Archives mensuelles : juillet 2020

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LE VRAI MONDE (suite)

 

Le barbare fit quelques pas, emporté par l’élan puis s’arrêta. Je l’avais touché mais sa cuirasse l’avait protégé. Il me repéra et aussitôt, méprisant la flèche plantée au dessus de l’aine, dévia en ma direction. Je m’appliquais, visant la chair dénudée du cou, et tirai à nouveau. Le trait se perdit dans les herbes. Le nain avait roulé sur le côté et déjà reprenait sa course. C’était un guerrier expérimenté qui savait parer les attaques à distance. Un chef.

Je devais préserver un écart suffisant et la surprise de l’attaque. La distance, toujours la distance… Je glissai le long de la paroi et remarquai à l’est, un bloc de moindre hauteur mais qui, fissuré en son sommet, permettait d’ajuster une cible sans être vu.

Le guerrier se hâtait vers mon ancien poste, présentant son flanc droit. Mon tir fut plus précis, ricochant sur le gorgerin. Le prochain serait fatal, il le compris. Il cessa de courir et sans se soucier de me localiser, porta à sa bouche le cor qui pendait à son côté. Son appel fut bref. Le barbare s’écroula, la gorge déchiré d’une ultime flèche.

Le corps s’effaçait lorsque j’arrivai et je fis aussitôt l’inventaire de mes gains. Ni la hache de guerre, ni la corne d’alarme ne m’intéressaient. Je me serais réjoui de la bourse remplie d’écus, s’il n’y avait eu la relique. Son or irradiait, ternissant le jaune pale des gentianes – en fait, ce n’était pas des gentianes mais c’était bien imité. Je compris alors l’empressement du guerrier.

Une relique est un petit objet, tenant facilement dans une main, représentant une figure énigmatique, mi l’ange mi démon- le terme est d’ailleurs inapproprié, « amulette » serait plus juste. La relique donne a son détenteur de nombreux pouvoirs. En posséder le nombre requis assure la victoire finale. J’avais dérobé une relique, mon rang allait sacrément progresser dans la hiérarchie de la Guilde, si toutefois je parvenais à mettre mon trophée en lieu sûr.

L’alerte avait été donné et déjà, dans le ciel limpide, une noire menace planait en larges boucles. Un corbeau, un espion, une avant-garde… M’avait-on repéré ? J’armai mon arc quand soudain, surgissant du chaos, fondit sur moi, un cavalier. Le dragon des armoiries marquait un rang élevé, mais je ne m’attardai pas à admirer le riche harnachement du destrier, ni les fines ciselures de l’armure.

Ma flèche s’écrasa sur le bouclier, je ne pu éviter le sabre et je perdis la vie.

(à suivre)

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LE VRAI MONDE (suite)

 

Jusqu’ici ma quête était vaine. Je n’avais pourtant pas limité mes errances pour découvrir enfin cette vallée obscure qui m’avait porté à la lumière de ce haut pays. Dans ce monde, le hasard n’avait qu’une valeur relative et l’énigmatique silhouette qui, déjà, disparaissait dans les méandres du relief, serait certainement l’aboutissement de ma traque. Il me fallait une prise, mais je devais rester prudent.

J’obliquai vers l’abri des genêts. Ma tenue de chasse facilitait une course rapide et très vite je fus à portée de flèche de l’inconnu.

C’était un homme du nord, court sur patte, presque nain. Une barbe rousse hirsute plastronnait sa cuirasse. Il courait aussi vite que lui permettait sa foulée, entravé par les hautes herbes et le poids de ses armes.

Pourquoi tant de hâte ?

Sans doute regagnait-il son fief après quelques rapines. Les razzias de ces barbares nous causaient bien des troubles.

Je le saurai bientôt.

Le nabot traçait droit vers les montagnes, se tenant à l’écart des fourrés, redoutant sans doute quelques pièges. Sa précipitation avait certainement déviée sa trajectoire car je pouvais l’atteindre. Mais il était encore trop éloigné pour que mon tir soit précis. Je le suivais à couvert des frondaisons, espérant qu’il se rapprocherait davantage, mais il maintenait son cap. D’imposantes plaques rocheuses et de petites clairières envahies de graminées m’imposaient de fastidieux écarts. Pourtant, après chaque détour, je le retrouvais, poursuivant obstinément sa progression vers les territoires hostiles.

La végétation se clairsemait. Bientôt toute embuscade deviendrait incertaine. Je ne pouvais défier pareil guerrier en combat rapproché, je n’en avais ni les armes, ni les techniques et trop des nôtres ont succombé dans de tels assauts. Je devais rester furtif et garder la distance. Je suis de la race des busards. L’espace est mon domaine, les nuées ma carapace.

