Archives mensuelles : septembre 2018

WORK IN PROGRESS

Je me décide à voir ce que donne le travail précédent en plus grand format. Je reste sur un format moyen inf à 30cm X40 car plus grand, c’est trop compliqué à trimballer.

Voila le premier jet, je ne sais pas quand j’aurais le temps de continuer, mais au moins il est en chantier.

J’aime bien le flou des arbres dans la lumière. Ça donne toute l’expression des nuances du pastel. J’aimerai trouver un style qui donne à voir ces nuances, mais je sais que j’ai du mal avec ça. Il y a 2 photos du même travail la 2eme à été corrigée avec une fonction de l’ordi comme je le fais à chaque fois. On remarque la différence. La vérité se situe entre les deux.

 

 

Petit format

Voilà un truc que j’avais commencé y a pas mal de temps. Je pensais qu’il y avait quelque chose à faire avec la lumière, comme j’avais pu le faire pour des tableaux avec des arbres et des près. Ici, je suis parti d’une photo mais j’ai mis de la lavande à la place des près. Je voulais que l’orientation de la lumière soit différente de celle des rangée de lavande comme si les 2 perspectives se combattaient.

c’était difficile en petit, je vais le reprendre en plus grand, il me semble que il sera plus intense.

LES FLEURS DE VIGNE

Les fleurs de vigne, ça ne compte pas. C’est comme les fleurs de petit pois. Pourtant, ça fleurit une vigne! Qu’ à la fin du printemps, y a des espèces de grappillons avec une poussière jaunasse au bout. Ce sont des fleurs miniatures. A croire que plus la fleur est insignifiante et plus le fruit est bon. Mangez donc le fruit d’une rose!.. Hamed, lui, justement, c’était les roses qu’il aimait.

– Vous voulez dire que Monsieur Hajoubi mangeait ses roses ?

Il était difficile de savoir si c’était du sérieux, cette question. Le capitaine l’avait posée sans un sourire, ni quoi que ce soit d’autre qui pouvait me faire penser à une galéjade, si bien que je ne savais pas quoi lui répondre. Et je restais planté comme un ravi, en face de lui, là, au bout de mon terrain, à l’endroit même où on papotait avec le pauvre Hamed. Ici, on peut pas dire que les limites des propriétés soit bien visibles. Il y avait bien un mur dans le temps, mais bon, ce qu’il en restait se faisait bouffer par les ronces et ça ne ressemblait plus qu’à un alignement de clapas. Le capitaine, se tenait chez Mme Herpellinger. C’était pas un domaine, je dirais, pas ça, mais y avait de l’espace. Ça allait en bas jusqu’au canal d’irrigation et puis ça montait bien plus haut que chez moi, jusqu’à la route. C’était Hamed, qui entretenait tout ça. On voyait qu’il était du métier, il s’en occupait vraiment bien, surtout autour de la villa, que, en bas, vers le canal, c’était pas la peine, personne n’y allait, pas même pour les truffes que c’était dommage avec tous les chênes qu’ y avait. Enfin c’était avant…

Pendant que le galonné me questionnait, une jeune poulette scribouillait sur un carnet tout ce que je débitais Je me marais en dedans car, dans le n’importe quoi, je savais m’étaler. Je bichais quand elle fronçait les sourcils pour déchiffrer mes bavardages, ça donnait de l’éclat à ses yeux de gazelle, du coup j’en rajoutais un peu. Sa silhouette menue contrastait avec la masse ruisselante de son supérieur. Y avait pas plus mal assorti comme couple. Le gros gendarme épongeait avec une boule de kleenex les gouttes de sueur qui suintaient de sa caboche pelée. Des fragments de papier restaient collés par endroit, comme des confettis, ça lui donnait un air de fête. Faut dire que cette matinée, elle était déjà chaude, ça promettait pour cet été. Mais le capitaine se montrait patient, très pro. Sans doute qu’il pensait que mes boniments laisseraient filtrer quelques indices. Pourtant j’avais déjà tout raconté lorsqu’ils avaient rappliqué à la villa pour constater les dégâts, prendre des photos, enfin tout le cirque. Et puis j’avais réexpliqué encore, à la gendarmerie même, avec ce ventilateur qui faisait voler les paperasses, qu’il fallait que je me répète sans arrêt. Et maintenant, une nouvelle fois, je recommençais devant l’imposante autorité qui dégoulinait en face de moi. Mais bon, à mon âge, c’est pas si souvent que je trouve du monde attentif à mes bavardages, alors s’ils aiment mes salades, je vais pas les en priver. Ça serait un comble pour un jardinier ! Je continuais :

