Archives mensuelles : juillet 2021

Virtuelle Randonnée

Publié le

Un peu en avance car mon ordi prend des vacances…

Publié le

Voilà, la dernière version de cette nouvelle « Reconnaissance Mentale » qui semble plaire puisque une des précédentes versions à été publiée et que cette dernière fut distinguée et sera certainement publiée dans le cadre du prix Aristophane.

Cette adaptation à été le fruit de mes 14 jours d’isolement confiné à Montréal. Pour répondre aux conditions du concours, c’est une pièce en 1 acte.

LE VEILLEUR

Comédie dramatique

Résumé

Dans un futur proche, un état, sujet à des attaques terroristes, teste un nouveau programme de surveillance sociale. Un système informatisé appelé « reconnaissance mentale » identifie les pensées des citoyens. Mais un des agents d’exploitation ( un veilleur) a dévoyé le système. Un homme politique et un militaire interroge cet agent pour connaître la motivation de ses actes. En filigrane, se mesure la valeur d’une démocratie où la liberté individuelle se confronte aux nécessités sécuritaires.

3 acteurs : 3H

PERSONNAGES

L’ agent F451.

Le commandant.

Le secrétaire d’état.

LE DECOR ;

Une pièce austère. La porte d’accès est la seule ouverture. Pour tout mobilier : 2 fauteuils de part et d’autre d’un bureau. Sur le bureau : un micro et un clavier d’ordinateur. Sur le mur, face à la salle, un écran vidéo de grande dimension.

L’écran diffusera l’image de l’agent F451 filmé en coulisse, s’éclairant alternativement en vert et rouge.

LE VEILLEUR

LE COMMANDANT ( uniforme austère) debout, impatient, regardant sa montre puis s’asseyant derrière le bureau. Il pianote sur le clavier. Un homme en plan taille apparaît sur l’écran mural. Puis il appuie sur une touche et une lueur verte éclaire la face de l’homme. – Parlez, Veilleur ! Votre identité et votre fonction !

L’AGENT F451,(en chemise grise cintrée, col fermé, lunettes) inquiet, cherchant du regard l’origine de la voix. – Heu…

LE COMMANDANT, – Nous vous écoutons et nous vous voyons. Parlez vers l’objectif devant vous, dès que le signal vert vous y autorise. Votre identité et votre fonction !

L’AGENT F451, toujours hésitant – Agent Veilleur F541,.. Accompagnateur visuel, secteur nord-est du 3eme arrondissement, rattaché au Système Expérimental de Protection Sociale.

LE COMMANDANT. – Le Système a été perverti. Vous avez avoué votre implication dans cet attentat, expliquez-vous.

L’AGENT F451. – Attentat… Non vraiment, c’est… Excessif…

LE COMMANDANT, – Pourtant il s’agit bien d’un sabotage et vous en êtes responsable.

L’AGENT F451. – Responsable, peut-être… Oui, je suis bien à l’origine de ce… heu… dysfonctionnement, mais c’est la passion pour mon travail et la volonté de le mener à bien qui m’ont conduit à ces égarements… Attendant une objection qui ne vient pas, puis prenant de l’assurance, oui, j’aime regarder vivre les gens… C’est pour cela que j’aime mon métier… J’aime les observer sur nos écrans, savoir leur noms, leur age, leur profession… Et même voir la couleur de leurs yeux, jusqu’aux plus insignifiantes de leurs rides. Je suis payé pour ça et c’est bien plus excitant que de les entrevoir au travers d’une fenêtre ouv…

Soudain la porte s’ouvre. Le secrétaire d’état surgit. Aussitôt le commandant actionne une touche du clavier, la lumière sur l’ écran devient rouge, la fin de la phrase reste inaudible et l’agent F451 se tait.

LE SECRETAIRE D’ETAT, ( bedonnant, costume négligé, cravate relâchée) – Où en sommes-nous commandant ?

LE COMMANDANT, se levant respectueusement. – Ha ! Monsieur ! Il a fallu tout arrêter, tout bloquer. Mais rassurez-vous, le Système n’est pas a remettre en cause. Il y a eu malveillance.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Malveillance, vous plaisantez! Vous vous rendez-compte du foutoir dans lequel on est! Malveillance! Pointant l’écran, et lui, là, c’est lui le… Malveillant?

