois déjà que la couleur du fond est al choisie, d’ailleurs elle a pratiquement disparue

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Une petite nouvelle, inspirée je ne sais pourquoi, par la dernière. J’ai hésité à la publier au fur et à mesure de son écriture et puis j’ai décidé de l’achever avant de la proposer sur le blog. En fait, cette histoire ne s’écrit pas dans un moment resserré. La création s’étale sur plusieurs semaines et correspond généralement à mes séances de jogging. Comme j’ai déjà pu l’écrire, je cours, je me transpose alors dans l’univers de l’histoire, j’imagine des péripéties et des tournures de phrase et je note ce qu’il est advenu dès la course finie sur un carnet. Puis je reprends mes notes à la maison. j’attends ensuite une nouvelle course pour concevoir la suite. J’ai aimé courir avec mon personnage, imaginant le paysage où il évoluait et qui pouvait correspondre par endroit à celui que je traversais. En fait j’ai vécu ce que vit mon personnage : cette superposition d’univers.

Pour garder mon blog vivant ( en espérant que le goût pour la peinture me revienne) je la publie en feuilleton de 4 parties. ça s’appelle pour l’instant- « LE VRAI MONDE » mais peut-être aussi : « UN MONDE IDÉAL »

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Voici donc le texte à l’origine des 2 autres. Dans les 20 000 caractères, beaucoup trop long! Toujours la même histoire… Il y a, bien sur, toujours la question de fond sur les rapports : technologie / sécurité / liberté, mais aussi : surveillance/ voyeurisme. et puis, je voulais construire mon histoire sur des dialogues ( une sorte de défi, les descriptions m’ennuient). mais il y a finalement beaucoup de longueur, de précisions inutiles, de références à des auteurs prétentieuses.La personnalité du héro est différente, les noms aussi…. Cependant, l’idée de la construction en dialogue me plait. Il serait possible d’en faire une BD, avec une répétions obsédantes de la même case, comme une succession d’écrans ou de cellules, mais je devrai élaguer tout ça pour que ça tienne dans 6 planches maxi. Finalement c’était un exercice très formateur.

Le traitement de texte ne permet pas de distinguer les dialogues du veilleur des réflexion en aparté des interrogateurs, tout est publié en italique, mais on comprend quand même me semble t-il.

 

 

Le veilleur

– J’aime regarder vivre les gens… C’est pour ça que j’aime mon métier… Vous me payez pour les voir défiler sur vos écrans, lire leur noms, leur age, leur métier … Je les approche si près que j’en devine la couleur de leurs yeux, et les plus insignifiantes de leurs rides. Cela est bien plus excitant qu’une simple vue dérobée au travers d’une fenêtre ouverte.

– Où en sommes -nous commandant ?

– Ha ! Monsieur ! Il a fallu tout arrêter, bloquer le système. Mais rassurez-vous, il n’est pas à remettre en cause. Il y a eu malveillance.

– Malveillance, vous plaisantez !Vous vous rendez-compte du foutoir dans lequel on est! Malveillance !… Et lui, là, sur l’écran, c’est lui le… malveillant ?

– Oui. Il est en salle d’interrogation. C’est un de nos veilleurs, et parmi les plus avisés. Je ne pense pas qu’il soit un terroriste infiltré mais tout est possible. Nous essayons de comprendre ce qui s’est passé.

– Comprenez, commandant, comprenez vite, les enjeux sont trop important.

– Votre appréciation sera nécessaire, Monsieur, poursuivons l’interrogatoire… Continuez veilleur, mais épargnez- nous vos considération, soyez direct.

– Je voulais simplement vous faire comprendre qu’il y a une part de nous qui nous échappe. Et que, peut-être, la béance la plus insidieuse du système réside en cet aspect de notre personnalité. J’aime voir vivre les gens. Mais, ne vous méprenez pas, ce n’est pas leur intimité qui m’intéresse, je n’ai que faire de leurs turpitudes. Elles nous sont si communes. Non, je guette ce qui me sépare d’eux. D’autres vies. Celles que je n’ai pas eu, que je n’aurais jamais… Ma solitude me convient très bien, c’est pas ça, mais tant d’autres vies sont possibles et je me plais à les imaginer.

– Mais c’est qui ce type? Vous recrutez ce genre hurluberlu, commandant ?

– En fait, Monsieur. Nos recrues ont une forte propension au voyeurisme. Nos tests de recrutement s’efforcent d’écarter les individus pour lesquels cette tendance altérerait trop leur vigilance. Nous voulons des guetteurs, c’est à dire des agents capables de déceler rapidement des indices de déviance. Notre agent à réussi admirablement nos tests dans ce domaine.

– Il faudra revoir vos tests de recrutements. Impérativement ! Foutre-dieu ! Nous ne pouvons admettre la moindre erreur. Notre système doit être infaillible. Il en va de sa légitimation par la chambre des représentants.

– Oui, et de notre sécurité… Veilleur, poursuivez.

– Mes motivations sont et ont toujours été celles de la protection de nos concitoyens, je vous l’affirme. Mes manipulations visaient aussi à explorer les conséquences d’un manquement dans le système.

– Nous en jugerons, continuez.

– Les gens détestent être observés à leur insu et…

– Les citoyens ne sont pas observés à leur insu. Leurs représentants ont approuvé l’extension du système de reconnaissance faciale dans tous les lieux publics. Il s’agit de leur sécurité. Nous veillons sur eux, ils le savent.

– Oui, mais ils l’oublient, bien qu’ils se donnent même un mal de chien pour maîtriser leur image sociale… C’est pour cela que, chez eux, ils tirent les voilages et ferment les volets. Ils craignent que se révèle cette part d’ombre tapie au fond d’eux-même. Cette part redoutée qui m’a conduit ici, dans cette pièce, face à vos questions.

Commandant, cet agent est complètement cinglé. Je doute que cet interrogatoire nous apprenne quoique ce soit.

– J’avoue, Monsieur, que je ne m’attendais pas à un tel profil névrotique. Nous avons débauché cet agent d’une officine de sondage. Beaucoup de nos agents proviennent de ce secteur ou des médias sociaux. Visiblement, cela l’a affecté. Mais continuons, nous ferons le tri plus tard… Poursuivez, agent F415.