– Il ne les mangeait pas, sûr. Quoique, allez savoir… En tous cas, voyez, il en plantait partout, de toutes sortes et de toutes formes, qu’au printemps, ça explosait de couleur, fallait voir…Tenez là bas : les rosiers buissons qui tapissent le talus de la terrasse devant la maison, il reste encore quelques fleurs. Et les grimpants sur la pergola, voyez ? Et même, il en faisait des sortes de petits arbres. Y a des rosiers qui sont fait pour ça, vous savez. Regardez celui-là dans le grand pot, là, dans l’angle de l’allée, enfin ce qu’on devine encore de l’allée, que maintenant, tout ça ne ressemble plus qu’a un harmas… Le jardin, il faut s’y tenir sinon ça gagne… Hamed, il s’est laissé gagné, voyez. A moment donné, c’est comme s’il en avait perdu le goût… Le goût de la beauté… Plus de goût. Voilà, progressivement, le goût lui a passé. Alors, avec la pluie qu’il a fait, tout pousse. Et pas que les roses. Et avec le cagnard après, tout sèche, et pas que les mauvaises herbes… Alors les roses, avec tout ce les guette : les pucerons, les taches noires, la rouille… La rouille, ça nous attend tous, savez… La rouille…

– Bien sûr, bien sûr… Vous avez déclaré avoir vu Monsieur Hajoubi quelques minutes avant le coup de feu, n’est-ce pas ?

– En effet, j’étais là pour ma vigne, que je voulais voir s’il fallait pas sulfater un peu. Je vous le dis : un jardin, faut s’y tenir sinon…

– Cette vigne là? Fit-il en désignant d’un menton humide la rangée de ceps devant laquelle nous nous tenions.

– Oui, j’ai quelques pieds. Que du muscat : là du chasselas et au fond : du cardinal. Voyez… Ça me suffit bien. J’essayerais bien de l’italien mais il me faudrait bricoler une tonnelle et.

– Donc, vous étiez ici, là où vous êtes, coupa le gendarme dont la patience s’effilochait

– Oui, à quelque chose près. Enfin, j’étais chez moi, de mon côté du mur. Bon, c’est vrai que le muret, là où on est, il en reste pas grand chose. Il faudrait se décider à le restaurer… Peut- être que je m’y mettrais un jour, mais des murs, on en construit partout maintenant, savez, qu’on se croirait au moyen-âge. S’il faut des limites, autant les faire avec les fleurs, vous croyez pas ? Hamed, il en faisait avec des roses, comme ici , voyez.

Je désignai un petit rosier qui s’efforçait de pousser entre nous deux parmi un fatras de mauvaises herbes.

Le capitaine considéra un instant l’arbuste puis porta son regard sur l’alignement de pierrailles qui faisait que chacun était chez soi . Puis, avant que je développe une argumentation reliant la construction des murs au problème des migrations depuis les croisades, il reprit :

– Et Monsieur Hajoubi était là avec vous…

– Hamed, ce jour là, il était déjà dehors quand je suis sorti… C’était tôt pourtant, mais il était planté là, de son côté. Pas loin d’où vous êtes. Même si on voit pas vraiment les limites ici, on sait où les propriétés s’arrêtent, voyez. Chacun chez soi. Je me suis dit : «  Tiens, Hamed ? Il est matinal, ça lui ressemble pas… »

– Il ne sortait pas ?

