Archives mensuelles : janvier 2012

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CHAPITRE 13

C’est chez nous que s’infiltrent les doutes, c’est chez eux que les loups s’insinuent. Lentement.

L’homme qui les interpelle du haut de la péniche est une boule de poils grisonnants. Une traînée jaunâtre sous des lèvres épaisses donne une touche colorée à la broussaille de sa barbe. Des sourcils fournis, toujours noirs, ravivent l’éclat de petits yeux luisants et une longue crinière, liée en catogan, enserre un front étroit.
–    C’est un négochin que vous avez là, hé ?
–    Un négo quoi ? Fait la fillette.
–    Chin, un négochin !…Et un négochin sur le fleuve, on en voit pas des masses. Hu ! Hu ! Hu !

La gamine cherche du regard le soutien du muet, mais celui-ci demeure fasciné par les rameurs qui s’éloignent.
–    On voit surtout ce genre de rigolos, continue t-il en désignant l’équipage d’aviron. Ces trucs là, ça ressemble à rien… Un négochin, c’est autre chose !

Le courant a rapproché la barque de la rive droite. Une des extrémités percute le flanc de la péniche. Retenue par ce bout, l’embarcation pivote pour se plaquer de toute sa longueur contre la coque du navire. Le pêcheur, un instant déstabilisé par le choc prend alors conscience de la présence de l’imposant bateau.
La barque donne du gîte, elle menace de prendre l’eau. Le pêcheur s’efforce de ses deux mains, bien à plat sur le flanc du lourd navire, d’écarter l’embarcation de la coque.
–    Et vous la dirigez comment, votre barque ? Hu ! Hu ! Hu ! Vous me faites de drôles de cocos !
–    C’est que… On a eu un problème sur la rivière, là bas…. On aurait besoin d’un coup de main.
–    Ah ça, je vois bien,. Hu !Hu ! Hu !…

Le marinier suit du haut du pont le négochin qui glisse le long des flancs de la péniche.
–    Tenez, attrapez la corde là, puis je vous tirerai sur la berge… De drôle de cocos… Hu ! Hu ! Hu !

L’accès à la berge n’est pas facile. Il n’y a ni plage, ni affaissement. La terre surplombe le fleuve d’un bon mètre et il faut se hisser entre de hauts roseaux pour prendre pied sur le talus de la rive.
Le marinier tend une main poilue à la fillette pour l’aider à grimper.
–    Viens là, jolie mademoiselle. Attrapes la main de Philibert… Hu ! Hu ! Hu ! Philibert le sauveur de petites filles en détresse !
–    Merci bien, monsieur, c’est pas commode pour monter.

Tirée par Philibert, la fillette s’envole sur la berge.  Le marinier tarde à relâcher  la main de l’enfant. Il l’emprisonne de ses gros doigts velus. La fillette tente doucement de se dégager. Philibert se penche alors sur la main captive et y dépose un baiser cérémonial.
–    Bienvenue sur la terre ferme, Princesse. Bienvenue chez Philibert De L’Orme. Hu ! Hu ! Hu !

Puis se redressant :
–    Allez viens dans mon château, je t’offre un petit remontant, tu me raconteras…

D’un mouvement vif du poignet, la fillette s’est enfin libérée.  Elle essuie machinalement sa main sur son tee-shirt. Elle attend le pêcheur qui se hisse à son tour entre les roseaux et entreprend d’arrimer la barque à une racine.
–    Honhon, tu viens ?…

Philibert enveloppe l’épaule de la gamine d’un gros bras trapus et l’entraîne vers une passerelle donnant sur la péniche.
–    Je m’appelle Philibert De L’Orme. Comme le fameux architecte, mais ça s’écrit pas pareil.
–    L’architecte ? Quel architecte ? Questionne la fillette, tout en marquant un temps d’arrêt pour attendre son compagnon.

Philibert assure son emprise sur l’épaule de l’enfant et l’entraîne à nouveau, sans se préoccuper du pêcheur.
–     Les jeunes d’aujourd’hui… Qu’est-ce qu’on leur apprend ?… Philibert Delorme qui faisait des châteaux pour les rois, dans le temps.
–    Ah ! Commente la gamine en s’assurant, d’un bref regard, d’être suivie par son compagnon.

