Archives mensuelles : juillet 2012

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Chapitre 28

 

Les sous bassement des fleuves édifient des méandres enracinés dans la décrépitude.

 

 

 

La 306 banalisée traverse l’étroit pont de béton.

Il a fallu traîner la masse noire de la bête pour dégager l’accès aux cabanons de Beauduc. Le taureau gît à l’écart de la route, des mouches agglutinées sur les naseaux et sur les yeux.

La voiture zigzague entre les véhicules des nombreuses personnes attirées sur les lieux par les coups de feu, les SMS ou autres tweets. Puis, elle stoppe enfin, à la hauteur d’un fourgon de gendarmerie.

Le commissaire Portelli jaillit de la voiture, le téléphone à l’oreille.

–         Comment ça, rugit-il. Dans trente minutes ! vous vous foutez de moi, une demi-heure pour faire le plein ?

 

Il contourne sans y prêter attention la dépouille du deuxième taureau, on devine l’échine déchiré de l’animal entre les jambes d’une haie de curieux. Il se dirige vers l’ambulance garée devant l’entrée défoncée du bungalow de Jason. Là, des pompiers s’activent autour d’une civière. Une femme en uniforme bleu se détache du groupe. Son chapeau contient mal une longue chevelure serrée en chignon. Une mèche s’évade au vent lorsqu’elle tourne la tête vers le commissaire.

–         Laisser passer le commissaire Portelli, ordonne-elle au gendarme s’interposant devant le nouveau venu.

–         Vous avez fait vite, commissaire.

–         Ah, commandant Billon ?

 

Portelli claque la fermeture de son portable.

–         Les choses se précipitent commandant, je vous l’avais dit… C’est l’homme ?

 

Les pompiers ont chargé un corps sur la civière et s’apprêtent à l’introduire dans le fourgon d’ambulance. Le commissaire écarte l’enveloppe qui dissimule le visage du mort.

–         Oui, je le connais… C’est un des Bulgares, c’est bien eux. Bon sang et les gosses ?

 

A l’écart du cabanon, assis à l’arrière d’un véhicule de gendarmerie, trois adolescents écoutent la voix réconfortante d’un infirmier. Le vent n’est pas suffisamment froid pour justifier la couverture qui les isole, pourtant ils semblent transits, effarés.

–     Choqués bien sûr. Vous voulez leur parler ?

–      Plus tard. D’abord celui qui  a conduit les Bulgares ici. Où est-il votre pizzaîolo ?

–      On le garde à côté, venez.

 

Le commandant dirige Portelli vers le cabanon voisin. Une sorte de terrasse, aménagée d’une table en bois et de fauteuils dépareillés, sert d’antichambre extérieure au bungalow. André, Marius et le cow-boy sont en grande conversation devant les tasses de café fumant que leur propose la maîtresse des lieux. Deux gendarmes s’efforcent d’éloigner voisins et curieux qui interpellent les trois hommes.

–         C’est la fille qu’ils cherchent, n’est-ce pas , commissaire ? Mais que lui veulent-ils à cette gamine ?

 

Portelli marque une hésitation, puis se décide à parler.

–         Son père doit témoigner au procès de la filière bulgare…

–         C’est la fille d’Emilio Gordo ?

–         S’ils lui mettent la main dessus, Gordo ne témoignera pas. Ils ont tenté de le liquider en prison. Ça ne l’a pas dissuadé… Mais, s’ils ont la fille, il ne dira rien… Gordo a trempé dans toutes sortes de magouilles et…

–         Excusez-moi, commissaire, mais n’aurait-il pas fallu mettre cette fille hors d’atteinte ?

 

Portelli considère un instant son interlocutrice. De quoi se mêle t-elle ? Prétend- elle donner des conseils à un commissaire chevronné.  Mais déjà, elle regrette son audace. Elle lui adresse un sourire discret en guise d’excuse. Il poursuit.

–         Nous ne connaissions pas son existence, madame. Et puis, il ne nous a jamais fait confiance pour assurer la protection de sa môme. Il avait  sans doute raison car il a failli le payer cher, lui.

–         En prison ?

–         Oui, il s’en est fallu de peu… C’est après qu’il nous en a parlé. Il l’avait confié à son frère. Pas d’adresse fixe. Il la baladait partout. C’était malin, mais…

 

Le commissaire s’interrompt brusquement : le téléphone.