– Oh que si. Avant, oui, on se voyait. Moi à mon potager, à sarcler et biner et lui à ses rosiers, à tailler et traiter. Un jardin si on le laisse… Enfin, vous savez, faut pas croire, c’est la guerre chez les plantes

– Oui, oui… vous nous l’avez dit ! Il commençait à s’énerver et par ces chaleur c’est pas ce qu’il faut. Alors j’arrêtais mon cinéma pour embrayer simplement sur ce que j’avais vu et ce que j’avais fait.

Pourtant, c’était pas facile de m’en tenir qu’aux événements. Tout ça avait secoué ma vielle carcasse et si je baratinais autant, c’est que ça m’avait marqué plus que voulais le croire. Sûr, j’en avais vu des vertes et des pas mures dans ma vie et qu’à force j’en avais l’âme blindée. Mais bon, même les brutes les plus épaisses s’attendrissent aux larmes parfois, alors après ce qui s’était passé, vous comprendrez que je sois ébranlé quelque part. Ils m’avaient même proposé une assistance psychologique. Et puis quoi encore!.. J’avais donc rejoints Hamed. Il coupait les roses fanées de ce petit rosier qu’il m’avait offert l’année passée. Il laissait les fleurs au pied avec toute l’herbe qu’ y avait. C’était plus le jardinier méticuleux que je connaissais, mais ce rosier là, il le bichonnait encore un peu. Il me disait :

« Ça sera un beau rosier, tu vas voir…

– Oh, Hamed, oui, sûr, mais il faudrait pas le biner là ? Toute cette herbasse… »

Mais il s’en tamponnait de mes remarques, l’Hamed,… Avant, oui. On discutait… On comparait comment on faisait chacun pour que ça tourne rond, on parlait de sa patronne aussi, de comment elle allait mieux… et puis, petit à petit, c’est devenu que « bonjour, bonsoir » et encore c’est quand on se voyait et c’était pas tous les jours. Alors, ça m’a pas étonné qu’il me réponde pas. Il a juste continué dans son idée :

« Tu vois, je te le dis, il est bien là, juste comme il faut devant ta vigne. Que si le rosier, il tombe malade, alors tu traites, pas le rosier, tu traites la vigne comme ça elle sera pas malade, elle. Le rosier, tu peux aussi, mais la vigne si tu le fais, elle aura pas la maladie, le rosier, toujours il est malade en premier, il t’avertit qu’il faut traiter, tu vois

– Oui, Hamed, j’ai compris. C’est gentil pour le rosier. Si tu veux… Enfin, j’y connais rien en rosier, mais si tu veux que je lui fasse propre au pied … Tant que je sarcle la vigne…

– Toujours sourd à mes propositions, il désigna, de la pointe de son sécateur, une dernière rose à peine éclose.

– Belle, vois, elle est toute belle… C’est pas la dernière, y en aura d’autres, mais y faut couper les fanées, après, comme ça, y en a d’autres… Tu verras, c’est un beau rosier.

– Oh, je te laisserai faire, Hamed, que c’est toi le spécialiste. Dis, mes premières tomates, ça lui dirait pas à Madame Herpellenger, ça lui ferait du bien. Tu me disais qu’elle était rentrée de sa convalescence. »

– Madame Herpellenger, vous la connaissiez bien ? J’ai lu sur votre déposition qu’elle vous invitait pour le thé…

C’est comme si le capitaine avait éteint la télé avec sa question. C’est qu’en lui racontant cette foutue matinée, je me repassais tout le film. Je voyais la trogne d’Hamed, qui me faisait penser à ces vieilles patates oubliées, toutes crevassées, de la même couleur, pareil, et puis j’entendais sa voix aussi, avec son accent d’arabe que des fois je comprenais rien.

– Oui, oui, J’ai dis ça… Voyez, ici, c’est la campagne. Bien sûr la ville est à côté mais c’est la campagne quand même. Faut pas refuser la compagnie. Quoique, maintenant, c’est de moins en moins la campagne, pauvre, avec tout ce qui se construit.