LE COMMANDANT, contournant le bureau pour présenter un fauteuil. – Oui. Il est en salle d’interrogation. C’est un de nos veilleurs. Je ne pense pas qu’il soit un terroriste infiltré mais tout est possible. Nous essayons de comprendre ce qui s’est passé.

LE SECRETAIRE D’ETAT, ignorant le fauteuil et arpentant la salle. – Comprenez, commandant, comprenez vite. Les enjeux sont trop importants.

LE COMMANDANT, revenant derrière le bureau, restant debout. – Votre appréciation sera nécessaire, Monsieur. Poursuivons l’interrogatoire. Il actionne le clavier, la lumière verte revient sur les écrans. Puis se penchant vers le micro, continuez veilleur, mais épargnez- nous vos considérations, soyez direct.

L’AGENT F451. – Je voulais simplement insister sur mon intégrité professionnelle. On se doit d’être attiré par la vie des autres pour exceller dans notre fonction. Ah, leur vie, leurs turpitudes… Elles nous sont si communes pourtant … Mais, moi, elles me distraient et elles me confortent dans ma solitude. Et puis dans toutes ces misérables existences, peut-être y en a t-il une qui vaille le peine.

LE SECRETAIRE D’ETAT, arrêtant sa déambulation. – Mais c’est qui ce type? Le commandant coupe le micro, la lumière rouge revient sur les écrans. Vous recrutez ce genre hurluberlu, commandant ?

LE COMMANDANT. – En fait, Monsieur, nos recrues ont une forte propension au voyeurisme. Nos tests de recrutement s’efforcent d’écarter les individus pour lesquels cette tendance altérerait trop leur vigilance. Nous voulons des guetteurs, c’est à dire des agents capables de déceler rapidement des indices de déviance chez nos concitoyens. Notre agent a réussi admirablement nos tests dans ce domaine.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Il faudra revoir vos tests. Impérativement ! Foutre-dieu ! Nous ne pouvons admettre la moindre erreur. Le Système doit être infaillible. Il y va de sa légitimation par l’assemblée. Il reprend sa déambulation.

LE COMMANDANT. Oui, et de notre sécurité. Ouvrant le micro , lumière verte, se penchant vers le micro, Veilleur, poursuivez.

L’AGENT F451. – Mes motivations sont et ont toujours été celles de la protection de notre démocratie, je vous l’affirme. Mes manipulations visaient aussi à mesurer la vulnérabilité du Système.

LE COMMANDANT. – Nous en jugerons, continuez.

L’AGENT F451. – Les gens détestent être observés à leur insu et…

LE COMMANDANT, s’appuyant sur le bureau – Les citoyens ne sont pas observés à leur insu. Leurs représentants ont approuvé l’extension du système de reconnaissance faciale dans tous les lieux publics. Il s’agit de leur sécurité, ils le savent. Nous veillons sur eux.

L’AGENT F451. – Oui, mais ils l’oublient, bien qu’ils se donnent même un mal de chien pour maîtriser leur image sociale… C’est pour cela que, chez eux, ils tirent les rideaux, ferment les volets. Ils craignent que se révèle cette part d’ombre tapie au fond d’eux-même. Cette part redoutée qui m’a conduit ici, dans cette pièce, face à vos questions.

LE SECRETAIRE D’ETAT. Arrêtant sa déambulation – Qu’est-ce qu’il raconte là ? Cet agent est complètement fou. Le commandant coupe le micro, lumière rouge. Je doute que cet interrogatoire nous apprenne quoique ce soit.

LE COMMANDANT, se redressant J’avoue, Monsieur, que je ne m’attendais pas à un tel profil névrotique. Mais continuons, nous ferons le tri plus tard. Ouvrant le micro, lumière verte, poursuivez, agent F451.

LE SECRETAIRE D’ETAT, reprenant sa déambulation et soufflant en aparté. – Profil névrotique, pfff !

L’AGENT F451. – Je voudrais vous éclairer sur une pratique assez répandue chez les veilleurs. Parfois nous nous égarons sur de jolies passantes. Mais rassurez-vous, les lacunes du Système ne réside pas dans cette futilité. Cela n’affecte en rien notre veille car il est rare qu’un individu reste longtemps dans un même secteur.