–         Portelli, fait-il. Vous l’avez ?… Renault orange, oui… C’est ça, c’est eux… Combien êtes-vous là bas, aux Salins,… Quoi, c’est tout ?… Oui je sais, les taureaux…

 

Il fait demi-tour  et d’un signe demande au commandant de le suivre.

–         Non, restez à distance, continue t- il. Trop dangereux !

 

D’un autre signe, il ordonne au chauffeur de la 308  de rejoindre son véhicule.

–         Commandant, fait-il.

 

Mais il doit s’interrompre à nouveau.

–         Non ! Attendez les unités d’intervention… Oui d’Arles… J’arrive.

 

Puis s’adressant finalement à l’officier.

–         On les a vu aux Salins. Pas les gosses, la voiture. J’y serais avant que l’hélico n’arrive.

 

Il jette un regard circulaire sur l’affluence de plus en plus nombreuse de curieux et juste avant de s’introduire dans la voiture, il poursuit :

–         Vous ne serrez pas de trop pour régler ce bordel… Et puis, il faut que vous fouillez la baraque… Il y a un carnet…

–         Un carnet ?

–         Oui, avec des phrases, des poèmes, des conneries… C’est important. Assurez-vous de ça… Maintenant, on va les coincer. Là bas, il n’y a que le fleuve et la mer.

–         Non commissaire, il y a le bac sur le fleuve. Le bac du Bacarin…

 

 

 

                               *************************************

 

 

–         On dirait bien la bagnole à mon père, s’interroge Jason. Mais qu’est-ce qu’il fout ici ?

 

Le camion ralentit soudain puis, sans prévenir s’engage sur une route secondaire à droite.  La route principale est alors dégagée, la 4L se voit parfaitement.

–         C’est pas lui !… C’est pas lui, c’est eux !  Putain, c’est eux !

 

Jason freine brusquement. Il tente de s’engager à la suite du camion, mais il est déjà trop avancé et arrive trop vite. Le scooter dérape sur les gravillons de la chaussée. Il se couche sur le côté, bloqué par les végétaux du talus et un panneau signalant le bac du Bacarin.

Les hautes herbes ont amorti la chute. Les deux adolescents se relèvent rapidement. Une écorchure marque le coude de la fille mais elle ne s’en préoccupe pas. Elle fixe la voiture orange qui accélère en leur direction.

–         Djèson, ils arrivent, ils arrivent !

Jason a redressé son scooter. Il actionne nerveusement la clé du démarreur qui gémit sans parvenir à entraîner le moteur.

Les sous bassement des fleuves édifient des méandres enracinés dans la décrépitude.

 

Interlude

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Hélas, je vais devoir rompre mes engagements… Ainsi que le rythme du récit du Vaste Monde.  L’aventure attend le chasseur d’idée dans la vraie vie. Alors, pour réduire un peu les délais de vacances, j’avancerais la parution au plus tôt et la reprendrais dès que possible. Mais le chasseur part serein, le devoir accompli , l’idée s’est rendue. Il connait, maintenant, le fin mot de l’histoire. Hé!Hé!Hé!                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

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Chapitre 27

 

A la troisième plage, il y avait un monde parfait.

Mais, parfois, il doutait que tout fut bien rangé.

 

 

 

 

La Renault avance assez vite malgré la route défoncée. Le conducteur semble en connaître tous les pièges. Elle stoppe au niveau du pont, à deux pas de l’homme qui  attend, une main passée à l’arrière de son blouson de cuir.

–         Connasse de con ! fait le conducteur en ouvrant la portière.

 

Le passager sort à son tour. Il réajuste son chapeau de cow-boy crasseux et le fixe fortement sur son crâne à cause du vent. De sa main droite, il tient une sorte du fusil doté d’un large canon.

–         Putain, Marius ! fait-il. C’est Tango, t’as vu cette masse !

Marius contourne la voiture et s’approche de la bête morte.

–         Non. C’est pas Tango. C’est l’autre. Celui qui a qu’une oreille… Connasse !

 

Puis, considérant enfin le 4X4  accidenté et l’homme au blouson, il dit :

–         C’est vous qui êtes rentré dedans ?

 

L’homme acquiesce du menton. Derrière lui, les deux autres ont gravi le talus. L’un d’eux s’assoit sur un des rochers qui balisent la route. Il masse sont épaule en grimaçant.

–         Y a pas de blessé ? s’inquiète le cow-boy.