– Je voudrais vous éclairer sur une pratique assez répandue chez les veilleurs. Je ne sais pas ce qu’il en est chez les agents féminins, mais de temps en temps nous nous attardons sur de jolies passantes. Cela égaye nos discutions devant la machine à café. Mais rassurez-vous, les lacunes du Système ne réside pas dans cette futilité. Cela n’affecte en rien notre veille car il est rare qu’un individu reste longtemps dans notre secteur et puis nous avons le signal sonore…

– Étiez-vous informé de telles pratiques, Commandant ?

– Plus ou moins… Nos études ont montré qu’une concentration soutenue ne peut se prolonger très longtemps. Nous tolérons donc quelques manquements. Nous avons vu des agents s’assoupir… Et à ce stade du projet, notre budget ne nous permet pas de réduire le temps de veille. Aussi, outre l’auréole…

– L’auréole ?

– Nos agents appellent ainsi le cercle lumineux qui entoure les figures que nous contrôlons. Bref, en plus de ce repérage, un signal sonore indique la présence d’une pensée déviante dans le secteur de veille…. Vous évoquiez les lacunes du Système, développez Veilleur.

– J’y viens, mais elles sont de natures différentes et certaines sont liées aux circonstances de mon implication.

– Bon, nous vous écoutons.

– Voilà, fin janvier, le 22 janvier pour être précis, mon attention fut attirée par une silhouette particulièrement agréable. Il n’y avait pas beaucoup de passage, il était environ dans les 13 heures, j’allais quitter mes fonctions sous peu. Je ne l’ai pas identifié de suite à cause des vêtements d’hiver, mais très vite, je reconnus la rousseur de sa chevelure dont quelques mèches s’échappaient du bonnet et ondulaient sur ses épaules. En zoomant sur son visage, j’eus la confirmation, la caméra restituait pourtant assez mal le vert changeant de son regard mais c’était bien l’agent F09. Elle avait veillé quelques semaines au poste135, juste devant le mien. Lorsqu’elle prenait sa fonction, elle rejetait ses cheveux en arrière d’un geste machinal, accordait quelques mots à l’agent qu’elle remplaçait, avant de s’asseoir à son poste de veille. Je voyais dès lors ses longues mèches, non pas rousses mais plutôt auburn, qui roulaient sur son pull lorsqu’elle manipulait un écran ou se penchait sur son clavier.

– Et bla ,et bla, Il nous embrouille, tout ça c’est du baratin. Ça nous mène nulle part.

Parfois, avant de s’asseoir et de me tourner définitivement le dos, elle jetait un regard distrait en arrière que je m’efforçais vainement de capter. J’enviais mon collègue de pouvoir ainsi la côtoyer, échanger quelques mots. Je ressentais, en ces moments, quelque chose que je ne maîtrisais plus, quelque chose qui dépassait le simple désir de voir, quelque chose qui m’impliquait, comment dire… Qui m’impliquait physiquement.

– Ce con est tombé amoureux, c’est pas possible ! Est-ce que vos tests préviennent de telles éventualités, commandant ?

– Nos tests ne sont pas parfaits, c’est certain. La mixité des équipes doit être mise en question. Finalement, ces bavardages nous renseignent… Nous vous écoutons Veilleur…

– Le Système m’appris qu’elle se prénommait Rachael, qu’elle avait 27ans, qu’elle exerçait bien sûr le métier qui nous est attribué d’enquêtrice à l’institut de sondage Argos, mais je ne pus en savoir davantage car une alerte sonore retentit. Ce n’était rien, encore une erreur d’interprétation de pensée négative.

– Une erreur d’interprétation de pensée négative? Qu’est-ce qu’il veut dire ?

– Développer et banaliser un système de reconnaissance faciale renforce évidemment notre sécurité. Cela nous a permis la neutralisation de nombreux terroristes, et cela grâce à vous, Monsieur, vous l’avez fait voter.

– Mais cela a des limites, commandant, nous vous demandons d’aller au delà des apparences.

– Oui connaître les pensées des gens. Les pensées vraies, sans qu’intervienne le rapport à l’interlocuteur qui oriente souvent inconsciemment les réponses. C’est l’objectif partagé par tous les instituts de sondage et nous sommes en train de réaliser. Une enquête d’opinion idéale. Mais les algorithmes de ce que nous appelons la « reconnaissance mentale » sont d’une complexité infinie.

– Lire dans les pensées…

– Non, Monsieur, évoquer la lecture n’a aucun sens, car la pensée est protéiforme. Si ce n’était qu’une affaire de mots, nos problèmes seraient grandement simplifiés, mais la verbalisation mentale n’est pas si fréquente et les mots ne sont finalement qu’une forme, une métaphore de la pensée…

– Soyez sûr que nous évaluons la difficulté de la mission que nous vous avons confié, commandant.

– Le système que nous avons mis au point permet de traduire une phrase simple en ondes électromagnétiques. Nous formulons une question. Chaque caméra émet cette question dès qu’un individu entre dans son champ et capte la réponse. Bien sûr la diffusion de ces signaux se fait à l’insu des passants et la réaction mentale de même. Je dis bien « réaction mentale » car leur réponse ne se verbalise pas. Elle se traduit simplement par une réaction positive ou négative. Oui ou non.

– Donc, commandant, la difficulté est de poser la bonne question, c’est ça ?

– Oui, trouver les mots justes. La formulation de la question est capitale, il faut éviter des interprétations multiples. Lorsque la réaction est négative le veilleur doit d’activer un protocole de confirmation qui infirme le plus souvent la déviance mentale du suspect.

– Apparemment la question posée n’était pas pertinente, Commandant.

– Certainement, Monsieur, vérifions… Quelle était la question posée au moment des faits, agent F415?

– Une question très ambiguë : « Vous sentez-vous en sécurité ? »

– En quoi réside cette ambiguïté Veilleur ?

– Voilà : si la personne réagit négativement cela peut signifier que les actions du gouvernement sont inefficaces et donc critiquables. S’il réagit positivement cela voudrait dire que les campagnes menées par le gouvernement sur la menace terroriste sont infondées. La aussi, nos dirigeants sont à blâmer. Et donc,celui qui n’adhère pas à la politique du gouvernement est un suspect potentiel.

– Cela reflète nos difficultés de traduction de la question en impulsions électromagnétiques. Ainsi à la question : « Préparez-vous un attentat ? », nous avons du intervenir auprès d’une masse de suspects qui préparaient une surprise d’anniversaire ou un poisson d’avril. Vous comprenez, Monsieur, qu’un contrôle humain est indispensable à ce stade.