LE SECRETAIRE D’ETAT, s’arrêtant, suspicieux – Étiez-vous informé de telles pratiques, commandant ?

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – Plus ou moins… Nos études ont montré qu’une concentration soutenue ne peut se prolonger très longtemps. Nous tolérons donc quelques manquements. Nous avons vu des agents s’assoupir… Et à ce stade du projet, notre budget ne nous permet pas de réduire leur temps de veille. Ouvrant le micro, lumière verte, se penchant vers le micro). Vous évoquiez les lacunes du système, développez veilleur.

Le secrétaire d’état reprend ses allées et venues.

L’AGENT F451. – J’y viens, mais elles sont de natures différentes et certaines sont liées aux circonstances qui m’ont poussé à transgresser ma fonction.

LE COMMANDANT, s’appuyant à nouveau sur le bureau – Bon, nous vous écoutons.

L’AGENT F451. – Voilà, c’est au cours d’un de ces égarements que je reconnus l’agent S69. Sa chevelure rousse la rendaient facilement identifiable. C’est une polyvalente. Elle avait veillé au poste 135 juste devant le mien. Lorsqu’elle prenait ses fonctions, elle rejetait ses cheveux en arrière et je voyais rouler sur son pull ses longues mèches qui, en fait, sont plutôt auburn.

LE SECRETAIRE D’ETAT, gesticulant – Et bla ,et bla ! Il nous embrouille, tout ça c’est du baratin. Ça nous mène nulle part.

L’AGENT F451. – Je n’ai pas saisi la question.

LE COMMANDANT. – Aucune importance, continuez!

L’AGENT F451. – Bien. Je voulais dire que parfois, avant de s’asseoir et de me tourner définitivement le dos, elle jetait un regard distrait en arrière. Oh, ce regard ! Il m’arrivait de le croiser… Alors, je ressentais quelque chose que… Que je ne maîtrisais plus… Quelque chose qui dépassait le simple désir d’observer, quelque chose qui m’impliquait, comment dire… Qui m’impliquait physiquement.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Ce con est tombé amoureux, c’est pas possible! S’arrêtant face au commandant, est-ce que vos tests préviennent de telles éventualités, commandant?

L’AGENT F451. – Je n’ai pas compris la…

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – Nos tests ne sont pas parfaits, c’est certain. La mixité des équipes doit être mise en question. Finalement, ces bavardages nous renseignent. Orientant le micro avant de l’ouvrir, lumière verte, poursuivez veilleur…

Le secrétaire d’état reprend ses allées et venues.

L’AGENT F451. – Le système m’apprit qu’elle se prénommait Sarah, qu’elle avait 27ans, mais je ne pus en savoir davantage car il y avait une alerte sur un de mes écrans. Ce n’était rien . Encore une erreur d’interprétation de pensée négative.

LE SECRETAIRE D’ETAT, s‘arrêtant . – Une erreur d’interprétation de pensée négative? Qu’est-ce qu’il veut dire?

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – Développer et banaliser un système de reconnaissance faciale renforce évidemment notre sécurité. Cela nous a permis la neutralisation de nombreux terroristes, et cela grâce à vous, Monsieur, vous l’avez fait voter.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Mais il y a des limites, commandant, nous vous demandons d’aller au delà des apparences.

LE COMMANDANT, – Oui, connaître les pensées des gens. Les pensée vraies, sans pollution de l’affect. C’est l’objectif partagé par tous les instituts de sondage et nous sommes en train de le réaliser. Une enquête d’opinion idéale. Mais les algorithmes de ce que nous appelons la « reconnaissance mentale » sont d’une complexité infinie.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Lire dans les pensées…

LE COMMANDANT, prenant de l’assurance Non, Monsieur, évoquer la lecture n’a aucun sens, car la pensée est protéiforme. Si ce n’était qu’une affaire de mots, nos problèmes seraient grandement simplifiés. La verbalisation mentale n’est pas si fréquente et les mots ne sont finalement qu’une forme, une métaphore de la pensée…

LE SECRETAIRE D’ETAT.Protéiforme… Il se racle la gorge, perplexe. Soyez sûr que nous évaluons la difficulté de la mission que nous vous avons confiée, commandant.

LE COMMANDANT, s’asseyant – Le Système nous permet de traduire les mots en ondes électromagnétiques.