Cette distance, tu ne la supportais plus, Agnès…

Au loin, bien avant les redoutables chaînes montagneuses et, peut-être, préparant le marcheur à ce pays minéral et glacé, apparaissait, de plus en plus nettement maintenant, un chaos de rochers. Certains affleuraient le sol en irrégulier parvis ou se chevauchaient en d’improbables marches, d’autres s’érigeaient en tours crénelées. J’attendrais là.

Je couru à l’abri des frondaisons jusqu’au derniers buissons, puis me risquai sur la lande. Je contournai l’amas rocheux en opérant une large boucle. Je devais rester hors de vue. Je repérai un imposant monolithe granitique de plusieurs toises et l’escaladai. Au sommet du bloc, je découvrais l’étendue du plateau : de l’obscure vallée d’où j’avais émergé jusqu’à l’immense lande qui affluait au pieds des rocs.

Je n’avais pas perdu le guerrier. Il fendait les hautes herbes de son trottinement rapide et serait bientôt à portée de tir. Je le laissais approcher afin que toute fuite soit vaine. Ma position m’avantageait. Je décocherai plusieurs traits avant qu’il ne soit sur moi. Accroupis au raz de la roche, je choisis une bonne flèche que j’encochai, je pris une profonde inspiration, j’attendis encore, et soudain, me levai et tirai.

( à suivre )

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LE VRAI MONDE

 

La vallée se refermait sur moi comme une nasse. Je remontais un torrent bouillonnant par un étroite piste qui cahotait entre les rocs détachés de la falaise surplombant le ravin. Je ne voulais point revenir sur mes pas. J’avais déjà trop marché pour abandonner et je savais que nul sentier n’est vraiment sans issue. De l’autre côté du torrent, genêts et cistes s’agrippaient à un coteau pentu jusqu’au premiers escarpements du plateau. Le passage se cachait certainement sur ce versant mais la violence du cours d’eau interdisait toute traversée. Ici, l’ombre de la falaise me dissimulait. C’était bien ainsi.

Je débouchai bientôt dans une combe étroite. Une tumultueuse chute d’eau jaillissait du haut de la falaise. L’eau se fracassait en longues gerbes sur des saillies rocheuses et s’apaisait ensuite dans une large cuvette formée par des éboulis, pour reprendre sa course rageuse dans la ravine.

Les parois enserrant la cascade, se couronnaient sur les crêtes d’une vive lumière, révélant la faille d’où s’étaient affranchis les blocs qui, à mes pieds, emprisonnaient le torrent. L’issue était là. Je devinai la piste. Elle filait entre les rocs, les buis et les valérianes- mais étaient-ce vraiment des valérianes ?- qui libéraient toute l’intensité de leurs pourpres au soleil des hauteurs.

Je franchis le torrent à gué, sautant sur la pierraille,et bientôt me hissais dans la clarté du plateau. Là, le sentier s’insinuait parmi une végétation de buis, de genévriers et de chênes verts pour s’étioler ensuite en de multiples traces serpentant entre de petits sapins.

J’arrivais enfin devant une vaste étendue herbeuse ponctuée de massifs de gentianes – mais était-ce des gentianes, vraiment ?- dont le jaune tendre répondait à celui des genêts ondulant à l’est, comme les boucles blondes d’Agnès, au vent léger.

Même ici, son souvenir taraudait mon âme.

Au loin, se découpant dans le bleu pur du ciel, les monts des royaumes du nord dressaient leurs hautes silhouettes enneigées. La maraude m’avait conduit loin de mes terres, je devais redoubler de vigilance.

J’avançais sur la lande mais aussitôt me ravisai. Quelque chose bougeait là bas. Ça remontait la pente douce de la doline qui d’abord l’avait masqué. C’était trop trapu pour un cavalier et trop lent pour une bête. C’était humain… Ou pire.

 

( à suivre)

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Une petite nouvelle, inspirée je ne sais pourquoi, par la dernière. J’ai hésité à la publier au fur et à mesure de son écriture et puis j’ai décidé de l’achever avant de la proposer sur le blog. En fait, cette histoire ne s’écrit pas dans un moment resserré. La création s’étale sur plusieurs semaines et correspond généralement à mes séances de jogging. Comme j’ai déjà pu l’écrire, je cours, je me transpose alors dans l’univers de l’histoire, j’imagine des péripéties et des tournures de phrase et je note ce qu’il est advenu dès la course finie sur un carnet. Puis je reprends mes notes à la maison. j’attends ensuite une nouvelle course pour concevoir la suite. J’ai aimé courir avec mon personnage, imaginant le paysage où il évoluait et qui pouvait correspondre par endroit à celui que je traversais. En fait j’ai vécu ce que vit mon personnage : cette superposition d’univers.

Pour garder mon blog vivant ( en espérant que le goût pour la peinture me revienne) je la publie en feuilleton de 4 parties. ça s’appelle pour l’instant- « LE VRAI MONDE » mais peut-être aussi : « UN MONDE IDÉAL »