– Mais non infaillible, pour le coup, Commandant.

– En effet, et nous devons en connaître la cause…Continuez votre récit, agent Veilleur.

– Oui, entre temps, Rachael avait disparu de mes écrans mais j’allais vite la retrouver. Je m’apprêtais à quitter mon poste de travail lorsqu’on une voix enjouée m’interpella. C’était elle. Occupé à mettre en ordre mes affaires, je ne l’ai pas vu s’avancer. Elle remplaçait l’agent F514 qui me succédait à mon quart de veille. J’ai bredouillé qu’elle était la bienvenue à mon poste, que j’étais sûr que ce secteur satisferait son intérêt, enfin quelque chose de cet ordre… Je me souviens que je faillis l’appeler Rachael… De la voir alors, debout à mes côtés, si réellement près que je pouvais sentir la subtilité de son parfum, j’étais décontenancé, troublé. Je rentrais chez moi avec un sentiment confus d’euphorie et de culpabilité pour l’avoir suivi sur mes écrans. Je me demandais si elle aussi partageait le trouble que j’avais ressenti. Aussi dès le lendemain, je trouvais une façon de pénétrer le système pour modifier la question posée.

– Comment contourniez vous le système, agent F415?

– J’ai quelques notions de programmation. Ce fut assez facile car je présume que nos ingénieurs n’imaginaient pas qu’on puisse simplement désirer s’en affranchir. J’eus largement le temps de consulter son fichier personnel avant qu’elle ne vienne assurer son quart de veille. Je sus qu’elle était célibataire, sans enfants, j’avais son adresse, je connaissais ses goûts, ses loisirs. Dès qu’enfin elle apparut sur mes écrans, j’envoyais mes premières questions.

– Pouvez, vous préciser le processus.

– Bien sûr j’ai toutes mes demandes en tête :

Question : l’agent F415 est-il sympathique

Réponse : négatif

Question : l’agent F415 est-il antipathique

Réponse : négatif

Cela m’a blessé. Je n’aurais jamais pensé que cela me touche autant, moi qui me satisfait tant de l’indifférence des autres. Mais au moins elle ne me détestait pas. L’accumulation de réponse négatives teintait de rose l’auréole de Rachael. Je ne voulais surtout pas qu’on la suspecte de déviance et que je la perde définitivement. Je validai quand même une nouvelle question

 Question : Avez-vous un petit ami

Réponse : positif

Aussitôt l’auréole retrouva une teinte conforme mais j’étais terriblement déçu. Il y avait donc quelqu’un dans sa vie. Les questions que je posais ensuite confirmèrent cette révélation mais n’apportèrent aucune précision sur la durée et l’intensité de leur relation. Puis je me raisonnais, je n’étais qu’un spectateur d’existence, cela suffisait à remplir ma vie. Je m’en voulais de cette impulsion qui m’attirait malgré moi, comment dire… Physiquement dans la vie des autres. Pourtant, les jours suivants, je tentais de capter son intérêt lorsqu’elle me succédait. Je laissais entrevoir un roman d’un auteur qu’elle appréciait, ou bien, en quelques mots, je faisais allusion aux lieux qu’elle aimait fréquenter, enfin ces sortes de choses que me permettaient l’étude approfondi de son fichier d’identité. Ainsi, après quelques vacations, l’agent F415 était devenu sympathique

– En fait, Monsieur, il détourne à son profit la bonne vieille méthode de ciblage de marketing comportemental en exploitant les méga-données.

– Pardon ?

– Je disais : c’est un plan drague original mais pas de quoi mettre en péril le Système…. Continuez Veilleur.

– J’eus un bref moment d’exaltation. Elle me reconnaissait. J’existais. Mais je m’étais rendu visible. J’étais vulnérable. Cela m’angoissa hors de toute mesure jusqu’à en devenir une peur panique. Livia m’attirait comme un vide et je tremblais devant mes écrans comme aux limites d’un précipice.

– Hé, c’est qu’il nous ferait de la littérature là, Commandant.

– Puis enfin je me calmais, et je pus analyser mon comportement objectivement. Pour cette fille, j’avais détourné le système à mon profit, je m’étais mis en danger. C’était insensé, je devais me défendre contre ces pulsions irraisonnées. Je décidais d’en rester là et de me concentrer sur mon travail. Cela m’apaisa et lorsque le lendemain, ce fut l’agent F514 qui se présenta a nouveau pour me succéder, j’y vis comme un signe du destin et j’en fus soulagé.

– Et mystique en plus de ça !

– Pourtant, malgré mes salutaires résolutions, je ne pouvais m’empêcher de la guetter sur mes écrans. Je ne la trouvais plus. Ses horaires ne correspondaient certainement plus aux miens. Mais cette absence m’attristait : elle me manquait. Bien sur la qualité de ma vigilance souffrait de cette quête, j’en avais conscience mais cela dépassait ma volonté, j’espérais simplement que le temps me délivrerait de cette obsession. Il y parvint presque… Puis un jour,elle réapparut. Immédiatement sa silhouette s’imposa comme si j’avais été moi-même programmé pour une reconnaissance faciale. Le contact glacé avec l’écran lorsque je agrandis son visage du bout des doigts raviva le manque d’une présence vraie, la voix, le parfum, l’air qu’elle déplaçait lorsqu’elle prenait son service sur le fauteuil que j’avais occupé et qu’elle me lançait un regard d’encouragement lorsque je m’éloignais à regret vers ma quiétude solitaire. Comment des milliers de pixels pouvaient-ils rendre compte du miroitement changeant de ses yeux ?

– Et bla, et bla… llez-y, sortez les violons !

– Abrégez Veilleur !

– Je veux juste vous faire comprendre comment un jugement peut s’altérer en fonction de circonstances pour lesquelles l’individu n’est pas préparé.

– Nous avons compris. Nous voulons savoir comment vous êtes parvenu perturber le Système au point de mettre en danger de nombreux agents. Tenez-vous-en à ça !

– Très bien. Je dérogeais à mes bonnes résolutions. Je contournai une nouvelle fois le Système et je sus que j’existais encore dans sa vie. Elle me trouvait toujours sympathique. Elle avait peu de secret pour moi, je connaissais ses habitudes, ses goûts, ses relations, pourtant j’aurais aimé m’insinuer davantage dans son existence, entendre ses conversations, la voir évoluer dans son appartement -peut-être y serons-nous autorisé un jour -j’en savais juste assez pour alimenter mon imaginaire prospectif.

