Après quelques tentatives de démarrage (d’autres petits textes), voici un texte qui promettait une capture rapide de l’idée. J’ai du rajouter quelques détails pour que l’intrigue soit compréhensible par un lecteur autre que le chasseur d’idée.
LES FLEURS DE VIGNE
Le jardinier s’occupe d’une jeune vigne plantée à l’angle de son jardin. Au bout du rang, dans le prolongement de la rangée de ceps, il y a un rosier. Le rosier est planté au niveau des limites mitoyennes, dans la propriété voisine. Hamed, le voisin, rejoint le jardinier.
Hamed :- Ça sera un beau rosier hein ?
Le jardinier :- Ah, Hamed !… Oui… De belles fleurs… Ton rosier est bien parti… C’est que tu le soignes bien.
Hamed :- Oh, ce n’est pas compliqué, Monsieur. Tu vois, ne laisses pas les fleurs passées… Là
Clac, clac ! Hamed donne deux coups de sécateur pour couper les fleurs.
Le jardinier :- Mm !… Mais moi, tu sais, je suis plutôt légumes et fruits… Il faut que ça se mange. Que ça passe par la bouche….
Le jardinier désigne une cagette de salades qu’il vient de ramasser.
Le jardinier -Tiens, il te reste des salades ? Pour Mme Herpellenger… Il faut qu’elle mange frais et sain…
Hamed : (du bout du sécateur il montre une dernière rose) – C’est la dernière, elle est très jolie.
Le jardinier : – Comment va t’ elle… Pas d’amélioration ?
Hamed coupe délicatement la dernière rose et la porte à son visage.
Hamed : – Elle sent bon… Tu sais, il y en aura d’autres… Il en vient toujours d’autres avant l’hiver.
Hamed s’éloigne en contemplant la rose.
Le jardinier (haussant la voix) – Tu veux pas de salades ? … Heu, bonjour à Madame.
Le jardinier-narrateur : Je l’ai regardé s’éloigner vers sa maison… C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant.
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Le jardinier reprend ses occupations quand, soudain : Pan ! Ça vient de la maison où est entré Hamed. Surpris, le jardinier lâche les bandes de tissus qui lui servent à attacher ses pousses de vigne.
Le jardinier : – Que ?
Il enjambe un vieux mur de pierres sèches effondré à l’endroit où se trouve le rosier, et court vers la maison, puis entre. C’est la salle de séjour.
Le jardinier :- Hamed !… Hamed ! Ouf ! Ouf !…
Il entre dans une autre pièce ( la cuisine).
Le jardinier : – Putain !
Hamed est affalé sur la table. Partout du sang. Sa main tient un révolver. Il n’a plus de visage. Au bout de la table, dressée dans un verre, un peu de travers, la rose resplendissante. Un peu de sang sur le verre.
Le jardinier-narrateur : – Voilà pourquoi je déteste les fleurs… La beauté, quelle farce !
Le jardinier: – Madame Herpellinger ! Madame Herpellinger!…
Il ouvre des portes, pénètre dans une chambre. La pénombre, le lit fait, tout est bien ordonné. Sur la table de nuit : un verre avec une rose fanée, un cadre avec une photographie en noir et blanc. Le jardinier prend le cadre, regarde la photo. Elle représente un couple d’occidentaux souriant. Il y a aussi Hamed, un peu en retrait. Tous les trois semblent heureux. L’arrière plan montre des palmiers et des maisons d’Afrique du nord. Ils sont jeunes.
Le jardinier-narrateur : – Bon… Voilà… Tout était dit… Tout était fait… Tout prenait place. Maintenant ce qui allait suivre n’était que péripéties, formalités… J’avais tout compris.
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Dans le même coin de jardin, le jardinier bine un carré de salades. De l’autre côté du muret, le capitaine de gendarmerie s’approche.
Le jardinier-narrateur : – Les formalités… Il fallait que tout cela prenne forme. C’est la forme qui donne de la réalité aux choses. Lorsqu’on sème une graine, y a pas à s’occuper de la forme, tout est déjà programmé. On voudrait que ça soit pareil pour tout. On détermine des formes et on s’efforce d’y faire correspondre la vie… ou la mort.
Le représentant des formalités me faisait particulièrement chier…
Le capitaine : – Ah, je vois que vous aussi, vous aimez les roses… Votre voisin en avait partout.
Le jardinier : – Ça vient bien ici… C’est bien exposé.
Le capitaine : – Tenez, celle-ci va pas tarder à éclore… C’est quoi comme rosier ?
Le jardinier : – Je ne m’y connais pas trop en fleurs… J e suis plutôt fruits et légumes. Ce rosier là, c’est un avertisseur.
Le capitaine : – Un avertisseur ?
Le jardinier : – Si le rosier est malade, si le rosier meurt, alors il faut traiter le vigne. Parce que la vigne y passera aussi… Le rosier meurt en premier mais on sauve la vigne.
Le capitaine : – Vous m’en direz tant !… Vous l’avez planté quand, votre vigne ?
Le jardinier : – C’est sa deuxième année… Elle va commencer à donner un peu. Ça fera de belles grappes de garde.
Le capitaine : – Hum !… De là, vous voyez bien chez vos voisins…
Le jardinier : – De là, oui… Mais j’ai rien de plus à vous dire. J’ai toujours pensé que Mme Herpellinger était dans sa maison…
Le jardinier-narrateur : – Et allez, tournez manège !… Tu vas encore m’asticoter avec tes gros sabots…Attrapez le pompon!… Tu crois que j’en sais plus… Bien sûr que j’en sais plus ! Mais je t’ai déjà tout raconté, le reste c’est ce que je pense, et ça, ça m’appartient. Tien, moi aussi, je m’en vais secouer un peu le tronc pour faire tomber les fruits.
Le jardinier : – Je savais pas qu’Hamed vivait seul… Que Mme Herpellinger était partie…
Le capitaine : – Partie, partie ! Vous en avez de bonnes… Partie…
Le jardinier-narrateur : -Le fruit n’est pas bien mur. Faut secouer plus fort.
Le jardinier : – Il y avait le docteur qui venait… Tout les médicaments…
Le capitaine : – Le docteur, vous l’avez vu dernièrement ?
Le jardinier : – Non, mais Hamed, enfin Monsieur Hajoubi m’en parlait…
Le capitaine : – Ça fait plus d’un an qu’ Hajoubi signe les procurations, empoche les pensions… Disparue Mme Herpellinger !… Et m’est avis l’Hajoubi y est pour quelque chose !
Le jardinier-narrateur : – Et voilà.
Le capitaine : – Il s’agit de trouver le corps … On saura quand on aura le corps.
Un gendarme : – Capitaine ! Les chiens sont là , Capitaine.
Le capitaine : – A la bonne heure !… Vous allez voir ce que je vous dis, ça va pas traîner.
( à suivre…)
Quelques croquis d’Hamed. Il a pas mal évolué pour cadrer avec le personnage désespéré que l’histoire modelait peu à peu.