Le pont principal de la péniche révèle davantage des activités de loisir que de l’industrie. Les débords de la cale ont été surélevés pour permettre l’ouverture d’hublots et les écoutilles  remplacées, vers l’avant, par une plate-forme supportant un mobilier de jardin et, vers la timonerie, par une longue verrière protégée du soleil par une pergola chargée de cannisse. L’arrière du bateau conserve une configuration d’origine avec une cabine de pilotage surélevée, prolongée par l’appartement traditionnel des mariniers. Ce logement est couvert par une étroite terrasse agrémentée de jardinières, de pots de fleurs mal entretenues et fermée à l’arrière par un petit canot en matière synthétique verte. Philibert De L’Orme est un marin sédentaire.
–     Mais moi, c’est pas l’architecture de château qui m’amuse. Oh non ! Hu !Hu !Hu ! c’est celle des bateaux.
–    Ah, bon…
–    Philibert Delorme aurait pu faire de beaux bateaux car, comme moi, il aimait la symétrie.
–    La symétrie ?
–    Oui, Ma belle enfant, pour faire un bateau, il faut avoir le sens de la symétrie… L’amour de la symétrie. Mais entre donc je vais te montrer…

Le marinier introduit la fillette dans la cabine de pilotage. Un court escalier descend sur un palier mal éclairé donnant sur une cuisine étriquée.
–    Viens en dessous, tu vas voir mon chantier naval à moi.

Sous la cabine de timonerie, la cuisine se prolonge par une sorte de vestibule terminé par une petite porte basse. Lorsque Philibert ouvre la porte, toute la lumière de la verrière illumine le triste palier.
–    Et voilà! Construire des bateaux dans un bateau, c’est quelque chose ! Hu! Hu ! Hu !

La cale de la péniche a été transformée en un vaste atelier. Le soleil de fin de journée joue avec le métal de plusieurs petites machines-outils destinées au travail de menuiserie de précision.  Une lumière dorée s’étale sur une vaste table couverte de modèles réduits de navire de toute taille, de livres de marine illustrés  et des plans de bateaux dessinés sur des papiers froissés et salis. De profondes étagères où s’empilent planchettes, liteaux et matériaux divers, occupent les côtés de la pièce. D’autres maquettes de bateaux ornent les cloisons mais toutes  ces constructions sont incomplètes. Elles ne présentent qu’une moitié de coque, collée dans le sens de la longueur, sur des planchettes vernies. Le bout de l’atelier, situé sous la plate-forme, est plus sombre. C’est une sorte de salon encombré d’un vieux canapé, d’une table basse ensevelie sous divers journaux et des vestiges de repas. Un vague bahut complète le mobilier. Une petite porte laisse supposer une autre pièce à la proue de la péniche.
–    Houa, c’est grand ! fait la fillette pénétrant dan la pièce.
–    Et pardi, c’est mon chantier naval !
–    Mais c’est pas de vrais bateaux, continue t-elle s’approchant de la table.
–    Bé non, c’est des maquettes, juste des maquettes.
–    Et puis vous les finissez pas … Elles sont à moitié.
–    La symétrie, ma tendre enfant ! La symétrie ! Un côté suffit. Le reste c’est pareil… Alors, à quoi ça sert de le faire, hé ?

Un bruit sourd interrompt le raisonnement du marinier. Le pêcheur se masse le haut du crâne.
–    Ho, faites attention à la porte. Il faut baisser la tête, monsieur ! Monsieur ?…
–    C’est mon frè… Mon oncle. Mon oncle Neptune, Monsieur De L’Orme… Il est sourd et muet.
–    Ah, C’est pour ça qu’il… Que… Hu!Hu!Hu ! Quel drôle de nom, ton oncle ! Un dieu marin… Mais j’y pense, ma douce petite, je viens de finir quelque chose… Ça devrait plaire à ton oncle, vu son nom….

Il se dirige vers les rayonnages et dégage une boite en carton.
–    Ça m’a donné du mal… J’ai fait des recherches au musée d’Arles…

A l’intérieur, protégée du papier soie, gît la moitié d’une coque de galère antique.
–    J’y ais mis tous les détails, tu vois… Mais le plus difficile, c’est les rames… Ton négochin sera plus facile à faire.