LE SECRETAIRE D’ETAT, embarrassé – Hum ?…

LE COMMANDANT. – Nous composons une question simple qui est aussitôt convertie en signaux. Relayée sur nos réseaux, cette question est directement perçue par le cerveau des gens croisant le champ de nos caméras.

LE SECRETAIRE D’ETAT, acquiesçant – Hum…

LE COMMANDANT. – Leur réponse est une réaction mentale immédiate, Je dis bien « réaction mentale » car leur réponse ne se verbalise pas. Elle se traduit simplement par une réaction positive ou négative. Oui ou non.

LE SECRETAIRE D’ETAT, sortant un mouchoir et tapotant son front – Donc, commandant, la difficulté est de poser la bonne question, c’est ça ?

LE COMMANDANT. – Oui, trouver les mots justes. La formulation de la question est capitale, il faut éviter des interprétations multiples. Ainsi à la question: « Préparez-vous un attentat? », nous avons dû intervenir auprès d’une masse de suspects qui préparaient une surprise d’anniversaire ou quelque poisson d’avril.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Mais c’est mauvais ça , très mauvais ! Dites-moi que vous avez une parade contre ces erreurs interprétations !

LE COMMANDANT. – Nous avons mis au point un protocole de vérification que nos agents soumettent immédiatement aux suspects.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Ha, bien… Mais pourquoi ne pas soumettre ce protocole en permanence ? Tout serait réglé non ?

LE COMMANDANT. – Techniquement difficile à diffuser à grande échelle. Vous comprenez, Monsieur, qu’un contrôle humain est indispensable à ce stade.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Mais non infaillible, pour le coup, commandant.

LE COMMANDANT, adoptant une attitude de plus en plus décontractée En effet, et nous devons en connaître la cause. Actionnant le micro, lumière verte, continuez votre récit, agent veilleur.

L’AGENT F451. – Oui, entre temps, Sarah avait disparu de mes écrans, mais j’allais vite la retrouver. Car elle était là. Elle remplaçait l’agent qui me succédait et attendait que je lui cède mon fauteuil. J’ai bredouillé qu’elle était la bienvenue à mon poste, enfin quelque chose de cet ordre… Je me souviens que je faillis l’appeler Sarah… Elle était si près… Si réellement près, je respirais son parfum, j’étais décontenancé… Je rentrais chez moi avec un sentiment confus d’euphorie. Mais aussi avec une sorte d’angoisse indéfinissable… Avait-elle ressenti ce vertige, elle aussi ? Cela m’obsédait, comprenez-vous cela ?

LE SECRETAIRE D’ETAT, exaspéré – Allez, allez on a compris !

LE COMMANDANT. – Continuez.

L’AGENT F451. – Bien… Je devais savoir si elle aussi partageait ce trouble. Et j’avais un outil pour pénétrer l’intimité de son cerveau. Un bel outil !… Le Système. Il suffisait d’oser le détourner. J’étais dans un tel état d’excitation que mes réticences déontologiques ne passèrent pas la nuit. Le lendemain, je trouvais une façon de l’investir pour poser mes propres questions.

LE COMMANDANT. – Comment contourniez vous le système, agent F451?

L’AGENT F451. – J’ai quelques notions de programmation et ce fut assez facile. J’eus largement le temps de consulter son fichier personnel. Elle était célibataire, sans enfants, j’avais son adresse, je connaissais ses goûts, ses loisirs. Et lorsque elle apparut sur mes écrans, j’envoyais mes premières questions.

LE COMMANDANT. – Pouvez, vous préciser le processus.

L’AGENT F451. – Bien sûr, Je lui demandais si elle me trouvait sympa.

LE COMMANDANT. – C’est à dire ?

L’AGENT F451. – En fait je formulais mes questions ainsi : L’agent F451 est-il sympathique ? Réponse : négatif. Puis : l’agent F451 est-il antipathique ? Négatif. Quelle désillusion ! Mais, au moins, elle ne me détestait pas.

LE SECRETAIRE D’ETAT, ironique – Je suis content pour lui.

L’AGENT F451. – Évidemment, l’accumulation de réponses négatives teintait de rouge l’auréole de Sarah. Je ne voulais surtout pas qu’on la suspecte de déviance, aussi j’activais le Protocole pour qu’elle retrouve une couleur conforme.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Une auréole rouge, il nous parle de quoi, là, au juste ?