– « Imaginaire prospectif », vous entendez ça, Commandant ?

– Mais cela ne me suffisait plus. Mon désir de la revoir, d’entrer dans le réel de sa vie, fissurait la bulle protectrice que je m’efforçais de bâtir.

– Rien à faire, ça continue ! Il aime s’écouter parler ou il se fout de nous.

– Il a conscience d’avoir un public, il en profite. Et puis, verbaliser des pensées à voix haute est une constante chez les solitaires. Ne vous plaignez-pas Monsieur, n’est-ce pas ce que vous souhaitez : pénétrer les pensées des gens ? Allons, Veilleur, aux faits !

– Oui, il fallait donc m’exposer. Je pouvais facilement organiser une rencontre fortuite, dans un magasin ou dans son quartier et renouer nos liens, ou plutôt les tisser enfin. Mais avant toute chose je devais la libérer. Car elle avait toujours une relation, un petit ami.

– « Un petit ami !» C’est pas possible ce vocabulaire…

– Je me demandais comment l’identifier. Mon secteur de veille ne s’étendait pas jusqu’à l’immeuble de Livia, mais ce n’était pas un problème car ma position était on ne peut plus stratégique. Je veillais les abords de l’office et, j’en étais sûr, son, comment dire… Son ami, était de la maison. J’avais vu l’intérêt qu’elle portait à l’agent F451, lorsqu’elle le succédait pour un remplacement. Ils restaient là à discutailler, à faire des mimiques équivoques . Ça me mettais en rage, je me disais que pendant tous ces petits manèges, les caméras fonctionnaient à vide, des suspects esquivaient notre surveillance.

– Névrosé, frustré et jaloux

– Dans quelque minutes Rachael entrerait dans le bâtiment de l’office et je perdrai son image. Je ne devais pas trop traîner si je voulais confirmer mes soupçons : l’agent F451 était-il son petit ami ? Mais je bloquais sur la formulation. Je réalisais que les termes « petit ami » étaient assez vagues. Je devais être plus direct.

– Ah ! Tout de même !

– J’écrivis  « Couchez-vous avec l’agent F451 ?» mais le verbe « coucher » me répugnait. Pour une prostitué certes, son obscénité eût convenu, mais pas pour ma Rachael. « L’agent F451 est-il votre amant ? » Mais, là encore, je ne pouvais supporter la scène à laquelle renvoyait la question. Tant de vulgarité…

– Foutre-Dieu ! Incroyable! Ce refoulement, un cas d’école !

– La formulation des questions est la base du système. Les conséquences sont désastreuses si nous la négligeons. Nous en avions fait l’expérience, n’est-ce pas ? Mais je devais me dépêcher car Rachael allait entrer dans le bâtiment de l’office, bientôt elle disparaîtrait de mes écrans. J’écrivis : « Sortez-vous avec l’agent F451? ». J’envoyai la question et…validai ma perte.

– Mais quel con, quel con !

– La réponse fut positive. J’enrageais. Que pouvait-elle trouver à ce prétentieux barbichu ? Rachael était maintenant hors d’atteinte, et l’agent F451 étirait ses bras de crabe juste devant moi. Dans l’interstice de deux écrans, je le voyais se lever pour papoter avec son successeur. Il terminait son quart de veille. Dès qu’il sorti, je le repérai dans le champ de mes caméras. Il s’appelait Philippe Dick, était moins vieux que laissait croire sa barbe. Dick ! Comment peut-on s’amouracher d’un gars portant un nom de chien ? Je m’informais de ses goûts, habitudes, relations, adresse. Je connaissais tout mais ne savais qu’en faire. Pourtant, si je voulais Rachael, je devais l’éliminer. Ma carrure ne l’intimiderait pas et puis je déteste la vulgarité de la violence.

– Pauvre petit chou…

– Dick s’engagea dans l’avenue, je suivais sa déambulation, il ne se pressait pas. J’avais tout le temps de contourner une dernière fois le Système. Une idée me venait, elle méritait d’être approfondie. J’allais franchir une étape supplémentaire dans l’irrégularité mais l’expérience aurait aussi l’avantage d’explorer les lacunes du Système.

– Ben voyons…

– La formulation. Tout partait de la formulation et de sa traduction hertzienne par le système. Je ciblai Philippe Dick et fis plusieurs tentatives qui n’allaient pas dans le sens que je souhaitais. Puis enfin, je trouvais:

Question : Pensez-vous que le gouvernement applique plus ou moins bien une politique sécuritaire ?

Réponse : Négatif.

Aussitôt, l’auréole de Dick se teinta rose pale. Allez savoir comment cette question ambiguë était traduite, en tous les cas cela fonctionnait. La réponse était négative. Dick s’empourprait. Je renouvelais les questions. Ha ! Oui, il rougissait, il rutilait. Le signal sonore d’alerte l’accompagnait comme un requiem !

– Et il se fait lyrique maintenant !

– Philippe Dick, terroriste n°1, disparaissait de mon secteur, auréolé d’écarlate. Adieu agent F451! … Mais le lendemain je déchantai. Je le retrouvai à son poste et lorsque, à la fin de son service, je le visualisai sur mes écrans, je constatai que son auréole était aussi vierge que… Bref, j’avais échoué. Cela m’affecta. Je renouvelais l’opération en vain… Il me fallu une alerte pour que je découvre mon erreur : j’avais négligé le Protocole. Dès que Dick surgissait sur les écrans d’un autre secteur, un collègue activait le protocole de confirmation qui rendait à l’agent F451 son innocence originelle. Je compris que seul le Système déterminait l’urgence d’une interpellation. Je devais donc ouvrir le fichier du Protocole et le modifier. Curieusement, je pus remonter facilement par le réseau interne jusqu’au serveur et identifier le fichier. Il était à peine protégé et mes connaissances en programmation suffirent à le déverrouiller. Nos recruteurs tenaient certainement les tests de recrutement des agents pour infaillibles. Ils le sont, puisque je suis là, devant vous, avec toute ma clairvoyance et dévouement pour corriger les lacunes du Système.

– Sa clairvoyance, tu parles ! Avec tout le bordel qu’il a provoqué! Quant à la pertinence des tests, Commandant…

– Les tests peuvent attendre, Monsieur, c’est notre Protocole qu’il faut revoir de toute urgence… Comment avez-vous perverti le Protocole, Veilleur ?