– Donc, elle vous invitait, coupa t-il.

– Entre voisin… Mais bon, juste une une fois ou deux, que le thé à la menthe, c’est pas trop mon truc… Ils avaient ramené cette manie de là bas…

– Et la dernière fois que vous l’avez vu ?.

– Hou-la ! Je sais plus trop… Je l’ai déjà dis à vos collègues. Elle était malade, enfin vous le savez, je pense… Je lui portais des légumes, la pauvre, que voulez-vous, entre voisin… Hamed, oui, il s’en occupait bien, vraiment au petits soins, qu’ils étaient pas tout jeunes, savez. Mais la dernière fois, oh ! ça fait bien plus d’un an…

– Et cela ne vous intriguait pas de ne plus la voir ?… Entre voisin…

– Oui, un peu quand même, mais Hamed me donnait des nouvelles. Elle partait souvent en maison de repos…

Le gendarme m’écoutait. Les gouttes de sueur faisaient de longues traînées luisantes comme un mucus de limace sur ses joues grasses. Il s’éventait comme il pouvait avec sa casquette réglementaire et c’était pas facile avec ça, c’en aurait été presque comique en d’autres circonstances. Je crois que s’était un truc pour m’impressionner car il me fixait droit dans les prunelles en attendant que j’en rajoute une couche, mais bon, j’avais plus rien à dire et il le savait. Il voulais juste un instant de silence pour donner du poids à ce qu’il allait révéler. Il lâcha

– Elle n’a jamais été dans une quelconque maison de repos, ni hôpital, ni quoique ce soit. On peut même envisager qu’elle soit encore ici.

C’était un malin ce flic. Faut pas se fier au apparence, je le dis toujours. Il avait fait comme à la pêche quand tu laisses balader le poisson au bout du fil, tu tires un peu de temps en temps histoire de montrer que t’es là, mais tu le laisses se fatiguer et puis hop ! Il m’avait laissé me répandre, faire l’intéressant parce que j’avais été aux premières loges, et il avait balancé son truc. Mais qu’est-ce que je savais vraiment au juste ? Qu’est-ce qu’ils voulaient que je leur raconte de plus ? Alors, ma voisine avait disparu. Et donc, ils la cherchaient. On était sans nouvelle d’elle depuis des lustres et ils la cherchaient. Moi, je m’en étais même pas rendu compte, tant qu’il y avait l’Hamed qui me disait comment ça allait. Même que ça m’arrangeait de ne pas la voir à cause de ses invitations pour le thé. Que voulez-vous, chacun chez soi… Mais les flics, maintenant, ils savaient même pas si elle était morte ou pas, alors ils cherchaient… Mais fallait pas qu’ils pensent que j’aurais pu être mêlé à ça… J’étais juste le voisin et c’était pas la peine d’essayer de me troubler comme le gros capitaine le faisait avec ses mystères. Pourtant, ça me faisait gamberger tout ça , alors je bredouillais :

– Toujours ici ?.. Mais vous voulez dire où, ici ?

Il ne répondait pas, me laissant maronner. Il n’y avait plus personne ici, à part la gendarmerie, moi et les souvenirs. Oui, les souvenirs, maintenant je comprenais, les souvenirs bien sûr. Elle était plus que disparue, la voisine, elle était morte. C’était ça que le galonné voulait dire. Elle était morte et ça faisait un bail, maintenant je comprenais. Certains détails qui me revenaient, c’est pas que je les avais oubliés, non, c’est qu’ils s’arrangeaient autrement dans ma caboche.Oh ! Hamed, sous ton air de pauvre couillon, tu t’es bien foutu de ma gueule !