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge – Nos ingénieurs se sont amusés à nommer ainsi le cadre lumineux qui accompagne les personnes identifiées.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Se prendraient-ils pour des Dieux ?

LE COMMANDANT. – C’est une tentation, Monsieur… L’auréole se teinte d’un rouge vif lorsque l’individu ciblé est fortement suspect. Ouvrant le micro, lumière verte, continuez, veilleur.

L’AGENT F451. – Puis je me raisonnais. Depuis que j’observais les gens, je mesurais combien leur existence n’était qu’un comédie sordide, et je m’en voulais d’être attiré, comment dire… Physiquement dans leur vie. Enfin, dans la vie d’une autre… Pourtant, les jours suivants, lorsque Sarah me remplaçait, je tentais de capter son intérêt. Je laissais entrevoir un roman d’un auteur qu’elle appréciait, ou bien je faisais allusion aux lieux qu’elle aimait fréquenter, enfin ces sortes de choses que me permettaient l’étude approfondie de son fichier d’identité. Ainsi, après quelques vacations, moi, l’agent F451 était devenu sympathique.

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – En fait, Monsieur, il détourne à son profit la bonne vieille méthode marketing de ciblage comportemental en exploitant les méga-données.

LE SECRETAIRE D’ETAT, arrêtant soudain ses allées et venues – Pardon ?

LE COMMANDANT, tout à fait décontracté. – Je disais : c’est un plan drague original mais pas de quoi mettre en péril le Système. Ouvrant le micro, lumière verte, nous vous écoutons veilleur.

L’AGENT F451. – J’eus un bref moment d’exaltation. Elle me reconnaissait. J’existais. Mais je m’étais rendu visible, j’étais vulnérable. Cela m’angoissa hors de toute mesure. Sarah m’attirait comme un vide et lorsque pénétrais son intimité mentale, je tremblais devant mes écrans comme aux limites d’un précipice.

LE SECRETAIRE D’ETAT, toujours déambulant – Hé, c’est qu’il nous ferait de la littérature là, Commandant.

L’AGENT F451. – Lorsque enfin mon collègue reprit son poste pour me succéder, j’y vis comme un signe du destin et j’en fus soulagé.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Et mystique en plus de ça !

L’AGENT F451. – Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de la guetter, sur mes écrans ou ailleurs. Je ne la trouvais plus. Ses horaires ne correspondaient certainement plus aux miens. Elle me manquait… Bien sûr, la qualité de ma vigilance souffrait de cette quête, j’en avais conscience mais cela dépassait ma volonté, j’espérais simplement que le temps me délivrerait de cette obsession. Il y parvint presque…

LE SECRETAIRE D’ETAT. – On en pleurerait.

L’AGENT F451. – Puis elle réapparut. Elle s’imposa sur mes écrans. Comme si j’étais moi-même programmé pour la reconnaître. Mais ce n’était qu’une image. Comment des milliers de pixels pouvaient-ils rendre compte du miroitement changeant de ses yeux ?

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Et bla, et bla… Allez-y, sortez les violons !

LE COMMANDANT. – Abrégez veilleur !

L’AGENT F451. – Je veux juste vous faire comprendre comment des circonstances particulières peuvent altérer un jugement.

LE COMMANDANT. – Nous avons compris. Nous voulons savoir comment vous êtes parvenu perturber le Système. Tenez-vous-en à ça !

L’AGENT F451. – Oui. Bien. C’est à dire que… Après toute cette absence, elle m’avait peut-être oublié. Je devais le savoir. Je contournai une nouvelle fois le Système et je sus que j’existais encore dans sa vie. Elle me trouvait toujours sympathique. Pourtant, lorsqu’elle assurait une mission dans les mêmes horaires que les miens, et qu’elle remplaçait à nouveau l’agent F351, juste en face de mon poste, elle m’ignorait… Trop occupée à faire des politesses, des minauderies.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – « Des minauderies», vous entendez ça, commandant ?

L’AGENT F451. – Cela horripilait ! C’était moi qui devait être avec elle ! Je ne pouvais pas attendre qu’elle me remplace pour l’approcher. Il fallait faire les premiers pas, crever la bulle protectrice que je m’étais bâtie, entrer dans le réel de sa vie.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Foutre- Dieu ! Ça continue ! Il aime s’écouter parler ou il se fout de nous ?