La fillette, hésitant entre l’admiration et l’indifférence polie, approche un doigt d’une des rames miniatures.
–    Hu!Hu!Hu ! Pas touche, inconsciente enfant ! Fragile, Hou !…Très fragile parce que ça dépasse trop de la coque. C’est beau mais c’est fragile Hu!Hu!Hu !… C’est l’Argo, le bateau des argonautes.
–    Ah oui ! Le bateau de Jason… Je connais Jason.
–    Hé, c’est qu’il y a quand même un peu d’instruction derrière ces jolis yeux !Hu! Hu! Hu ! Mais viens… Venez, allons au salon, on va boire un petit coup et puis tu me raconteras tes aventures.

C'est chez nous que s'infiltrent les doutes, c'est chez eux que les loups s'insinuent. Lentement.

Petits formats 9

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Un crayon (9 x14) et un pastel (12 x17) très différents mais qui vont dans le même sens, ici c’est le crayon qui a le plus de pêche mais le pastel a une atmosphère qui m’intéresse; j’aime bien ce qui donne l’impression que tout va disparaitre , les lumières du soir ou du matin, ou celle qui passent entre les ramures des arbres et qui définissent mal les formes.

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DEUXIEME PARTIE

LE FLEUVE

Chapitre 12

Les fantôme urbains menacent la quiétude de l’eau

qui les circonscrit.

–    Voyez commissaire Portelli, le feu s’est communiqué à la tente, mais ça n’a pas pris…
–    La pluie ?
–    Faut voir…
–    L’expert confirmera, Capitaine.

L’emprise du feu sur la toile est nettement visible. Une partie du tissu a disparu, laissant  une échancrure festonnée de dentelles noirâtres. L’incendie a gagné par le bas en s’élargissant  mais n’a pu se développer vers le haut, préservant des regards l’intérieur du petit cirque.
–    Quoiqu’il en soit, Commissaire, on n’avait pas l’intention de brûler le cirque… Le pick-up, juste le pick-up.
–    Avez-vous pu identifier les corps dans le pick-up ?
–     Il vous faudra attendre l’expertise, Commissaire… Tout  ce que je peux vous dire c’est qu’il s’agit de deux hommes.
–    Deux hommes ?… Vous pouvez dire ça, vous ?…

Le pick-up n’est plus qu’une carcasse calcinée. Des éclats de vitre brillent sur le sol noirci, mal délavé par les pluies du matin. Deux hommes, en combinaisons de protection, recueillent précautionneusement, des débris indicibles dans de larges sacs en plastique.
–    Oui, ce n’est pas avec ce qu’il en reste, bien sûr… Mais d’après les témoignages, il y avait quatre hommes et une femme dans ce cirque…
–    Alors ?
–    Alors, venez, nous avons la femme.

Les deux fonctionnaires se détournent du pick-up. Le site du cirque a été clôturé d’une bande jaune de sécurité. Des gendarmes surveillent les abords, écartant les curieux. Des employés municipaux matérialisent ce périmètre en installant des barrières métalliques. Le capitaine de gendarmerie conduit le commissaire à la vieille caravane. La porte oscille sur ses gonds au grès des courants d’air.
Un gendarme sort brusquement, dévale le marchepied et vomit.
–    Elle est dans la caravane, Commissaire, allez voir… C’est fini les photos, Nervo ?

Le gendarme confirme de la tête avant un nouveau spasme.
Le commissaire ne s’attarde pas à l’intérieur. Il sort bientôt, marque une courte pause sur le seuil en s’appuyant sur le montant de la porte  puis  s’éloigne de quelques pas, couvrant sa bouche d’un mouchoir.
–    Quelle sauvagerie, souffle-t-il.

L’officier de gendarmerie rejoint le commissaire. Il respecte quelques instants le désarroi du policier et poursuit.
–    Il y avait quatre hommes. Il y en a deux dans la voiture et… Il manque un véhicule.

Puis il se tourne vers le gendarme photographe.
–    C’est bien ça, Nervo ? Il n’y a pas le compte en bagnole ?