Je le revoyais tenant entre ses doigts tordus la frêle fleur qu’il venait de couper. Il en inspirait longuement l’arôme. Avec son espèce de nez comme tout bouffé de rouille contre ces pétales si légères, si fragiles qu’on pouvait presque en sentir le parfum en les voyant, ça faisait bizarre comme tableau. Mais Hamed, c’était un sensible, un délicat, et c’est pas parce qu’on a une sale gueule qu’on aime pas les belles choses. Parce que la beauté, vous savez…

« Y en aura d’autres, marmonnait- il. Il en vient toujours d’autres avant l’hiver… »

Et puis lentement il se tourna vers la villa. Je le regardais s’éloigner de sa démarche bancale. C’était la dernière fois que je le voyais vivant.

Quand le coup de feu éclata, j’étais toujours à biner ma vigne. J’ai réalisé de suite.

« Putain, Hamed ! »

J’enjambai son foutu rosier, traversai le jardin, et entrai dans le séjour. Ce séjour, si propret, si scrupuleusement organisé, où nous prenions le thé, Madame Herpellinger et moi. Oh ! une éternité déjà ! La porte de la cuisine était ouverte, j’entrai.

Hamed était affalé sur la petite table devant laquelle il s’était assis. Sa main droite serrait toujours la crosse du pistolet et la moitié de son crane s’éparpillait sur la nappe verte dans une abondance de sang. Cela faisait comme une pastèque écrasée, avec tout ce rouge sur tout ce vert. Je pensai aussitôt à Madame Herpellinger. J’appelai :

« Madame Herpellinger ! Rose! »

Rose, ça s’invente pas ces choses là . «  Pas de chichi entre voisin, appelez moi donc Rose » qu’elle me disait pendant qu’Hamed me servait sa tisane en levant haut la théière et ça faisait un joli bruit de source quand il remplissait la tasse. Il savait faire, sûr, pas une goutte sur le napperon.

Je trouvai sa chambre. Le lit était fait, aucun plis, bien comme il faut. Sur la table de nuit, autour d’un petit vase asséché, une fleur avait abandonné ses pétales, une rose bien sûr. J’étais soulagé : la Rose que je cherchais n’était pas là, sans doute en cure où quelque chose comme ça. Le suicide d’Hamed l’aurait achevé. Oui, comment j’aurais pu deviner ?

C’était tranquille dans cette chambre, les persiennes étaient entrebâillées et ça donnait une atmosphère peinarde qu’on avait pas envie de quitter… Mais bon, y avait du drame à côté et je retrouvai mes esprits fissa. Je retournai à la cuisine où je savais un téléphone.

C’est alors que je remarquai, posée en bout de table, dans un simple verre d’eau, la petite rose qu’Ahmed venait de cueillir. La fleur était vraiment très belle, haut dessus de tout sur sa tige bien droite, comme une reine, l’air de dire qu’ il n’y avait qu’elle à voir, que le reste c’était que le carnage du monde, que du banal. Mais le reste c’était Hamed éparpillé… Voilà pourquoi je déteste les fleurs : la beauté quelle farce !

Il y avait aussi, à côté de la fleur, un petit cadre dressé sur un côté. Il présentait une photographie en noir et blanc où trois personnes posaient en souriant à l’objectif. Elles étaient jeunes et semblaient heureuses. Je reconnaissais Madame Herpellinger. Un grand type la tenait par la taille. Hamed était en retrait du couple. Derrière eux, on devinait un beau jardin avec des palmiers, des plantes exotiques et même une sorte d’arcade tarabiscotée comme en font les arabes. Une giclé de matière avait atteint l’image du gars au niveau de la tête. Ça avait glissé ensuite vers le bas du cadre et laissé une traînée brunâtre. Du coup, le mec, il était comme effacé, et on ne voyait que le couple d’Hamed et de Rose. Maintenant, en y repensant, ça faisait comme si le destin avait laissé un message, un signe. Mais les choses ne sont que ce quelles sont et le hasard prend le sens qu’on veut bien lui donner. Faut pas se raconter de bobards, on est seul à cultiver son jardin et faut faire avec ça.

