Le lendemain.
Le jardinier-narrateur : Déjà les petites grappes, fragiles, prometteuses. Car faut vivre, faire vivre, se multiplier, envahir… Mais ce n’est pas si simple. Il y a le mildiou, le black-rot, il y a l’anthracnose, le pourridié, les guêpes et les frelons. Il y a les moineaux et les lérots… Dire que l’autre répondait à tout ça avec des fleurs…Des fleurs !… je vais quand même sulfater un peu.
Le jardinier entre dans un garage encombré d’étagères et d’outils. Il s’empare d’une vieille sulfateuse en zinc et mélange les produits en silence. Les bruits des manipulations et la précision des gestes transforment ce travail en rituel mystérieux.
Un bruit : (aboiement)
Le jardinier jette un regard par la porte, puis endosse la sulfateuse et sort.
Dehors, un chien renifle en tous sens la propriété voisine. Des civils et des gendarmes assistent à la scène.
Le capitaine aperçoit le jardinier.
Le capitaine : – Ah ! Vous voilà…
Le jardinier regarde son interlocuteur par-dessus le muret de séparation.
Le capitaine : – De là aussi vous pouvez bien voir chez votre voisin…
Le jardinier : – Oh, oui ! Sur le toit aussi, je vois encore mieux quand je règle l’antenne de la télé.
Le capitaine considère le toit du pavillon.
Le capitaine : – Mais vous n’avez pas … Vous n’avez pas de télé ?
Les deux hommes échangent un regard soutenu.
Le jardinier-narrateur : – pour les cas difficiles, n’hésitez pas à doubler la dose.
Le capitaine : – Hum !… Bon, Les chiens ne trouvent rien… Tout le monde voudrait régler l’affaire au plus vite… Disparue, ce n’est pas décédée. Tout reste en suspend… Remarquez, moi, je m’en fous, on laisse le dossier sur la pile… Mais pour la famille… Le deuil et tout le reste…
Le jardinier : – Les héritiers ?
Le capitaine : – oui, bien sûr, les héritiers…
Le jardinier : – Tenez… De mon toit, là haut, quand je règle mon antenne, j’ai jamais vu grand monde visiter Mme Herpellinger… A part le facteur pour la pension et le livreur de surgelé…Je ne savais pas qu’elle avait des enfants.
Le capitaine : Non, pas d’enfants… De la famille…
Le jardinier : – J’imagine qu’aucun de ses proches n’a accueilli Mme Herpellinger dernièrement.
Le capitaine : – Ces histoire de famille c’est toujours compliquées… Ils ne lui ont pas pardonné d’être rentré de là bas avec Hamed, le domestique, quand son mari est mort… Non, Mme Herpellinger n’a pas bougé d’ici… Elle y est encore.
Le jardinier : – Maintenant, évidemment, s’il y a des sous à prendre, on pardonne beaucoup de choses.
Le capitaine : – Des sous… Elle a tout laissé là bas quand le mari s’est fait tuer… C’est vrai qu’avant, il y avait de l’argent… Pensez donc : responsable des jardins royaux ! Mais, après, elle est vite rentrée… Tout ce qu’a ramené Mme Herpellinger, c’est de quoi s’établir ici et… Hamed.
Pendant la conversation, le chien remonte le muret de séparation en reniflant. Le capitaine le suit, de l’autre côté, le jardinier l’accompagne. Arrivé au niveau du rosier, le chien renifle avec difficulté, il n’insiste pas et s’éloigne.
Le capitaine : – La limite de propriété, c’est le mur, n’est-ce pas ?
Le jardinier : En fait le mur m’appartient, c’est pas mitoyen… Le rosier est chez moi.
Le capitaine : – Des rosiers, il y en a beaucoup chez elle… De toutes sortes. J’en ai jamais vu autant. C’est un beau jardin… Et il y a quand même beaucoup de terrain, ça va jusqu’au canal. Au prix où grimpe le mètre carré, en ce moment, y en a pour un bon paquet.
Le maître-chien : Capitaine, il n’y a rien… Le chien ne détecte rien… Vous pouvez faire venir les engins, mais… Si mon chien n’a rien senti… Mais, bon, vous pouvez toujours tout défoncer.
Le capitaine (soupir) : – Toutes ces fleurs…
Le jardinier : – Un si beau jardin…
( à suivre)
Quelques recherches pour le capitaine. Il y a une évolution du personnage en fonction des différentes versions de l’histoire. Dans une autre version, il fait chaud pour la saison.