Archives mensuelles : juin 2012

Publié le

Chapitre 23

 

Je sus qu’il ne me restait que peu de temps,

mon impérieux désir de protection trouva la faille.

 

 

 

–  Oh, c’est Djèson ?…  Ah, la, la… Comment qu’il me parle celui-là ! On dirait son père. D’ailleurs, il était là à l’instant.

–  Ouai, j’ai vu sa bagnole… Mais pour mon père, je sais pas si c’est un compliment.

 

 

Le pizzaïolo a un petit rire ambigu et ramasse les quinze euros restés sur le comptoir.

– Garde tes sous Djèson. J’ai jamais refusé la pizza à qui avait faim, tu me connais… je me paie en taquineries.

 

Puis, il s’empare d’une boule de pâte qu’il malaxe avant d’étaler sur le plan de travail derrière lui.  A la radio, Joe Dassin chante les Champs Elysées.

– Le monde est petit, on dirait, fait Jason à la fillette.

 

Le halo lumineux diffusé par l’éclairage du fourgon dessine maintenant une sorte de petit cirque de clarté dans le sombre de la nuit. Le garçon s’est rapproché. La lumière durcit ses traits, efface les poils naissant au dessus de ses lèvres et renforce le contraste marqué entre les boucles noires de ses cheveux et la blancheur de son sourire. Elle isole les deux jeunes gens du pêcheur resté dans la pénombre.

– Jas… Djèson, répond le fillette décontenancée.

– T’as laissé ta belle maison au bord de l’eau ?

– Heu… C’était pas ma maison, c’était pour joue… C’était comme ça.

 

Le pizzaïolo enfourne la pizza avec sa longue pelle, il les interrompt :

– Alors, t’as fini ton stage à l’O.N.F. Djèson ?

– Presque, encore une semaine.

 

Dédé se penche sur le manche de sa pelle. Il donne de petits coups en cherchant dans le four la situation idéale pour la pizza.

– C’est bien. Ça te plait ?

– Bah !… C’est un stage…

– Au moins, tu vois ce que c’est.

 

Puis il se retourne pour préparer une nouvelle pâte en accompagnant Joe Dassin sur les Champs Elysées.

– T’habites ici, alors ? reprend Jason.

– Non… Je suis en vacances.

– En vacances ? Y a des  vacances, en ce moment ?

– Non, mais… C’est un peu compliqué… Pour moi, c’est les vacances.

 

La fillette cherche du regard le soutien de Neptune.

– T’es avec ce type là ? Souffle Jason, percevant le regard.

– Heu… Non… Enfin oui, mais…

– Tu m’as l’air d’une drôle de fille toi, dis donc.

 

Le pizzaïolo sort la pizza fumante du four et la dépose dans la boîte qu’il vient d’ouvrir sur le comptoir.

– Je vous la coupe , mademoiselle ?

– Heu, oui… En … En deux, non en trois. T’en prends un morceau, Djèson ?

– Ha, vous vous connaissez alors ?… Comme d’hab’, Djèson ? Une blanche, je te fais ?

– Oui Dédé, une blanche. Tu la mets sur le compte du mon père.

– Pas de soucis, fait le pizzaïolo en enfournant la seconde pizza.

 

Neptune saisit la part que lui propose la gamine. Il s’est avancé vers la fillette, mais sitôt sa portion attribuée, la jeune fille se détourne de lui.

– Et toi, t’habites ici ? demande t-elle à Jason.

– Oui, enfin presque… Mon père, il a un cabanon à Beauduc, là, juste à côté… Et comme il est très occupé avec cette histoire de taureaux, il me le laisse pour le week-end.

– Ça a l’air compliqué pour toi aussi, hein ?

– Oui, un peu… Dis, si tu veux, ce soir, on fait une fête chez mon père. Si tu veux venir.

– Ben, je sais pas…

 

La fille hésite, elle guette  l’assentiment  du pêcheur.

– Vous voulez bien, Monsieur ? insiste Jason en suivant son regard.

– Il te répondra pas. Il est sourd. Sourd et muet.

 

Puis, elle baisse la voix et poursuit sur un ton de confidence.

– Je fais ce que je veux. Il est rien pour moi.

– Ah, je croyais que… répond Jason sur le même ton.

– Non, ça fait pas longtemps que je le connais en fait…

– Ah bon… Tu viens alors !… Tu verras, on va se marrer.

– C’est loin ?