– Perverti… perverti…, Non je dirais juste légèrement modifié. Je découvrais que le protocole reprenait simplement une suite de questions déjà posées, choisies certainement pour leur pertinence. Cependant je remarquais qu’elles étaient toutes formulées de façon identique. Elles commençaient invariablement par : « Êtes-vous en accord ». « Êtes-vous en accord avec le projet de privatisation des autoroute du sud ? ». « Êtes-vous en accord avec le report de l’âge légal du départ en retraite ? ». La manipulation était simplissime. Je programmais l’ajout du préfixe «dés » devant le mot accord. Ainsi, pour un bon citoyen, à la question :  « Êtes-vous en désaccord avec … ? » la réponse devenais négative.

– Quel enfoiré, foutre-Dieu ! Avec 3 lettres, il faisait sauter tout un programme, mon ministère même, le gouvernement, voire notre démocratie ! Et vous passiez à la trappe dans la foulée, Commandant, soyez-en sûr !

– J’en suis conscient, Monsieur… Veilleur, n’avez-vous jamais mesuré les conséquences de vos manipulations ?

– Cela ne m’effleura même pas. Je devais éliminer l’agent F451, c’est cela qui comptait, j’avais été trop loin pour tout retour critique. Et puis, j’étais dans l’urgence. Lorsque j’en terminais avec le Protocole, Philippe Dick avait déjà quitté son service. J’eus juste le temps de valider mes questions avant qu’il sorte de ma zone. Les collègues se chargeraient de la suite. Mon quart se terminait et je rentrais chez moi avec le sentiment du devoir accompli.

– Foutre-Dieu !

– Le lendemain, l’appel d’urgence me réveilla. Je devais rejoindre l’office immédiatement. Sur mon pallier, la brigade d’intervention appréhendait un voisin. Il se débattait, proférant de invectives contre nos agents. Je ne l’aurais jamais soupçonné d’être un danger pour notre démocratie. Je me félicitai de l’ efficacité du Système et d’en être un de ses rouages. Sur mon trajet, je remarquais une circulation inhabituelle des véhicules de police. Des sirènes d’intervention résonnaient aux carrefours. Nous étions confrontés à une attaque terroriste majeure.

– Quel bordel !

– Je me pressais de rejoindre l’office. Mon poste était occupé par mon collègue de quart. On me désigna celui de Dick. Son siège vacant confirmait la réussite de mon stratagème.

– Je t’en foutrais d’un stratagème.

– Rachael était, elle aussi, réquisitionnée. Elle allait être toute à moi, maintenant. Mais je ne pus m’en réjouir longtemps, une alerte s’affichait sur mes écrans. Je ciblai le suspect et activai le Protocole. Son auréole vira rapidement au cramoisi, le suspect accumulait des pensées négatives, j’allai enclencher la procédure d’intervention quand je compris. Le Protocole, bien sûr ! Je l’avais modifié pour neutraliser l’agent F451, mais il s’appliquait de la même façon pour toutes les vérifications. Tous les suspects devenaient coupables. Aucun complot contre l’état, aucune conspiration terroriste. Juste une légère modification de logiciel. Je cherchais à atteindre le serveur, en vain. Le réseau, trop sollicité ne me permettait qu’un accès aléatoire au fichier de Protocole. Insuffisant pour le réinitialiser. Peut-être faudrait-il en revoir le débit, n’est-ce pas ?

– Non, mais il se fout de nous !

– Autour de moi, mes collègue s’affairaient à leur tache consciencieusement, gravement. Pour eux, le système prévenait une attaque d’envergure, déjouait un complot d’une ampleur inédite. Aucun regard, par dessus les écrans, aucun échange verbal. Pas besoin de lire dans leur cerveau pour comprendre la gravité du moment qu’ils vivaient et leur engagement dans ce combat. Je me sentais à l’écart de cette effervescence. Une nouvelle fois spectateur, mais spectateur de ce que j’avais créé, du cours des choses dont j’étais à l’origine. Ce cours des choses qui m’échappait, que je ne contrôlais plus, que je ne pouvais plus corriger. Je réalisai combien mon intrusion dans la vie des autres était désastreuse. J’en voulait à Rachael, et aux pulsions irraisonnées qu’elle avait fait naître… Mais l’heure n’était pas aux regrets, il y allait de l’efficience du Système, il y allait de notre démocratie… Je m’étais rendu visible, vulnérable et je devais assumer et avouer ma responsabilité. C’est pour cela que je suis ici, maintenant, devant vous, témoignant de imprévisibilité de la nature humaine…

 

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L’agent Veilleur F415 semblait lutter contre le vide oppressant de la vaste salle. Il se tenait droit adossé au dossier de la chaise, les mains posées sur la table, symétriquement de part et d’autre de la caméra . L’éclairage froid du plafonnier écrasait sa maigre silhouette, creusant son visage d’ombres profondes. Les verres épais de ses lunettes reflétaient, comme deux petites flammes rougeâtres, le voyant lumineux du micro qui signifiait l’interruption du dialogue,.

Le commandant manipula la télécommande et l’écran mural s’éteignit emportant l’image du veilleur.

– Imprévisibilité de la nature humaine repris le secrétaire d’état, pour un coup, voilà les mots qui conviennent.

Le secrétaire d’état tapotait d’une boule de mouchoir son crane chauve d’où perlaient une mauvaise sueur. Il avait dédaigné le fauteuil proposé par le commandant et arpentait la pièce en allez et venues fébriles.

– Il y a trop d’humains dans le Système, commandant, voilà la faille. Les machines, elles, sont prévisibles. Elles ne sont pas sujettes à des humeurs versatiles. Pas de tests de recrutement foireux.

– À ce stade du développement du Système, nos d’agents sont indispensables, monsieur. Je vous l’ai dit. Mais nous travaillons à améliorer le Protocole. Il sera plus rapide, plus concret, et nous pourrons réduire nos effectifs. Toutefois, nous devons considérer qu’une automatisation excessive pourrait se révéler désastreuse au moindre dysfonctionnement. Nous avons pu interrompre le processus parce que l’agent veilleur F415 à révélé sa faute.

– Foutre-Dieu ! Tout ça pour une bluette de roman de gare ! Je ne vous félicite pas Commandant.