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – Il a un public, il en profite. Et puis, verbaliser des pensées à voix haute est une constante chez les solitaires. Ne vous plaignez-pas Monsieur, n’est-ce pas ce que vous souhaitez : pénétrer les pensées des gens ? Ouvrant le micro, lumière verte, allons veilleur, aux faits !

L’AGENT F451. – Oui… Il fallait donc m’exposer. Je pouvais facilement organiser une rencontre fortuite, dans un magasin ou dans son quartier et renouer nos liens, ou plutôt les tisser enfin. Mais pour oublier ainsi, m’ignorer si totalement, je supputais un petit ami.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – « je supputais un petit ami !» C’est pas possible ce vocabulaire… Supputer, supputer !

L’AGENT F451. – Je me demandais comment l’identifier. Mon secteur de veille ne s’étendait pas jusqu’à son domicile, mais ce n’était pas un problème car ma position était on ne peut plus stratégique. Je veillais les abords de l’office et, j’en étais sûr, son… Comment dire… Son ami, était de la maison… Ah ! Je voyais bien qu’elle s’attardait longtemps lorsqu’elle elle remplaçait cet agent F351. Anormalement longtemps à discutailler. Ça me mettais en rage, je me disais que pendant tous ces petits manèges, les caméras fonctionnaient à vide, des suspects esquivaient notre surveillance.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Fou, frustré, furieux !

L’AGENT F451. – L’agent F351 quittait son service avant moi. Je l’avais déjà suivi sur mes écrans jusqu’à la bouche de métro. Certaines fois même, il croisait Sarah. Ça bavassait encore et puis ça se saluait comme si de rien n’était, mais ça ne trompait personne. Oh, non ! Leur petit jeu… Moi, les gens, je les connais, je les vois ! Je les vois au plus profond ! (ricanement)

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Amer, aigri, jaloux !

L’AGENT F451. – Je devais confirmer mes soupçons. De suite, sans attendre… Dès qu’il finit son service, je repérai l’agent F351 sur le boulevard. Je procédais avec lui comme pour Sarah. Mais je bloquais sur la formulation. Je réalisais que les termes « petit ami » étaient assez vagues. Je devais être plus direct.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Ah ! Tout de même !

L’AGENT F451. – J’hésitais. Écrire «  Est-tu l’amant ? » ou pire « Couches-tu avec l’agent S69 ?» me répugnait. Pour une prostituée certes, ces obscénités convenaient, mais pas pour ma Sarah … Tant de vulgarité…

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Foutre-Dieu ! Incroyable! Un cas d’école !

L’ AGENT F451 – La formulation des questions est la base du système. Les conséquences sont désastreuses si nous la négligeons. Nous en avions fait l’expérience, n’est-ce pas ? Finalement, j’écrivis : « Sortez-vous avec l’agent S69? ». J’envoyai la question et…validai ma perte.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Mais quel con, quel con!

LE COMMANDANT, coupant le micro, lumière rouge. – En effet, Monsieur, une telle polysémie terminologique est édifiante.

LE SECRETAIRE D’ETAT, S’arrêtant, regardant le commandant – Heu…

LE COMMANDANT. – Il suffit de franchir la sortie de l’office en même temps que l’agent en question pour positiver la réponse… Ouvrant le micro, lumière verte, continuez, veilleur.

L’ AGENT F451. – La réponse fut positive. J’enrageais. Que trouvaient-elles toutes à ces bellâtres prétentieux? Si je voulais Sarah, je devais l’éliminer. Ma carrure n’intimide personne et puis je déteste la vulgarité de la violence.

LE SECRETAIRE D’ETAT, reprenant sa déambulation – Pauvre petit chou…

L’ AGENT F451. – Il me fallait franchir une étape supplémentaire dans l’irrégularité, remonter plus loin dans le Système, pénétrer les données du serveur central et investir le protocole de vérification. Car c’est le Protocole qui évalue la dangerosité d’un suspect et décide l’intervention des brigades.

LE COMMANDANT. – Nous le savons.