– Pas trop. J’ai mon scoot’.

– En trois, la deuxième ? interrompt Dédé

 

Mais avant que la roulette du pizzaïolo découpe la pâte, Jason intervient.

– Attends Dédé, ça va aller…

 

Puis s’adressant à la fille :

– Et si on se la mangeait au cabanon ?

– Là, maintenant, chez toi ? s’inquiète t-elle.

– Oui. Allez viens. On préparera tout pour la fête… Si ça se trouve, mes potes y sont déjà.

 

Il referme la boîte contenant la pizza puis saisit la main de la jeune fille pour l’inviter à le suivre.

– Ecoute, Djèson… La fête, je sais pas…

– Mais quoi ?… T’es en vacance, non ?… T’en fais pas, on est pas très nombreux. On fera un feu sur la plage et il y a des filles aussi, et puis… C’est mon anniv’. J’ai eu seize ans cette semaine.

 

Elle fait un pas, puis s’arrête. Elle hésite mais ne tente rien pour dégager sa main.

– T’as jamais fait de fête, je parie, fait Jason avec un petit sourire moqueur.

– Peuh ! Si bien sûr, quand même ! répond-elle en se décidant alors.

 

Mais la décision n’est pas franche. Du coin de l’œil, elle guette l’attitude du pêcheur qui l’observe à l’écart. Peut-être que, finalement, elle s’est attachée à lui.

– Hon ! Hon ! proteste t-il lorsqu’elle s’éloigne.

 

Ou redoute t-elle de suivre seule ce garçon inconnu.

– Allez… Ce n’est rien, dit-elle au muet. C’est juste une fête.

– Bon intervient Jason. Il n’a qu’à venir. Après tout, il a l’air sympa… Je vais lui faire un plan et il nous rejoindra.

 – Cool ! tu verras, il est rigolo.

 –  Ouai, commente t-il en fouillant ses poches. T’as pas un crayon, pour le plan ?

 

La jeune fille tend le petit carnet.

– J’ai que ça… Ça va ?

– Impec !

Jason s’approche de Neptune. Il ouvre le carnet et tourne quelques pages.

– Y a plein de trucs écris, ça fait rien ?

– Non, non, c’est pas grave.

 

Puis trouvant une page vierge, il griffonne un croquis sous les yeux du muet à grand renfort de gestuelle explicative.

– Tu vois, on est ici. Ça, c’est « Les Saintes ». La ville que tu vois les lumières là bas… Après, y a la digue à la mer, c’est ça… Mais le mieux : tu suis la plage. Toujours, toujours… Puis, tu verras, y a des cabanons, des caravanes. C’est pas compliqué, tu peux pas rater… je t’écris le nom là… Nous on s’avance, tu comprends ? Tu nous rejoints à pied…

 

Il mime avec deux doigts les jambes d’un marcheur.

– Tu comprends ? insiste t-il en glissant le carnet dans les mains du pêcheur.

 

Puis, il s’adresse au pizzaïolo qui extrait la dernière pizza du four.

– Dédé, la blanche, c’est pour lui. Nous, on y va.

 

 

 

 

                               ******************************

 

 

 

Même en pleine saison, il est rare d’avoir des clients à cette heure de la matinée. Alors, en automne, ouvrir le fourgon à pizza tient davantage de l’habitude que d’un sens commercial aigu. Mais Dédé aime prendre son temps pour chauffer le four, préparer les pâtes et écouter sur les ondes, les dernières péripéties de la chasse aux taureaux évadés. Pour l’heure, on ne parle que du procès imminent d’un parrain mafieux que le témoignage capital d’un truand repenti devrait confondre.

Il ne voit pas venir l’homme à son comptoir et sa question polie le fait sursauter.

– Excusez moi, Monsieur, fait l’homme en présentant une photo. Cette jeune fille, l’auriez vous vue dernièrement ?

 

Publié le

TROISIÈME PARTIE

LA MER

 

 

 

Chapitre 22

L’irrévérence des cadences anonymes

 

 

–         Dis Honhon, on revient maintenant, hein ?

Bien sûr, le pêcheur n’entend pas le souhait de la fillette. La voit-il seulement, tentant de réchauffer, en frottant de ses mains, ses deux bras nus. La mer semble absorber toute son attention. Son regard se perd au confins de l’horizon, dans les lueurs pourpres d’un lent crépuscule.