– Le Système est perfectible, j’en conviens, ce n’est qu’un prototype, nous avons des lacunes à combler et beaucoup d’innocents sur les bras.

– Non commandant. Il n’y a pas d’innocent ! Le Système doit être infaillible pour être approuvé. Nous ne pouvons pas nous excuser du désagrément. Imaginez un peu ! Ce qui est fait est fait, c’est de la survie du système qu’il s’agit. Débrouillez-vous avec les suspects, innocents ou pas.

– Mais, monsieur, ne pensez-vous pas que ces arrestations massives conduisent l’assemblée à douter de notre projet.

– Commandant, nous avons anticipé une attaque d’ampleur inédite, ce sera ainsi ! Et puis, encore un attentat plus ou moins sanglant et la chambre votera ce que nous demanderons. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, commandant et, je ne vous l’apprends pas, dans toute guerre il y a des dommages collatéraux… C’est le prix de la liberté.

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Suite de l’expérience avec le 2eme texte , précédant « Reconnaissance mentale ».

Toujours la même histoire avec un changement du cadre du récit,  un jeu avec le temps de narration,( le flash-back est sensé donner un rythme), et le héros avec une personnalité différente. Mais, même si la fin est bâclée, il y a encore près de 12000 caractères, beaucoup trop long!

 

Le veilleur

La sonnerie du biper me réveille. Une alerte. Ma sieste fut courte. Je dois rejoindre l’office immédiatement.

Sur mon pallier, la brigade d’intervention appréhende un voisin. Il se débat, proférant des invectives contre nos agents. Je ne l’aurai jamais soupçonné d’être un danger pour notre démocratie. Je me félicite de l’efficacité du Système et d’en être un de ses rouages.

Je saute dans le bus. Un quart d’heure de trajet. Comme toujours, je reste debout, ainsi je peux observer les gens. Déformation professionnelle sans doute. Même pas de jolies filles. Juste une anxiété palpable. Les gens échangent des regards inquiets et même quelques phrases. Pourtant nous veillons sur eux, moi, tout le service, nous garantissons leur sécurité. Ils le savent, ils ont voté. Ils approuvent le système de reconnaissance faciale qui quadrille la ville. Même si, pour l’instant ils en ignorent l’extension : « la reconnaissance mentale ». Elle nous permet d’identifier des pensées désapprouvant les actions menées par notre gouvernement. Nous le savons, les pensées non conformes font le lit du terrorisme.

Notre démocratie se défend.

Lire dans les pensée. Un vieux fantasme. Pourtant la pensée ne se verbalise que rarement mais il faut faire avec les mots. Nous avons élaboré un algorithme traduisant ces mots en ondes électromagnétiques. Nous formulons une question que nos réseaux diffusent. Les gens croisant le champ de nos caméras perçoivent directement cette question. La réponse est une réaction cérébrale immédiate, positive ou négative. Un sondage parfait. Sans parasitage de l’affect. Toute réponse négative est suspecte. Nous enclenchons alors un protocole de confirmation avant toute intervention. Cela reste encore confidentiel, mais encore une vague d’attentats et chacun validera le système.

Il y va de notre démocratie.

Le bus freine brutalement. Je manque m’affaler dans le couloir. Un convoi des forces de l’ordre passe en trombe au carrefour. Puis le bus repart.

Nous, les veilleurs, passons de longues heures devant les écrans à l’affût de la moindre pensée déviante. De trop longues heures. Est-ce la lassitude qui m’a égaré? Mais Livia est belle. Elle me plaît, comme elle plaît aux autres. Je la veux disponible et je suis impatient de savoir si ma petite combine a réussi. Si Livia sera libre.

Je me souviens de mon trouble lorsque pour la première fois j’entendis sa voix. Mon service se terminait et je m’apprêtais à céder le quart à mon successeur.

– Aucun terroriste en vue agent veilleur F 451 ?

Livia se tenait derrière moi. Elle me souriait.

– Heu… je… Non, tout est calme, bredouillai-je .Vous remplacez l’agent F 452 ?.. J’ignorais qu’il prenait sa permission…

– Oui pour quelques jours.

Je cédais mon siège et Livia se concentra sur les écrans. C’est à cet instant, je crois, que je me décidais à compléter mon tableau de chasse.

Le lendemain, je la guettais sur mes écrans. J’ai un secteur de veille stratégique car il s’étend dans l’environnement immédiat de l’office. Je reconnus sans peine ses mèches auburn qui s’échappaient de son bonnet et ondulaient au vent frais du boulevard.

Il lui fallait une bonne dizaine de minutes avant qu’elle franchisse la porte de l’office. J’en profitais pour faire plus ample connaissance. Je pointai un doigt sur son visage et je sus son nom, son age, son adresse, et la profession qui est attribué à tous les veilleurs : enquêteur à l’institut de sondage Argo. Son fichier personnel m’appris qu’elle était célibataire, sans enfants, je connaissais ses goûts, ses loisirs, mais je ne pus savoir si elle était fiancé, ou avait quelques relations amoureuse en cours. Je me demandais surtout quelle impression je lui avais laissé. J’avais entre mes mains un outil conçu pour pénétrer l’esprit des gens. Il était tentant de l’utiliser à d’autre fins qu’un sondage gouvernemental et d’y introduire mes propres questions. Après tout nos faibles salaires de fonctionnaire méritent bien quelques compensations. Ce fut assez facile malgré mes compétences en informatique assez anciennes de pénétrer le programme. Nos ingénieurs n’avaient pratiquement pas verrouillé les accès.

J’envoyais mes premières questions.

– L’agent F 451 est-il sympathique?

– Négatif.

– L’agent F 451 est-il antipathique?

– Négatif.

Cela m’affecta. Il faut dire que je n’ai pas un physique qui impressionne les femmes. Il me faut toujours de savantes stratégies pour les amadouer. L’accumulation de réponses négatives teintait de rose la silhouette. Je ne voulais surtout pas qu’on la suspectât de déviance. Mais je devais poser la question essentielle :

– Avez-vous un petit ami ?

– Positif.

Aussitôt sa silhouette retrouva une teinte conforme mais j’étais terriblement déçu. Il y avait quelqu’un dans sa vie. Les questions que je posais ensuite confirmèrent cette révélation sans apporter de précision sur la durée et l’intensité de leur relations.

