Archives mensuelles : avril 2018

Dentelles

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PIPO

ET

LA VIEILLE BÛCHE TOUTE BRULÉE QUI FAISAIT DE LA MUSIQUE

Kiki La Doucette

CHAPITRE 1

Un berger bien distrait

Il était une fois, il y a bien longtemps, un jeune valet de ferme nommé Pipo.

Pipo passait le plus clair de son temps à souffler dans les flûtes, les sifflets, les galoubets et les pipeaux qu’il fabriquait. C’est pour cela qu’on l’appelait ainsi.

Bien sûr, maître Patrocle, son patron, n’appréciait guerre. Il disait:

  • Pipo! Pipo! Tu n’es qu’un fainéant! Toujours à jouer avec des bouts de bois! Tout juste bon à garder mes troupeaux! Ha! Gare à toi, Pipo…

Mais ces menaces n’impressionnaient pas le garçon.

Pourtant le fermier insistait:

  • Ha! Gare à toi, Pipo! Surveilles bien la forêt, car si le Grand Loup Gris vient à sortir, tu devras vite rentrer mes moutons!

Ce jour là, Pipo terminait un nouvel instrument. Il avait trouvé un joli roseau, bien long et bien rigide. Il l’avait coupé à la lune nouvelle et fait sécher lentement au soleil du matin. Puis il avait creusé la tige de petites ouvertures juste comme il faut pour ses doigts.

  • Vrai de vrai, c’est une superbe flûte, se réjouissait-il. Mais voyons comment elle sonne.

Il porta l’instrument à sa bouche puis se ravisa.

  • Hum ! Fit-il le vent du nord se lève, je serais mieux à l’abri du vieux chêne.

Pipo rejoignit le vieil arbre tout au bout du près. Adossé au tronc rugueux, il ne voyait plus la forêt mais le vent froid ne l’atteignait pas.

Après quelques notes, le garçon était très satisfait.

  • Cette flûte sonne aussi bien qu’elle est belle, fit-il. Essayons autre chose maintenant… Hum! Voyons cela.

Alors, comme le jour était clair et que les moutons broutaient paisiblement au fond du près, Pipo joua un air aussi léger que le bonheur. Puis, le vent devint violent et les moutons se mirent à bêler très fort, Pipo répondit par une musique aussi aiguë que la colère. Enfin, comme le soir descendait et que tout devenait silencieux, Pipo souffla une mélodie aussi douce que la paix.

Mais la paix ne devait pas durer longtemps.

  • Mes moutons! Mon troupeau! Où sont mes beaux moutons? Entendit-il au loin.

Au bout du prés, Maître Patrocle s’arrachait les cheveux de fureur.

  • Mon troupeau! Ma fortune! Ha Pipo! Est-ce que tu te caches ou c’est le Grand Loup Gris qui t’as emporté aussi?

Le Grand Loup Gris!

C’était donc lui qui effrayait les moutons tout à l’heure. Le jeune berger s’aplatit derrière le vieux chêne et murmura :

  • Je ne donne pas cher de moi si le fermier me retrouve. Il faut que je file d’ici en vitesse.

Au fond du prés, la forêt faisait un rideau inquiétant mais le garçon n’hésita pas longtemps.

  • Je n’ai pas le choix, se dit-il, personne ne me cherchera là-bas. Et le Grand Loup Gris ne doit plus avoir bien faim maintenant…

Avec mille précautions, Pipo se glissa entre les herbes et les buissons. Puis il pénétra dans la forêt.

CHAPITRE 2

Une étrange rencontre

Après avoir traversé le sous-bois touffu, Pipo découvrit un étroit sentier.

Le soleil couchant étirait l’ombre des arbres. Elles ressemblaient à des personnages fantastiques et terrifiants

  • Pourvu qu’il y ait une maison au bout, fit-il. Je ne voudrais pas dormir dehors.

Il remonta le col de sa veste et pressa le pas.

Le jeune berger arriva bientôt à l’orée d’une clairière. Il faisait de plus en plus sombre, mais il pouvait encore distinguer une souche d’arbre creux planté tout au milieu.

  • Ça me servira d’abri pour la nuit, soupira-t-il résigné.

Il fit un pas en sa direction et s’arrêta net.

  • J’ai la berlue ou la nuit se joue de moi! Fit-il, On dirait que le tronc à bougé!

Il fit un deuxième pas et voilà que l’arbre lui fit un signe d’une de ses racines.

  • Hé! Garçon! Appela la souche. Viens, avance donc, mon petit gars…

Prudemment, Pipo s’approcha. Ce qu’il prenait pour un vieux tronc de bois était en réalité une vieille femme qui lui souriait de toute une dent jaune.

  • Ha! Jeune homme, veux-tu me secourir? Je suis vieille et trop usée. Mon dos n’a plus assez de force pour une pareille charge.

La vieille femme désignait d’un doigt crochu un fagot de branches mortes.

  • Bien sûr grand mère, répondit Pipo.

Cette grand mère n’avait pas bonne mine. Pour tout dire, elle ressemblait à une sorcière avec sa verrue sur le nez et ses longs cheveux fillasses qui pendaient du chapeau. Mais le jeune berger était soulagé d’avoir un peu de compagnie.

  • C’est qu’il en faut du bois pour réchauffer mes vieux os! Reprit la femme. N’ai crainte, garçon, j’habite à deux pas.

Le fagot n’était pas bien lourd. Mais Lorsque pipo le chargea sur ses épaules, sa flûte glissa de sa ceinture.

  • Ho! Gamin! Dit la vieille, tu as perdu un bel objet. Fourre-le dans le fagot, il ne tombera plus.

La vielle femme avait dit vrai, sa chaumière était tout proche. On distinguait à travers les vitres poussiéreuses une faible lueur rougeâtre.

Dans un cliquetis de clés rouillées, elle se dépêcha d’ouvrir la porte.

  • Vite, garçon! Dit-elle. Mon feu est en train de s’éteindre.

Elle arracha le fagot des bras du jeune berger et le jeta dans la cheminée. Aussitôt, de belles flammes jaunes éclairèrent les toiles d’araignée qui tapissaient les murs et une douce chaleur envahit la pièce.

Soudain un son plaintif sortit du foyer.

  • C’est ma flûte! S’écria Pipo. Ma flûte est en train de brûler!

 

 

CHAPITRE 3

Une flûte presque neuve

A coups de tisonnier, Pipo écarta les braises. Il récupéra son instrument, mais dans quel état!

  • Ma belle flûte! Soupira-t-il. Toute noircie, toute tordue! On dirait une pauvre bûche maintenant…

  • C’est de ma faute, gémit la vieille femme. Je ne pensais qu’à mon feu et voilà que tu as perdu tout ce que tu possédais.

  • Bah! Ce n’est pas si grave grand-mère, répondit Pipo. J’en ferais une autre.

Mais la vieille se fâcha et ordonna:

  • Ah non, par exemple! Garçon, vas te coucher dans la remise ! Tu y trouveras de la paille confortable. Cette nuit, je réparerai mes bêtises.

Le lendemain, tout paraissait changé dans la chaumière. Le soleil matinal éclairait les toiles d’araignée comme des guirlandes de fête.

Rien n’était pareil, sauf la flûte.

Elle ressemblait toujours à une bûche tordue et brûlée. Pourtant la vieille femme était satisfaite.

  • J’ai travaillé toute la nuit et voilà! Dit-elle en souriant d’une large grimace.

Pipo ne savait que penser. Son hôtesse était peut-être un peu folle, mais il ne voulut pas la contrarier.

  • Ha, et bien. Heu… Merci grand mère, bafouilla-t-il gêné.

  • C’est vrai qu’elle ne brille plus comme avant, consentit la vieille. Mais je t’assure, elle sonne aussi bien! Et même mieux car j’y ai mis ma touche personnelle.

Le jeune berger pris la flûte et la regarda attentivement. Bien sûr, toutes les ouvertures avaient été soigneusement nettoyées, mais quel son pouvait-on tirer d’un pareil tuyau?

La vieille femme insista :

  • Vois-tu, garçon : si tu joues de cette flûte avec tout ton cœur, si tu y met toute ton âme, les gens qui t’écouteront, partageront tes sentiments. Ils éprouveront tes émotions. Cependant, soit prudent. Ne joue jamais lorsque tu es en colère car la rage du public se tournerait contre toi.

Décidément, ça n’allait pas rond dans cette vieille cabosse. Mieux valait ne pas s’attarder en ces lieux. La vieille femme lui donna un quignon de pain pour la route, Pipo la remercia une nouvelle fois et il reprit son chemin.

Le jeune berger marchait maintenant depuis longtemps sans rencontrer d’autre compagnie que les arbres tristes et sombres de la forêt.

  • Si j’essayais une petite musique entraînante, se dit-il Je parviendrais peut être à sortir un bruit de ce bout de bois.

Il porta la flûte à ses lèvres et fut surpris par la beauté du son que produisit l’instrument.

  • Ça alors! Fit-il. La grand mère avait raison.

Mais il n’eut pas le temps de savourer sa découverte. Devant lui, luisant dans l’ombre, deux yeux, rouges de sang, le fixaient.

Le grand loup gris!

CHAPITRE 4

Une bête mélomane

Pipo voulu hurler de terreur. Mais il ne put que souffler dans le bout de bois qu’il serrait entre ses lèvres.

Un son aigu s’échappa de l’instrument.

Cela n’impressionna pas le grand loup gris. Il retroussa ses babines sur ses dents longues comme des couteaux de boucher.

  • Pitié! Pensait Pipo. Tu es si effrayant, si fort, si considérable que tu ne ferais qu’un bouchée de moi.

Sans s’en rendre compte, Pipo soufflait dans la flûte. Et toute sa peur s’exprimait par sa musique.

  • Épargne- moi, jouait-il. Je me soumettrais à ta volonté. Je ferais tout ce que tu voudras si tu me laisse la vie.

Alors le loup hésita. Puis, il se mit à trembler de tous ses poils. Il baissa les oreilles, rabattit sa queue entre les jambes et rampa en gémissant jusqu’aux pieds du garçon.

Le jeune berger, surpris par le comportement du fauve, arrêta de jouer. Il dit :

  • Ça alors! On dirait que c’est toi qui est terrorisé.

Il caressa doucement la bête

  • Tu n’as pas l’air bien féroce comme ça. Tu n’as peut être, même pas dévoré les moutons. Ils se sont enfui, tout simplement.

Lorsque l’animal fut calmé, Pipo reprit son chemin.

Bientôt, la forêt s’éclaircit. Des champs remplacèrent les grands arbres sinistres. Le chemin devint une route. Au loin se dessinaient les contours d’une ville.

  • Ha! Enfin la compagnie des hommes, fit le garçon soulagé.

Puis il se retourna. Le grand loup gris était toujours là. Il l’avait suivit, docile comme un bon gros toutou.

  • Ce n’est plus ta place ici. Retourne dans la forêt, ordonna le berger.

Baissant la tête comme à regret, le grand loup disparut derrière les hautes fougères.

Pipo arrivait aux premiers faubourgs de la ville quand il entendit appeler :

  • La charité, Mon Seigneur, la charité…

Un mendiant misérable venait à sa rencontre. Des béquilles soutenaient ses jambes sans vigueur et un bandeau noir couvrait ses yeux.

  • Je n’ai rien d’un seigneur monsieur, répondit Pipo. Je suis aussi pauvre que toi.

  • Tu es riches, au contraire! Tu as deux bonnes jambes et deux bons yeux! Moi je n’ai rien de tout ça. Allons, donne-moi quelque chose.

Pipo fouilla la poche de sa veste et lui tendit le pain de la vieille femme.

  • Voilà tout ce que j’ai, fit-il tristement.

A cet instant, dans un galop tapageur, surgit un magnifique cheval. Pipo s’écarta juste à temps pour lui laisser le passage.

  • Place! Place! Cria le cavalier. La princesse m’attend pour ses noces!

CHAPITRE 5

Un mendiant généreux

Disparu le quignon, envolé ! Emporté par la course du cheval.

  • Je n’ai plus rien à te donner, regretta Pipo. Juste quelques notes de musique.

  • Au diable la musique ! répondit le mendiant. Ça ne remplit pas le ventre !

Mais Pipo avait déjà sa flûte aux lèvres. Il joua sa tristesse. Il était désolé. Que pouvait-il faire pour aider cet homme si misérable ? A part cette vieille bûche brûlée, il ne possédait rien.

Le mendiant renifla bruyamment, puis essuya les larmes qui coulaient sur ses joues.

  • Ha, jeune homme, comme ta musique est belle ! Tu voulais secourir un menteur, un hypocrite !

Il arracha son bandeau.

  • Toi qui n’a rien, et moi qui ai tout ! Je vois aussi bien qu’un chat, moi! Et je saute comme un cabri, moi! Et puis je suis riche, regarde !

    Il écarta ses haillons et tendit une bourse bien pleine.

  • Prends ça ! Tu en as plus besoin que moi. Ha ! Ha ! Ha !

    Puis il jeta ses béquilles, essaya quelques pas de danse et s’éloigna en sautillant.

Quand Pipo arriva en ville, il fut étonné de voir les rues désertes.

  • Tu cherches la cour d’honneur du palais, jeune homme ?

    A la porte d’une boutique, un homme le dévisageait. Il portait de beaux habits. Ce devait être le commerçant.

  • Heu, non monsieur, répondit Pipo. Je n’ai rien à faire au palais.

  • Comment ? S’étonna le marchand. Ne veux-tu pas épouser notre belle princesse ?

  • C’est que je ne suis qu’un modeste berger et…

  • Tut ! Tut ! Tut ! Un beau jeune homme comme toi a toutes ses chances ! A condition d’avoir un habit convenable, bien sûr… Si tu as quelques sous, j’ai tout ce qu’il te faut.

  • J’ai ça, dit Pipo en montrant la bourse.

Le visage du commerçant s’éclaira d’un large sourire. Ses yeux brillèrent comme des pièces d’or. Il entoura d’un bras affectueux l’épaule du garçon et l’entraîna dans sa boutique.

  • Entre donc, mon ami ! Fit-il. Je vais t’habiller comme un prince.

    Mais, juste avant de rentrer, le commerçant regarda les alentours attentivement.

  • C’est bizarre, s’inquiéta t-il. J’ai cru voir un bouger une ombre grise au bout de la rue… Bah ! Ce n’était sûrement qu’un grand chien.

 

 

 

CHAPITRE 6

A la dernière mode

  • Un œil de tailleur ne se trompe jamais ! Voilà ce qu’il te faut.

Le commerçant présentait une large tunique. Pipo s’en vêtit sans peine car elle semblait faite pour un géant.

  • Hum ! Fit le jeune berger. N’est-elle pas trop grande ?

  • Grande ! Certes pas ! Il suffit de retourner les manches voilà tout … Évidemment,

comme il y a plus de tissus, ça fera un peu plus cher.

Le tailleur recula de quelques pas pour admirer le résultat de ses retouches.

  • Bien sûr, continua t-il, une si noble tunique exige des chaussures de seigneur. Tu as de la chance, j’en gardais justement une paire pour les grandes occasions. Tiens, essaye cette botte.

Pipo enfila la belle botte de cuir rouge que lui tendait le commerçant mais il hésitât avant de chausser la seconde. C’était une bottine bleue.

  • Mais elle ne ressemble pas du tout à la première, s’inquiéta t-il.

  • Ha ! Soupira le tailleur. On voit que tu viens de la campagne ! Il y a bien longtemps que l’on ne porte plus de soulier identique en ville. C’est la mode. Évidemment, c’est un peu plus cher. Maintenant, il ne te manque plus que…

Le commerçant fouilla énergiquement dans un vieux coffre. Il en sorti un objet mou et poussiéreux.

  • Que le couvre-chef ! Une pièce rare ! C’était la coiffe du baron Matuvu.

Il souffla un grand coup sur le chapeau. Un nuage de poussière s’éparpilla dans la boutique.

  • Keuf ! Keuf ! Toussa Pipo. Mais il est déchiré !

Le commerçant considéra le chapeau et réfléchit un court instant.

  • Ce n’est pas une déchirure, garçon, c’est le trou ! Le trou à truc. En ville, avoir un chapeau à truc est du dernier chic. Il faut mettre dans la fente quelque chose de personnel. Par exemple, la vielle bûche que tu serres à ta ceinture fera beaucoup mieux sur ton chapeau.

Un chapeau à truc, c’est pas bon marché. Plus un sou ! Mais le jeune berger était à la dernière mode. Pourtant, quand il arriva à la cours d’honneur du palais, nul ne le remarqua. Tout les regards convergeaient vers la majestueuse entrée du château où la famille royale recevait les prétendants au mariage. Aujourd’hui, la princesse devait trouver un époux.

Pipo ne pouvait rien voir derrière la foule. Il reconnu, cependant, une voix coléreuse.

  • Place ! Laissez moi m’en aller ! Votre princesse est folle ! Me refuser, moi, le baron Matuvu ! Avec toute ma fortune et toutes mes terres ! Place !

CHAPITRE 7

Un bouffon amoureux

La foule s’écartait prudemment pour laisser passer la fureur du baron. Cela faisait comme un long couloir. Au bout de ce couloir, on voyait le roi sur son trône et surtout, assise à côté de lui, sa fille.

  • Ah ! Se lamentait le roi, trouveras-tu un jour un époux ?

Le jeune berger ne pouvait plus détacher ses yeux de la princesse.

  • Comme elle est belle, pensait-il. Jamais je n’oserais l’approcher.

La jeune fille semblait distraite. Son regard se perdait au loin, au delà des murs et des tours du palais.

  • Entends-tu ce que je te dis, ma fille ? S’irrita le roi.

  • Oui Père, mais j’ai cru voir une chose étrange courir sur les remparts.

  • Bah !… Ce sera l’ombre d’un oiseau.

Le roi inspecta d’un œil rapide les murailles et repris :

– Ha ! Mon enfant, si un riche gentilhomme comme le baron ne te convient pas, qui donc pourra te plaire ?

  • Peut-être qu’un bouffon fera l’affaire ! Répondit une voix moqueuse.

Soudain, une poussée brutale propulsa Pipo en avant. Son chapeau-à-truc roula jusqu’au pied du trône royal. Derrière lui, les mains sur les hanches, le baron Matuvu riait aux éclats. Chacun s’interrogeait, les rires et les moqueries fusaient, des doigts se tendaient désignant tantôt les bottes dépareillées, tantôt l’habit trop grand, tantôt le couvre-chef bizarre.

  • Et bien, voilà un drôle d’accoutrement pour demander une princesse en mariage, s’amusa le roi. Es-tu donc bouffon ?

  • Pas du tout, dit Pipo. Je ne suis qu’un simple berger.

  • Un berger ? S’étonna le roi. Tu oses demander la main de ma fille, toi qui n’as ni terre, ni fortune ?

Pipo ramassa son chapeau. Il dégagea la bûche de la fente et répondit humblement :

  • Je suis pauvre en effet et tout ce que je peux offrir, c’est un air de musique.

Il porta la flûte à sa bouche et sans quitter la princesse des yeux, il souffla doucement. Il joua tandis que son cœur battait la mesure. Il dit l’or de ses cheveux, l’eau claire de ses joues et les cerises de ses lèvres. Il dit tant et tant de belles choses, mais il dit surtout qu’il l’aimait.

Quand il eut fini, une larme coulait sur la joue de la princesse.

  • Père,dit-elle. Voilà celui que je veux épouser. C’est lui que j’aime.

Le roi était, lui aussi, très ému.

  • Et bien soit ! Déclara- t-il. Berger ou gentilhomme, il sera ton mari. Que chacun se mette en train pour préparer les noces.

Dissimulé dans la pénombre d’un porche, le baron était insensible à l’enthousiasme du moment.

– C’est cette fichue bûche dans laquelle il souffle. Elle est magique. Il me la faut !

CHAPITRE 8

Des noces mouvementées

Jamais la cité n’avait paru aussi joyeuse. Des drapeaux multicolores pavoisaient la rue principale. Le sol était couvert de pétales de fleur. Cela sentait bon, cela était beau : c’était le jour des noces.

Les habitants se massaient aux fenêtres et se pressaient le long de la rue. Cette fois, le tailleur avait fermé sa boutique.

  • Qui aurait pensé, disait-il . Que ce petit berger allait conquérir le cœur de notre princesse ?

  • C’est parce que le sien est généreux et sincère, lui répondit-on. Mais, quelle est cette chose qui bouge sur le toit ?

  • Oh ! sans doute un chapeau-à-truc emporté par le vent.

Il y avait beaucoup de couvre-chef bizarre car le chapeau-à-truc était devenu très à la mode. Mais, pour l’heure, il empêchaient les plus petits de voir le cortège royal approcher.

Le roi et la reine chevauchaient en tête suivi des deux futurs époux. Pipo avait bien du mal à se maintenir en selle. C’était la première fois qu’il montait sur un cheval.

Soudain, une voix bien connue couvrit les applaudissement de la foule.

  • Place ! Place ! Laissez-moi donc passer !

Le baron Matuvu se planta devant le roi. D’un geste élégant, il se découvrit pour un salut théâtral. Il avait le crâne aussi lisse qu’un cailloux.

  • Sire, je voudrais vous féliciter pour cet heureux mariage.

  • Mais n’es-tu plus fâché, baron ? répondit le roi surpris.

  • Je ne le suis plus et je vais vous le prouver car j’ai un cadeau pour votre futur gendre.

Le baron lança un regard en coin vers le jeune berger.

  • Son vieux chapeau n’est pas digne d’une cérémonie de cette qualité. En voici un tout neuf !

Le baron tendit un chapeau traversé par une jolie flûte bien droite.

  • J’y ai mis, comme il est d’usage aujourd’hui, un truc musical qui sera à son goût.

  • C’est un magnifique cadeau, se réjouit le roi. Pipo, échange donc, ton vieux bibi, car on ne saurait laisser tête nue, ce cher baron.

A contrecœur, Pipo s’exécuta.

  • Faut-il lui donner ma flûte aussi ? Risqua t-il.

  • Cette vieille bûche toute brûlée ! Allons Pipo, donne-lui tout !

Dès que le baron eut le chapeau entre ses mains, il arracha la bûche magique et la porta à ses lèvres.

  • Ha ! Ha ! Fit-il. Moi aussi je connais la musique !

Il se mit à jouer avec rage et fureur. Comme il détestait Pipo ! Comme il aurait voulu que son cheval se cabre et le renverse ou, pire encore, que le grand loup gris l’emporte et le dévore !

Le grand loup gris !

Un bon lui suffit pour descendre du toit. Il se dressait devant le baron, les yeux pleins de rage et de fureur.

  • Au secours ! S’écria celui-ci, en jetant la flûte.

Il s’enfuit à toutes jambes poursuivi par le fauve gris. On entendit jamais plus parler de lui.

La bûche s’était brisée contre le sol, mais quelle importance ?

Le jeune berger épousa la princesse. Ils vécurent heureux et leurs enfants furent de sacrés musiciens.

FIN