–         Honhon, j’ai froid et… Et j’ai peur, un peu… Aussi…

Le canot se balance au grès des vagues tranquilles, à peine houleuses parfois. Le pêcheur a poussé la barque en dehors du chenal qui guide le fleuve vers la mer. Il a ramé vers le large, gardant machinalement la cadence qu’il s’était imposé tout au long de cette longue fuite. Il a pénétré la mer, mu par l’habitude d’un mouvement, fasciné par l’inimaginable immensité. Puis, il a réduit son effort et abandonné le canot aux roulis.

–        Allez, on retourne maintenant, hein ?… Hein, Honhon ?

La fillette se penche vers le pêcheur et caresse ses genoux, tendrement, mais avec insistance.

–         T’as jamais vu la mer… C’est ça, tu l’as jamais vu… C’est grand hein ?… Ça te fait peur tellement c’est grand, c’est ça ?… Toute cette eau, partout… T’aurais jamais cru ça, hein, toi, dans  ta rivière ?… C’est autre chose ici, il y a pas de bord… Où alors, ils sont tellement loin que c’est pas la peine…

La fillette parle doucement. Elle sait que sa voix apaisante est inaudible aux oreilles du sourd-muet mais il en sent le prolongement à travers l’étoffe grossière de son pantalon. Son regard se pose sur les deux mains délicates, puis se lève jusqu’aux yeux de l’enfant qui lui sourit.

–         C’est le bout du monde. C’est juste le début…

Il sourit à son tour, puis empoigne les avirons et rame énergiquement vers la plage.

Il y a peu de monde sur la plage. La saison estivale est terminée, mais il y a toujours des gens pour promener leur chien, pratiquer un footing tardif ou bien simplement marcher en contemplant, au limite du continent, les rougeurs brumeuses d’un soleil finissant.

Dès que le fond de la barque crisse sur le sable, la gamine saute sur la plage.

–         Laisse la barque Honhon, on s’en fout de la barque !

Mais Neptune, en pêcheur consciencieux, tire l’embarcation hors de portée des vagues. Il rejoint ensuite la fillette qui déjà s’éloigne en direction d’un escalier bétonné entre les massifs blocs de ciment qui épaulent la jetée.

La jetée constitue certainement un des points les plus élevés du paysage. Elle se prolonge dans les terres en une haute digue protégeant les cultures et  les habitations d’une improbable crue. Car le fleuve semble bien inoffensif, plat et immobile. C’est juste un reflet gris, égaré dans la pénombre du soir.

Une petite route longe le fleuve et tourne en angle droit au niveau de la jetée pour se diriger vers une petite agglomération scintillant déjà de multiples lumières. En contre- bas de la route, cachée par une succession de basses dunes, s’étire la longue plage. De l’autre côté, un réseau de lampadaires éclaire un éparpillement de caravanes et de mobil home.

–         Tu vois le camping là ?… On va trouver quelque chose… On verra bien… Allez viens, il va faire nuit.

Neptune lance un dernier regard sur le fleuve. Il le remonte des yeux. Les sources sont bien loin, maintenant. Puis il s’aventure sur la route et retrouve la fillette qui l’attend.

–         Tu sens Honhon ? Ça sent la pizza. Ca donne faim… T’as pas faim ?

Le fourgon à pizza est garé juste à côté de l’entrée du « Camping Des Flots Bleus ». Le feuillage épais d’un arbre bas le dissimule en partie. Une lumière jaunasse s’échappe de l’arrière aménagé en boutique. Elle forme un îlot chaleureux dans la marée montante du crépuscule. Une  Renault 4 L est stationnée à quelques pas. On devine qu’il s’agit d’un ancien véhicule de la D.D.E. à sa couleur orange vif que la boue, sur la carrosserie cabossée, ne parvient pas à masquer.

 Un homme attend au comptoir du fourgon. Il commente les informations diffusées par une radio, tout en finissant son apéritif anisé. Une quarantaine de taureaux seraient toujours en fuite dans la région. Des experts seraient dépêchés par les autorités pour seconder les équipes déjà en place, la capture des bêtes serait imminente*.

–         Alors, c’est qui ces experts Marius, demande le pizzaïolo. Je croyais que c’était vous ?

–         Ha, ta gueule Dédé… Y raccontent que des conneries ! Ces experts, tu sais ce que c’est ?

–         Non…

–         C’est des porte-flingue ! Conasse de con !

Du coin de l’œil, Dédé remarque l’approche du pêcheur et de la fillette. Il cache aussitôt la bouteille d’apéritif sous le comptoir.