Les jours suivants, je tentais de capter son intérêt lorsqu’elle me succédait. Je laissais entrevoir un roman d’un auteur qu’elle appréciait, ou bien en quelques mots, je faisais allusion aux lieux qu’elle aimait fréquenter, enfin ces sortes de choses que me permettait l’étude approfondi de son fichier d’identité. Ainsi, après quelques vacations, j’étais devenu sympathique.

Mais à quel prix ! j’avais détourné le système, je m’étais mis en danger. En valait-elle le risque ? Il y avait des quantité de filles dans le monde pour lesquelles il n’était pas nécessaire d’imaginer des manœuvres aussi compromettantes. Je décidai d’en rester là et de me concentrer sur mon travail. Et lorsque sa vacation pris fin, j’y vis comme un signe du destin et j’en fus soulagé.

Pourtant, malgré mes salutaires résolutions, je ne pouvais m’empêcher de la guetter sur mes écrans. Je ne la trouvais plus. Ses horaires ne correspondaient certainement plus aux miens. Elle me manquait. Bien sur la qualité de ma vigilance souffrait de cette quête, j’en avais conscience mais cela dépassait ma volonté, j’espérais simplement que le temps me délivrerait de cette obsession. Il y parvint presque… Puis un jour, elle réapparut. Le contact glacé de l’écran lorsque je agrandis son visage du bout des doigts raviva le manque. Comment des milliers de pixels pouvaient-ils compenser une présence vraie. Je devais la sentir, la toucher, elle devait être mienne. Exclusivement mienne.

Et pour ça, éliminer mon rival.

Les filles, je les connais bien. Je vois comment elles se comportent lorsqu’elles s’amourache d’un bonhomme. J’avais vu l’intérêt qu’elle portait à l’agent F 517, lorsqu’elle le succédait pour un remplacement. Ils restaient là à discutailler, à faire des mimiques équivoques . C’était insupportable de mièvrerie. C’était lui, sûr. Je devais vérifier mon intuition.

Une nouvelle fois, je neutralisai le système. J’écrivis :

– L’agent F 517 est-il votre amant ?

– Positif

J’enrageais. L’agent F 517 n’était qu’un bellâtre suffisant. Je déteste ces types là, moi qui dois tant besogner pour arriver à mes fins. Dans l’interstice de deux écrans, je le vis se lever pour papoter avec son successeur. Il terminait son quart de veille. Dès qu’il fut sorti, je le repérai dans le champ de mes caméras. Je m’informais de ses goûts, habitudes, relations. Je connaissais tout mais ne savais qu’en faire. Pourtant, si je voulais Livia, je devais l’éliminer. Je n’avais pas la carrure pour l’intimider et puis je détestais la vulgarité de la violence. Il s’engagea dans l’avenue, je suivais sa déambulation, il ne se pressait pas. Une idée me venait, elle méritait d’être approfondie. J’avais la solution, je l’avais expérimenté avec Livia. Il s’agissait, maintenant, de la pousser à l’extrême. J’allais franchir une étape supplémentaire dans l’irrégularité. Tan-pis, je ciblai le bellâtre et j’écrivis :

– Désapprouvez-vous les mesures sécuritaires du gouvernement ? 

– Négatif.

Aussitôt, sa silhouette se teinta de rose pale. Je renouvelais les questions. Le bellâtre s’empourprait, rougissait, rutilait. L’agent F 517, terroriste en puissance, disparaissait de mon secteur, auréolé d’écarlate. Adieu beau gosse ! …

Mais le lendemain je déchantai. Je le retrouvais à son poste et lorsque, à la fin de son service, je le visualisai sur mes écrans, je constatai que sa silhouette avait repris sa teinte d’origine… J’avais échoué. Je renouvelais l’opération en vain… Il me fallu une alerte pour découvrir mon erreur : j’avais négligé le protocole. Dès que l’agent surgissait sur les écrans d’un autre secteur, un collègue activait le protocole de confirmation qui lui rendait son innocence originelle. Je compris que, seul, le protocole déterminait l’interpellation. Je devais donc ouvrir le fichier du protocole et le modifier.

Je remontai donc jusqu’au serveur par le réseau interne et identifiai le fichier. Lui aussi était à peine protégé et je pus le déverrouiller facilement.

Je découvrais le code source du Protocole. Il reprenait simplement une suite de questions déjà posées, choisies certainement pour leur pertinence. Cependant, je remarquai qu’elles étaient toutes formulées de façon identique. Elles commençaient invariablement par : «  Approuvez-vous… » « Approuvez vous l’extension de mesures sécuritaires? ». « Approuvez-vous le report de l’âge légal du départ en retraite ? ». La manipulation était simplissime. Je programmais l’ajout du préfixe «dés » devant le verbe « approuvez ». Ainsi, pour un bon citoyen, à la question :  « désapprouvez-vous… ? » la réponse devenait négative.

Lorsque j’en terminais avec le logiciel, l’agent F 517 avait déjà quitté son service. Je le repérai juste à temps sur mes écrans, je le ciblai et activai le protocole. Adieu bellâtre !

Un jeune homme me bouscule sans ménagement pour sortir du bus. C’est aussi ma station, j’allais la manquer. Je dépasse un groupe de policiers à l’affût devant la bouche du métro. L’office de sécurité n’est qu’à quelques mètres. Je me hâte. Je suis impatient de connaître le résultat de mes manipulation de la veille .

Bien sur, mon poste est occupé par mon collègue titulaire de cette période de quart. On me désigne celui de l’agent F 517. Son siège vacant confirme la réussite de mon stratagème. Livia est elle aussi réquisitionnée. Elle sera toute à moi, maintenant. Mais je ne peux m’en réjouir longtemps, une alerte s’affiche sur mes écrans. Je cible le suspect et active le protocole. La silhouette vire rapidement au cramoisi, le suspect accumule des pensées négatives, je m’apprête à enclencher la procédure d’intervention quand je comprends. Le protocole, bien sûr ! Je l’avais modifié pour neutraliser l’agent F 517, mais il s’applique de la même façon pour toutes les vérifications. Tous les suspects deviennent coupables. Aucun complot contre l’état, aucune conspiration terroriste. Juste une légère modification de logiciel. Je cherche à atteindre le serveur, en vain. Le réseau, trop sollicité ne me permet qu’un accès aléatoire au fichier du code source. Insuffisant pour le réinitialiser. Alors je me lève et hurle :

– Le protocole ! N’activez pas le protocole !

 

…………….