Le gendarme se rapproche des deux hommes. La sévérité de son uniforme dissimule mal sa jeunesse.  Il a retrouvé un peu d’assurance.
–    Oui, Capitaine, nous avons relevé des empreintes de pneus dans la boue. Il manque un véhicule… Ce doit être une voiture, une grosse voiture…  Il en manquerait peut-être deux… Mais ça ne correspond pas aux témoignages. Le cirque était équipé d’un camion, d’un camping-car, d’un pick-up et d’une berline. Il manque la berline.
–    Mais l’autre, s’inquiète le commissaire. La deuxième voiture ?
–    Non, ce ne peut être que du passage… Le public… La pluie aura laissé cette empreinte… Il y en a d’autres comme ça, mais moins nettes. La pluie a effacé beaucoup de traces.
–    Oui, et elle n’a pas fini le boulot, constate le commissaire en regardant la masse sombre des nuages venant du sud. Vous me communiquerez les photos, je crains que mon équipe n’arrive trop tard.
–    Oui, monsieur le commissaire, tout est enregistré.
–    Merci, merci… Que pensez-vous de tout cela, Capitaine ?
–    Allez savoir… Avec ces sortes de gens… Une dispute qui tourne mal, un règlement de compte ?… On a le signalement des quatre hommes, on fera des recherches pour les deux manquants et … Oui, Nervo ?

Le gendarme brandit un téléphone portable.
–    Capitaine, nous avons retrouvé la voiture. Elle est près de l’ancienne pisciculture et…
–    Là bas, à la rivière !  Qu’est-ce qu’elle fiche là bas ?  interrompt l’officier. Et ?…
–    Et la personne qui nous l’a signalée se trouve à la gendarmerie. Elle demande si…
–    Si ?
–    Si il y a une récompense…
–    Une récompense ! s’offusque l’officier, prenant à témoin le commissaire.

Le commissaire semble troublé, mais ce n’est pas l’indignation du militaire qui le préoccupe.
–    Vous me dites : quatre hommes et une femme dans ce cirque ?
–    Oui, c’est ça, quatre hommes et une femme.
–    Attendez, il y a quelque chose…

Le policier retourne à la caravane. Les deux gendarmes l’attendent, intrigués. Très vite, le commissaire apparaît sur le marchepied. Il brandit un pantalon d’enfant et une petite culotte rose.
–    Capitaine, soit l’un des quatre hommes est un nain, soit il y avait aussi un enfant… Une fille.

***

–    T’as vu Honhon ? Ta demoiselle, elle est partie…

Le fleuve s’est emparé du bateau. Il le pousse tranquillement sur ses larges eaux, le roulant à sa guise. Sur la rive gauche, de hauts immeubles et de massifs bâtiments bariolés de publicités émergent des arbres. Des panneaux de signalisation fluviale indiquent la proximité d’un port. Pourtant, il y a peu de trafic sur le fleuve. Quelques péniches sont amarrées sur la rive droite. Certaines sont prolongées de petit jardin ou de vague parking. Leur coquet aménagement montre qu’elles ont perdu depuis longtemps leur fonction première.
La grande ville sera bientôt là. Peut-être derrière ce méandre d’où vient de surgir un équipage de rameur.
Le pêcheur et la fillette sont fascinés par les rameurs.
–    Voit comme ils vont vite, Honhon ! On dirait une grosse araignée d’eau.

Les rameurs sont concentrés sur leur performance. Leur embarcation se remarque à peine sous leur six larges dos  qui se courbent et s’étirent en cadence , les avirons battant l’eau en parfaite synchronie.
–    Comment qu’ils font pour voir où ils vont ?… Ils risquent de nous rentrer dedans…
–    Oh ! De la barque, oh ! Fait une voix au dessus d’eux.

Les fanôme urbains menacent la quiétude de l'eau qui les circonscrit.

Résumé de la première partie

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Une jeune fille a trouvé refuge dans la barque d’un pêcheur sourd-muet, braconnant des poissons dans la rivière. Elle fuit deux sinistres individus qui la séquestraient au sein d’un petit cirque. Devant l’acharnement des poursuivants, elle décide de retrouver une amie de son père à Avignon. L’ étrange couple suit alors le cours de la rivière pour atteindre le fleuve qui baigne la ville.

BIENTÔT

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Petits formats 8

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Sur le même thème. Ici c’est le crayon(9×13) qui fait fadasse à côté des pastels(13×18), je suis davantage satisfait de ceux là. Ils sont plus francs, plus de pêche.

Petits formats 7

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Toujours d’autres tentatives crayon en 9×14 cm et pastel en 13×18,  ça reste dans la même optique, pas d’évolution par rapport  ce que j’ai pu faire avant, rien qui me satisfasse vraiment…  Combien faudra t-il en faire pour que cela évolue un peu?