–         Des tueurs, tu comprends ? Ils disent ce qu’ils veulent à la radio. Ce qu’ils disent pas, c’est que c’est pas que des taureaux d’abrivade qui sont dans la nature… Y a aussi des taureaux de combats… Deux ! Deus espagnols !

–         Cons !

–         De l’élevage Marquès Llorca d’Estarmadure. C’était pour la feria. Ils veulent les tuer ces cons ! Ça vaut la peau du cul ces bioux…

Dédé sort une pizza fumante du four.

–         Tè, voilà la sixième. Je te la coupe pas alors ?

–         Non, on le fera au Mas avec les collègues.

–         Et ils peuvent pas les endormir les bioux ?

–         C’est ce que je te dis, conasse ! Des taureaux comme ça, ça se tue pas comme ça, oh ! Ça se respecte, c’est pas du lapin. Mais ce con de préfet, il ouvre le parapluie ; Des fois que… Un touriste…

–         Il parait qu’il y en a qui les braconne…

–         Il parait, il parait, mais conasse, attend un peu qu’ils se trouvent devant les espagnols, tu vas voir s’ils braconneront longtemps !… Bon, j’y vais que demain, on se lève avant l’aube ; L’hélico a repéré un bon groupe de bioux vers Méjanes . Allez, adieu Dédé…

–         Ciao Marius

 Marius, encombré par la pile de boites de pizza, peine à ouvrir la portière de la 4L.

–         Attendez, je vais vous aider, Monsieur, fait la fillette en s’emparant de la poignée.

–         Ah, merci petite, c’est sympa, répond Marius en se débarrassant des cartons sur le siège du passager.

Le pizzaïolo daigne alors s’intéresser aux nouveaux venus ;

–         Et pour vous, ça sera quoi ? Demande-t-il au pêcheur.

Mais Neptune lui répond d’un regard effaré.

–         Vous voulez rien ?

–         Si, si Monsieur, s’empresse la gamine. Deux pizzas… Heu !… Royale et heu… Lardons, chorizo… C’est bon, le chorizo.

–         Deux pizzas…. Commente Dédé d’un ton neutre.

Il lève un bras pour répondre au salut que lui adresse Marius à travers la fenêtre de sa voiture qui démarre, et poursuit :

–         Deux pizzas…

Il considère cet étrange couple, la fillette et ce grand bonhomme hirsute, aux habits douteux.

–         Et vous avez de quoi les payer ?

–         Oui, bien sûr…

La gamine fouille ses poches. Elle en sort deux billets froissés qu’elle pose sur le comptoir ;

–         Bon, ça fait quinze euros là… Y a pas le compte. C’est dix-sept, les deux pizzas.

–         Juste pour deux euros ?…

–         Deux euros, c’est deux euros… T’as pas deux euros, toi ? insiste le pizzaïolo en fixant le pêcheur.

–         Mon… Mon oncle, il vous entend pas ; Il est sourd. Sourd et muet.

–         Ton oncle ?… Hum, Bon, je vais vous faire une pizza trois-quarts.

Soudain, il y a le bruit sec d’une pièce de métal heurtant le bois à l’angle du comptoir.

–         Les voilà tes deux euros Dédé ! fais pas ton radin…

La fillette se tourne vers l’intervenant, elle le reconnaît aussitôt.

 

* Inspiré d’un fait réel :  http://www.laprovence.com/article/region/alpilles-la-cavale-des-taureaux-a-pris-fin-au-bout-du-lasso


L’irrévérence des cadences anonymes.

Ouverture de la chasse

Publié le

Il nous faut reprendre la traque. Il faut honorer les engagements, les délais sont passés… 

Mais le trappeur d’idée doute.

Comment va t-il démêler toutes les pistes? Bien sur, il a profité de la trêve pour avancer dans les traces de l’histoire, pour baliser le terrain; mais une bonne chasse requiert un paysage dégagé et un climat serein, loin de toutes perturbations. C’est loin d’être le cas…

L’histoire s’est engagée dans des régions qu’il n’avait pas envisagée. La progression est ardue et lente, on s’y perd facilement. Il n’est pas son maître, elle l’entraîne où bon lui semble et s’amuse à l’épuiser.

Le trappeur repart  en chasse, il le faut. Tiendra t-il le rythme?

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Vous le saurez à partir de la semaine prochaine….

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                La saison 3…  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                        L’ultime!