L’ AGENT F451. – Il s’agissait juste d’une incursion dans le système. Un test en quelque sorte.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Ben voyons…

L’ AGENT F451. – Le bellâtre ne se pressait pas. J’avais assez de temps. Je pus remonter facilement jusqu’au serveur et identifier le fichier. C’était à peine protégé ça aussi et je déverrouillais aisément. Nos ingénieurs sont trop naïfs, ça frise l’incompétence.

LE COMMANDANT, agacé. – Nos ingénieurs n’imaginent pas qu’un veilleur aillant réussi à nos tests puisse désirer aller au delà de ses prérogatives.

L’ AGENT F451. – Les tests ? Ils sont très pertinents les tests ! Puisque je suis là, devant vous, avec toute ma clairvoyance et dévouement pour corriger les lacunes du Système.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Clairvoyance, tu parles ! Avec tout le bordel qu’il a provoqué! S’arrêtant et désignant le commandant, quant à la pertinence des tests, Commandant…

LE COMMANDANT, perdant de son assurance et coupant le micro, lumière rouge. – Les tests peuvent attendre, Monsieur, c’est notre Protocole qu’il faut revoir de toute urgence. Ouvrant le micro, lumière verte, Comment avez-vous perverti le Protocole, veilleur ?

L’ AGENT F451. – Perverti… Perverti…, Non je dirais juste légèrement modifié. Je découvrais que ce fameux Protocole programmait qu’une suite de question.

LE COMMANDANT,de plus en plus agacé – Ce sont des question déjà posées qui ont été probantes et faciles à traduire en signaux.

L’ AGENT F451. – Mais elles sont toutes formulées de façon identique. Elles commencent invariablement par : « Approuvez-vous… », « Approuvez vous l’extension de mesures sécuritaires? » ou même : « Approuvez-vous le report…

LE COMMANDANT, très agacé – Au fait, au fait !

L’ AGENT F451. – Bref.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – C’est ça bref !

L’ AGENT F451. – La manipulation était simplissime. Je programmai l’ajout du préfixe «dés » devant le verbe « approuvez ». Ainsi, pour tout bon citoyen, à la question :  « désapprouvez-vous… ? » la réponse serait négative

LE SECRETAIRE D’ETAT, gesticulant – Quel enfoiré, foutre-Dieu ! Avec 3 lettres, il faisait sauter tout un programme, mon ministère même, le gouvernement, voire notre démocratie ! S’arrêtant face au bureau, et vous passiez à la trappe dans la foulée, Commandant, soyez-en sûr !

LE COMMANDANT, se raidissant et coupant le micro, lumière rouge. – J’en suis conscient, Monsieur… Ouvrant le micro, lumière verte, veilleur, n’avez-vous jamais mesuré les conséquences de vos tripatouillages ?

L’ AGENT F451. – J’avais perdu toute rationalité. Je vous l’ai dit, nous avons tous une part d’ombre. Et cette ombre n’attend qu’un contexte favorable pour nous aveugler. Comme une bête immonde qui…

LE COMMANDANT. – Abrégez, abrégez !

L’ AGENT F451. – Oui. Mes manipulations avaient accaparé toute mon attention. J’avais perdu mon bellâtre. Mais juste avant qu’il n’atteigne la bouche du métro, je le repérai, je ciblai sa silhouette et enfonçai la touche de validation du Protocole. Aussitôt son auréole s’empourpra.. Ha ! Oui, il rougissait, il rutilait. Le signal sonore d’alerte l’accompagnait comme un requiem !

LE SECRETAIRE D’ETAT, reprenant ses allées et venues – Et il se fait lyrique maintenant !

L’ AGENT F451. – C’était un bon citoyen. Ricanement. J’aurais bien aimé suivre son interpellation par les brigades, mais il s’enfonça dans les escaliers. Adieu bellâtre ! Ricanement.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Foutre-Dieu !

L’ AGENT F451. – Jamais je n’avais connu une telle tension. J’avais l’impression de me réveiller d’un rêve éprouvant…

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Un cauchemar !

L’ AGENT F451. – Je réalisais que je maîtrisais le destin des gens, que je pouvais jouer avec leurs petites vies insignifiantes et puis, que maintenant, Sarah était libre… Oui, libre de partager ma vie… Mais mon euphorie tomba brutalement. Une alerte sonore dans mes écouteur. Puis une autre presque simultanément. Les auréoles rouges s’accumulaient. Je validais le Protocole mais rien ne se passait. Les individus accumulaient des pensées non-conformes.. Puis je compris : le Protocole ! Aucun complot contre la démocratie, aucune conspiration terroriste. Juste une légère modification de logiciel. Je cherchais à atteindre le serveur, en vain. Le réseau était trop sollicité. il ne me permettait qu’un accès aléatoire au fichier. Insuffisant pour réinitialiser le Protocole. Peut-être faudrait-il en revoir le débit, n’est-ce pas ?

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Non, mais il se fout de nous!

L’ AGENT F451. – Autour de moi, mes collègue s’affairaient à leur tache consciencieusement. Pas besoin de lire dans leur cerveau pour comprendre la gravité du moment qu’ils vivaient, leur engagement dans ce combat. Je me sentais à l’écart de cette effervescence. Une nouvelle fois spectateur, mais spectateur de ce que j’avais créé, du cours des choses dont j’étais à l’origine. Ce cours des choses qui m’échappait, que je ne contrôlais plus. Je réalisais combien mon intrusion dans la vie des autres était désastreuse.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Quel bordel !

L’ AGENT F451. – J’en voulait à Sarah, et aux pulsions irraisonnées qu’elle avait fait naître… Mais l’heure n’était pas aux regrets, il y allait de l’efficience du Système, il y allait de notre démocratie… Je devais assumer et avouer ma responsabilité. C’est pour cela que je suis ici, maintenant, devant vous, témoignant de imprévisibilité de la nature humaine…

Le commandant pianote sur le clavier de l’ordinateur et les écrans s’éteignent.

LE SECRETAIRE D’ETAT, arrêté devant l’écran range son mouchoir dans une poche – « Imprévisibilité de la nature humaine », pour un coup, voilà les mots qui conviennent. Considérant le commandant, il y a trop d’humains dans le Système, Commandant, voilà la faille. Les machines, elles, sont prévisibles. Elles ne sont pas sujettes à des humeurs versatiles. Pas de tests de recrutement foireux.

LE COMMANDANT, se redressant – À ce stade du développement du Système, nos d’agents sont indispensables, Monsieur. Je vous l’ai dit. Mais nous travaillons à améliorer le Protocole. Il sera plus rapide, plus concret, et nous pourrons réduire nos effectifs. Toutefois, nous devons considérer qu’une automatisation excessive pourrait se révéler désastreuse au moindre dysfonctionnement. Nous avons pu interrompre le processus parce que l’agent veilleur F451 à révélé sa faute.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Foutre-Dieu ! Tout ça pour une bluette de roman de gare ! Je ne vous félicite pas Commandant.

LE COMMANDANT, de moins en moins à l’aise – Le Système est perfectible, j’en conviens, ce n’est qu’un prototype, nous avons des lacunes à combler et maintenant, beaucoup d’innocents sur les bras.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Non commandant. Il n’y a pas d’innocent! Le Système doit être infaillible pour être approuvé. Nous ne pouvons pas nous excuser du désagrément. Imaginez un peu! Ce qui est fait est fait, c’est de la survie du Système qu’il s’agit. Débrouillez-vous avec les suspects, innocents ou pas.

LE COMMANDANT. – Mais, monsieur, ne pensez-vous pas que ces arrestations massives conduisent l’assemblée à douter de notre projet.

LE SECRETAIRE D’ETAT. – Commandant, nous avons anticipé une attaque d’ampleur inédite, ce sera ainsi! Et puis, encore un attentat plus ou moins sanglant et la chambre votera ce que nous demanderons. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, Commandant, et, je ne vous l’apprends pas, dans toute guerre il y a des dommages collatéraux… Pesant ses mots,

C’est le prix de la démocratie.

VIRTUELLE RANDONNÉE

Publié le

VIRTUELLE RANDONNÉE

Publié le

Si mon héro commence à faire des détours, on est pas arrivé au bout de l’histoire!

Virtuelle Randonnée

Publié le

Publié le

Et pendant ce temps, la fontaine…. On peut pas dire que je sois très assidu. Le travail accroupi me brise le dos et les genoux, puis il fait chaud dehors et le casque (j’écoute de la musique car c’est vraiment un boulot de patience) n’arrange rien. C’est vraiment long de dégager les formes mm par mm, mais bon, faut ce qu’il faut…