– Et entre Madame Herpellinger et Hajoubbi, comment ça se passait ? Leur relation ?…

Le gendarme me relançait. J’avais une nouvelle fois relaté les faits mais sans trop m’étaler. J’avais plus envie. Je repensais à la fleur, au sang sur la photo, à tout ce bazar qu’on aurait dit une mise en scène macabre. Je cogitais à ce que ça voulait dire tout ça. Qu’il y avait bien des choses enfouies dans le passé. Ce qu’on sait des gens, c’est rien de plus qu’un instantané, une image en couleur et en relief, et puis, ce qu’il y a derrière, on se le raconte. Et ce que je me racontais, j’avais pas envie de l’étaler. Que le suicide d’Hamed serait l’aboutissement d’ une vieille histoire. Qu’il se serait passé des trucs avant qu’ils viennent se planquer ici, loin de tout. Que peut-être Hamed n’était pas le serviteur attentionné qu’on avait emmené dans ses bagages loin des troubles de l’histoire. Hamed, Rose que de secrets ! Mais jamais Hamed n’aurait maltraité Rose. Je le savais. Il la vénérait, à en mettre partout des roses et que s’en était trop! Peut-être qu’ils s’aimaient… Après tout, quelle importance… Non, c’était simplement que la Rose avait perdu ses couleurs, qu’elle s’était fanée, épuisée par la rouille. Elle avait fini par abandonner la lutte, c’est tout. Puis Hamed, avait survécu. De quoi vivait-il ? De quelque pension qu’elle recevait sans doute, jusqu’à ce que ce ne fut plus possible. Il y avait un tas de courrier administratif empilé près du téléphone, sûr qu’il contenait une mise en demeure, une annonce de contrôle ou quelque chose de cet acabit… Hamed était resté là, aussi longtemps que possible à cultiver son souvenir puis il lui avait dit adieu. Il fallait bien qu’un jour ils se séparent car le capitaine voyait juste : Mme Herpellinger était toujours ici.

Le gendarme attendait ma réponse.

– Vous voulez dire s’ils étaient amants ? Enfin, je veux dire : avant, que maintenant…

L’officier acquiesça de la tête.

– Ben, ça avait pas l’air, comme ça. Hamed c’était l’homme à tout faire : le jardin, le bricolage, enfin ce qu’il faut faire dans une baraque. Sûr qu’il s’occupait bien d’elle, ça oui, aux petits soins…Bon, je dis ça mais je ne suis que le voisin, voyez.

– Et monsieur Herpellinger, vous l’avez connu ?

– Lorsqu’ils sont arrivés, ils n’étaient qu’eux deux…. Pourquoi, j’aurais dû le connaître ?

L’officier ignora ma question. Un gendarme venait vers nous. Il tenait fermement en laisse un gros chien. L’animal haletait, il faisait vraiment du bruit en respirant sauf quand il astiquait son museau avec sa langue. Je me dit, en regardant dégouliner le capitaine que les grosses bêtes avaient vraiment du mal avec la chaleur

– Ha ! Voilà la brigade cynophile. Adjudant, nous vous attendions.

Le maître-chien salua le capitaine et jeta un regard appuyé à la gendarmette. Elle s’était écartée à la vue du molosse, on voyait qu’elle n’était pas tranquille avec les clébards. Le capitaine lui rendit son salut en ajustant sa casquette. C’était le chef, il s’embarrassait pas de formalités.

– Mais vous êtes seul ? Avez-vous vu la surface du terrain ?

– Oui, capitaine, ça prendra peut-être du temps, mais s’ il y a quelque chose, mon malinois trouvera.

Le chien restait en retrait. Il tirait sur la laisse avec des gémissements en plus de tout le reste. Je me demandais comment il pouvait faire tout ça à la fois.

– Calme Burma, tout doux, fit le maître chien.

Le malinois éternua. Ça a fait comme une explosion de bave.

– Votre détective redoute la chaleur autant que moi, adjudant, commenta le capitaine. A moins qu’il ne s’impatiente… Allons, il est temps de s’ y mettre…

Puis, il se souvint de mon existence et de ma question en l’air.