 

Je suis traîné sans ménagement dans un long couloir sombre. Je suis docile pourtant, conscient de ma faute, je ne sais pas où m’emmènent les forces spéciales. On va me questionner. J’espère que ce ne sera pas trop douloureux. On m’accusera d’avoir mis en péril le système. Mais c’est faux. Je n’ai fait qu’en révéler les failles. On justifiera ces arrestations massives par une mise en échec d’un complot d’envergure. Il en sortira renforcé. Combattre le terrorisme est une guerre. Il n’y a pas d’innocent, juste des dégâts collatéraux…

C’est le prix de notre démocratie.

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Il m’est arrivé une expérience inédite. Pour répondre à une incitation d’un concours de nouvelles : « ¿Réversible / Irréversible ? « , j’ai imaginé une histoire. Je  n’ai pas beaucoup de facilité dans l’écriture, un petit texte me prends beaucoup de temps. Souvent mes histoires se construisent pendant un footing, , lorsque j’imagine un univers, j’oublie la fatigue et les douleurs, bref, ça aide à monter les côtes. Une fois que l’histoire s’installe dans mon esprit, le seul moyen de l’évacuer s’est de l’écrire. Ça nous renvoie à l’origine de ce blog, il y a déjà un bon paquet d’années….

j’ai écrit cette histoire sans vraiment lire les conditions du concours et la première version est de plus de 21 000 caractères. Il ne fallait pas dépasser les 10 000!!!!!. ça me contrariait d’en rester là, et il ne me restait pas beaucoup de temps pour retravailler le texte. Mais bon, tan pis, la deuxième version dépassait les 11 000 et pas moyen d’enlever des phrase sans perdre du sens… La troisième version finit par répondre aux contraintes à 5 ou 6 caractères près. Il n’était pas possible de faire un simple résumé du premier texte, j’ai donc à chaque fois changé d’axe narratif et même un peu les personnages. Mais c’est toujours la même histoire.  Je ne suis pas sûr que la dernière version, qui a séduit finalement le jury, soit la meilleure.

Les deux premières s’intitulaient : LE VEILLEUR, la dernière : RECONNAISSANCE MENTALE.

A vous de voir celle que vous préférez.

Je publie aujourd’hui RECONNAISSANCE MENTALE, les autres un peu plus tard, pour renouer avec mes publications en forme de feuilleton aux origines du blog.

 

 

Work in progress Totem

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3 heure de boulot aujourd’hui. J’ai dégrossi les mains. J’ai corrigé, dans la mesure du possible, celle d’hier et fait ressortir la droite en évitant les erreurs commises pour faire la gauche. je prends le temps de changer la dimension de mes ciseaux pour éviter des désastres et cherche un meilleur moyen d’orienter les coups. (ailleurs que sur mes doigts). Le problème vient qu’au bout de 3 heures j’ai mal à l’épaule à force de taper, je pense que j’ai vraiment une technique archaïque!

 

Petit format

Finalement ce format me convient bien malgré  qu’il soit un peu bâtard pour l’encadrement avec les format standard , soit trop grand ou trop petit pour 30X 40 cm en sous-verre

la photo révèle qu’il y a des zones non-peintes sur la gauche. j’ai eu un mal de chien à faire les herbes du 1er plan, c’est peut-être pas fini. puis faudra revoir à mettre du blanc sur les nuages à gauche…

 

Pour introduire Les Fleurs De Vigne

Donc, une mise en forme d’une vieille idée que j’ai fini par capturer sous forme de nouvelle. J’en ferais peut-être une BD ( à l’origine cette histoire devait être une BD) mais faudrait revoir pas mal de choses pour que ça fonctionne. Il y a vraiment une marge énorme entre un récit sous forme littéraire et sous forme BD.

C’est la 3eme version de cette histoire. ici, je l’ai adapté avec un niveau de langage très parlé car c’est un paysan qui raconte. Pour une autre version, j’avais écrit de façon plus correcte ( des mots recherchés, grammaire juste etc…) mais il m’a semblé qu’il fallait que le langage s’adapte au personnage.

C’est donc une sorte d’enquête, mais on est loin des codes du polard. Bon, c’est comme pour un tableau, souvent c’est le tableau qui décide et pas le peintre.

Nouveau piège à idées

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Voilà que ça m’a repris.

Ça a commencé par un désir de participer à des concours de pastel, de façon à me stimuler un peu et à l’occasion, voir comment mes peintures étaient accueillies. Donc, je prospecte le net, je ne trouve pas de concours pour le pastel mais beaucoup de concours de nouvelles.

D’abord, j’ai dis non, c’est pas pour moi, pas le niveau…

Puis, bon, j’ai des textes tout prêts, pourquoi pas essayer. Juste quelques photocopies et voilà. O.k, je fais ça. Mais il m’a fallu quand même relire tout cela, corriger des fautes ( à croire qu’elles s’insinuent quand on ferme la page) et des tournures. Et puis traiter le texte aux formats demandés. Bon, ça m’a pris plus de temps que je ne le croyais. Mais, j’ai envoyé 1 comte et 2 nouvelles.

Cependant, il y avait autre chose : Un concours organisé par une ville pas trop loin mais avec une consigne particulière : il fallait que la nouvelle commence par cette phrase tirée du  « Vieil homme et la mer » d’Hemingway : «  Il regarda la mer et sut comme il était seul »

D’abord, j’ai dis non, pas le temps…

Lorsqu’on commence un truc comme ça, on ne sait pas quand ça s’arrête. J’ai des peintures à faire et les délais sont trop courts. Mais j’avais cette phrase dans la tête et elle faisait son chemin. Alors j’ai écris quelques lignes pour voir ce que ça donnait et ça ne donnait pas grand chose.

Alors, j’ai redis non !

Mais, j’avais mis le ver dans la pomme et ça rongeait, ça rongeait…

Alors, j’ai dis oui, fallait s’en débarrasser.

Ça m’a pris une bonne semaine, mais c’est fait. Je la publierai ici. Je la laisse reposer un peu jusqu’aux limites des délais (20 jours), je la corrigerai et lui réglerai définitivement son compte.

Je retrouve ce besoin de délais comme moteur de création, mais sous une autre forme, c’est curieux non ?

J’espère de ne pas être trop ridicule avec mes prétentions…

Bricographie

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Voilà comment s’occuper pendant la surveillance d’examen…. Et si je voyais comment ça se passe dans l’ancienne école de musique hantée….. Houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu!