Chapitre 28
Les sous bassement des fleuves édifient des méandres enracinés dans la décrépitude.
La 306 banalisée traverse l’étroit pont de béton.
Il a fallu traîner la masse noire de la bête pour dégager l’accès aux cabanons de Beauduc. Le taureau gît à l’écart de la route, des mouches agglutinées sur les naseaux et sur les yeux.
La voiture zigzague entre les véhicules des nombreuses personnes attirées sur les lieux par les coups de feu, les SMS ou autres tweets. Puis, elle stoppe enfin, à la hauteur d’un fourgon de gendarmerie.
Le commissaire Portelli jaillit de la voiture, le téléphone à l’oreille.
– Comment ça, rugit-il. Dans trente minutes ! vous vous foutez de moi, une demi-heure pour faire le plein ?
Il contourne sans y prêter attention la dépouille du deuxième taureau, on devine l’échine déchiré de l’animal entre les jambes d’une haie de curieux. Il se dirige vers l’ambulance garée devant l’entrée défoncée du bungalow de Jason. Là, des pompiers s’activent autour d’une civière. Une femme en uniforme bleu se détache du groupe. Son chapeau contient mal une longue chevelure serrée en chignon. Une mèche s’évade au vent lorsqu’elle tourne la tête vers le commissaire.
– Laisser passer le commissaire Portelli, ordonne-elle au gendarme s’interposant devant le nouveau venu.
– Vous avez fait vite, commissaire.
– Ah, commandant Billon ?
Portelli claque la fermeture de son portable.
– Les choses se précipitent commandant, je vous l’avais dit… C’est l’homme ?
Les pompiers ont chargé un corps sur la civière et s’apprêtent à l’introduire dans le fourgon d’ambulance. Le commissaire écarte l’enveloppe qui dissimule le visage du mort.
– Oui, je le connais… C’est un des Bulgares, c’est bien eux. Bon sang et les gosses ?
A l’écart du cabanon, assis à l’arrière d’un véhicule de gendarmerie, trois adolescents écoutent la voix réconfortante d’un infirmier. Le vent n’est pas suffisamment froid pour justifier la couverture qui les isole, pourtant ils semblent transits, effarés.
– Choqués bien sûr. Vous voulez leur parler ?
– Plus tard. D’abord celui qui a conduit les Bulgares ici. Où est-il votre pizzaîolo ?
– On le garde à côté, venez.
Le commandant dirige Portelli vers le cabanon voisin. Une sorte de terrasse, aménagée d’une table en bois et de fauteuils dépareillés, sert d’antichambre extérieure au bungalow. André, Marius et le cow-boy sont en grande conversation devant les tasses de café fumant que leur propose la maîtresse des lieux. Deux gendarmes s’efforcent d’éloigner voisins et curieux qui interpellent les trois hommes.
– C’est la fille qu’ils cherchent, n’est-ce pas , commissaire ? Mais que lui veulent-ils à cette gamine ?
Portelli marque une hésitation, puis se décide à parler.
– Son père doit témoigner au procès de la filière bulgare…
– C’est la fille d’Emilio Gordo ?
– S’ils lui mettent la main dessus, Gordo ne témoignera pas. Ils ont tenté de le liquider en prison. Ça ne l’a pas dissuadé… Mais, s’ils ont la fille, il ne dira rien… Gordo a trempé dans toutes sortes de magouilles et…
– Excusez-moi, commissaire, mais n’aurait-il pas fallu mettre cette fille hors d’atteinte ?
Portelli considère un instant son interlocutrice. De quoi se mêle t-elle ? Prétend- elle donner des conseils à un commissaire chevronné. Mais déjà, elle regrette son audace. Elle lui adresse un sourire discret en guise d’excuse. Il poursuit.
– Nous ne connaissions pas son existence, madame. Et puis, il ne nous a jamais fait confiance pour assurer la protection de sa môme. Il avait sans doute raison car il a failli le payer cher, lui.
– En prison ?
– Oui, il s’en est fallu de peu… C’est après qu’il nous en a parlé. Il l’avait confié à son frère. Pas d’adresse fixe. Il la baladait partout. C’était malin, mais…
Le commissaire s’interrompt brusquement : le téléphone.
– Portelli, fait-il. Vous l’avez ?… Renault orange, oui… C’est ça, c’est eux… Combien êtes-vous là bas, aux Salins,… Quoi, c’est tout ?… Oui je sais, les taureaux…
Il fait demi-tour et d’un signe demande au commandant de le suivre.
– Non, restez à distance, continue t- il. Trop dangereux !
D’un autre signe, il ordonne au chauffeur de la 308 de rejoindre son véhicule.
– Commandant, fait-il.
Mais il doit s’interrompre à nouveau.
– Non ! Attendez les unités d’intervention… Oui d’Arles… J’arrive.
Puis s’adressant finalement à l’officier.
– On les a vu aux Salins. Pas les gosses, la voiture. J’y serais avant que l’hélico n’arrive.
Il jette un regard circulaire sur l’affluence de plus en plus nombreuse de curieux et juste avant de s’introduire dans la voiture, il poursuit :
– Vous ne serrez pas de trop pour régler ce bordel… Et puis, il faut que vous fouillez la baraque… Il y a un carnet…
– Un carnet ?
– Oui, avec des phrases, des poèmes, des conneries… C’est important. Assurez-vous de ça… Maintenant, on va les coincer. Là bas, il n’y a que le fleuve et la mer.
– Non commissaire, il y a le bac sur le fleuve. Le bac du Bacarin…
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– On dirait bien la bagnole à mon père, s’interroge Jason. Mais qu’est-ce qu’il fout ici ?
Le camion ralentit soudain puis, sans prévenir s’engage sur une route secondaire à droite. La route principale est alors dégagée, la 4L se voit parfaitement.
– C’est pas lui !… C’est pas lui, c’est eux ! Putain, c’est eux !
Jason freine brusquement. Il tente de s’engager à la suite du camion, mais il est déjà trop avancé et arrive trop vite. Le scooter dérape sur les gravillons de la chaussée. Il se couche sur le côté, bloqué par les végétaux du talus et un panneau signalant le bac du Bacarin.
Les hautes herbes ont amorti la chute. Les deux adolescents se relèvent rapidement. Une écorchure marque le coude de la fille mais elle ne s’en préoccupe pas. Elle fixe la voiture orange qui accélère en leur direction.
– Djèson, ils arrivent, ils arrivent !
Jason a redressé son scooter. Il actionne nerveusement la clé du démarreur qui gémit sans parvenir à entraîner le moteur.