– Non, je ne pense pas que vous l’ayez croisé, mais sait-on jamais… Le temps ensevelit bien des choses et le monde n’est pas aussi rond que vos belles tomates…

Pourtant, est-ce qu’il s’y connaissait ce gros militaire en jardinage ? Est-ce qu’il savait combien de rameaux il faut couper pour une bonne cueillette? Et toi, Hamed, combien t’en as taillé pour avoir ton fruit ? Ô tous ces sacrifices !…

Le gendarme me fixait. Son regard piochait au plus profond de mes pupilles. Creuse, creuse, Capitaine, tu n’en auras pas plus. Ce que je pense, c’est ma récolte perso, je me la garde au frais, enfin si je peux dire… Puis il ajouta :

– Bien, nous en avons fini pour le moment. Oui, pour le moment car il faudra répéter tout cela au procureur… Monsieur le jardinier.

Je regardais les forces de l’ordre s’éloigner. Le toutou furetait déjà dans les massifs, son maître l’avait lâché mais le suivait de près. Le capitaine se traîna sous la pergola pour s’effondrer à l’ombre sur un des fauteuils d’extérieur. La jeune poulette ne l’avait pas suivi tout de suite. Elle avait pris le temps de se retourner vers le maître-chien. Lui, on aurait dit qu’il attendait que ça, car, il lui fit un beau sourire. Sûr, ces deux là se connaissaient et ne le montraient pas. Mais ce n’était sans doute qu’un jeu de regard, il faut toujours que je m’invente des histoires. C’est que la solitude, parfois, t’as envie de la remplir de quelque chose… Alors je gamberge gentiment et c’est peut-être pareil avec mes pauvres voisins. Pourtant…

L’ interrogatoire avait fait quelques dégâts. A l’entour du petit rosier, la végétation était pas mal piétinée. Bah ! La mauvaise herbe, c’est ce qu’il y a de plus robuste, elle s’en relèverait.

La mauvaise herbe…

J’ arrachais une tige et fus surpris par l’odeur. Ça puait vraiment. Je filais vers l’appentis où je rangeais mes outils et autres bricoles. Je finis par dénicher une vieille boite de répulsif. J’en frottais la poussière pour lire la notice de composition. Il y avait des trucs compliqués en latin, alors j’emportai la boîte jusqu’aux rayonnages où j’accumulais quelques bouquins de botaniques. Je ne cherchais pas l’image de la citronnelle bien sûr, ni celle du poivre gris, mais je trouvais celle de la « Plectranthus caninus » et c’était bien ce que je tenais.

A travers les toiles d’araignée du fenestron, je pouvais voir, au bout de mon jardin, le petit rosier où une si délicate fleur avait éclos parmi ces herbasses puantes. La beauté, la beauté finalement… A bien y regarder, la rouille même est pleine de subtiles nuances. L’ arbuste agitait ses frêles rameaux dans le vent qui se levait. On aurait dit qu’il me faisait comme un salut, un signe amical. Oui, un signe encore… Mais peut-être n’était-ce que le vent…

Cherchez bien capitaine, creusez, fouillez partout, mais ne touchez pas aux roses, Madame Herpellinger y repose en paix…

– Putain, Hamed, quel cadeau que tu m’as fait !

FIN

 

Pour introduire Les Fleurs De Vigne

Donc, une mise en forme d’une vieille idée que j’ai fini par capturer sous forme de nouvelle. J’en ferais peut-être une BD ( à l’origine cette histoire devait être une BD) mais faudrait revoir pas mal de choses pour que ça fonctionne. Il y a vraiment une marge énorme entre un récit sous forme littéraire et sous forme BD.

C’est la 3eme version de cette histoire. ici, je l’ai adapté avec un niveau de langage très parlé car c’est un paysan qui raconte. Pour une autre version, j’avais écrit de façon plus correcte ( des mots recherchés, grammaire juste etc…) mais il m’a semblé qu’il fallait que le langage s’adapte au personnage.

C’est donc une sorte d’enquête, mais on est loin des codes du polard. Bon, c’est comme pour un tableau, souvent c’est le tableau qui décide et pas le peintre.