 

L’homme secoue négativement la tête.

–         Putain ! Savez ce que ça coûte, un taureau de combat ? poursuit Marius.

–         Ta gueule ! répond l’homme. Et toi, le cow-boy balance ça !

 Il a sorti son automatique et indique du canon l’eau du fossé.

–         A la flotte ! insiste t-il.

 

Les deux gardians indécis  échangent un bref regard.

–         C’est juste pour endormir, explique Marius. C’est des piqûres hipper… Hippo…

–         Balance !

 

Le cow-boy s’exécute. Le fusil dérange une nuée de moucherons en éclaboussant la berge. Le vent la dissout aussitôt. D’un geste autoritaire l’homme au blouson désigne la Renault à ses complices. Le plus valide s’installe au volant, démarre et s’arrête à pour embarquer son chef. Puis la voiture s’élance, ralentissant à peine pour laisser le blessé se jeter à l’arrière de la fourgonnette.

–         Connasse… souffle Marius

–         Putain, approuve le cow-boy.

 

Ils regardent filer la voiture. La route longe un vaste étang. On peut voir la progression du véhicule grâce au tourbillon de poussière soulevé par les roues. Marius pianote nerveusement les touches de son mobile. Il se trompe et recommence.

–         Gendarmerie… répond enfin le téléphone.

–         Connasse ! hurle Marius.

–         Pardon ? interroge le téléphone.

–         C’est Marius, Marius Gonfaron ! Du mas Gilbert. Je suis à Beauduc. C’’est à cause des taureaux. Putain, il se passe des choses ici, con !

–         Du calme monsieur Gonfaron. Êtes vous blessé ? Allez vous bien ?

–         Ça va, mais c’est la merde ici !

–         Nous sommes au courant, nous avons eu des appels… Ne quittez pas. Je vous mets en contact avec le commissaire Portelli…

 

Là bas, au bout de la digue, la fourgonnette a stoppé, comme si l’on hésitait sur un direction à prendre. Ce n’est qu’un point orange dans le gris des marais. Puis la voiture démarre et le point coloré disparaît des regards.

 

 

 

                             *********************************

 

 

Jason pose le pied sur le bitume de la rue. Sa passagère blottie contre son dos. Le moteur du scooter tourne au ralenti. Les deux adolescents ont laissé le dédale de chemins qui contourne les étangs. Ils sont à l’entrée d’une agglomération de constructions récentes, alignées de par et d’autre d’une large voie rectiligne.

–         Ça va ? fait Jason en tournant légèrement la tête vers son amie. On les a semé.

–         Il faut aller à la police Djèson…

 

La jeune fille étreint de toutes ses forces le torse du garçon. Elle garde les yeux fermés comme pour s’isoler du monde, de la sauvagerie des bêtes, de la brutalité des hommes et de ce paysage dur, usé de vent.

–         La police, insiste t-elle.

–         Oui, la police… Je ne sais pas trop où c’est, ici…

 

Jason cherche un indice parmi les maisons impersonnelles de la longue rue vide.

–         Y a pas un chat… Sont tous en train de bouffer… Si j’avais mon portable… Je suis venu une fois avec mon père… Je crois qu’il y a une gendarmerie sur la route qui va aux salins… On est pas bon là, il faut traverser le quartier.

 

Le scooter bondit. Le bruit strident du moteur joue avec les rafales de vent qui s’engouffrent entre les habitations. Très vite, il débouche sur une voie transversale plus large. Au carrefour, quelques panneaux indiquent diverses directions mais aucun ne mentionne la gendarmerie.

–         C’est la route des salins… Je ne sais pas si c’est à droite ou à gauche… Bon, on verra.

 

Jason lance son engin en direction de la mer. Bientôt les constructions s’espacent, absorbées par les tamaris et les touffes de roseaux, puis se sont les étendues des marais salants. Ils se rapprochent du fleuve révélé sur la gauche par une végétation abondante. Au loin, on devine les uniques montagnes de ce pays plats : les masses blanchâtres d’amas de sel.

Jason ralentit et  pose un pied au sol pour laisser passer un camping-car venant dans l’autre sens.

–         C’est pas là. Je me souviens pas qu’on voyait les salins… C’est de l’autre côté, la gendarmerie.

 

Le scooter lutte, maintenant, contre le vent. Un petit camion de chantier le dépasse lentement. Jason se glisse immédiatement derrière la plate forme chargée de planches et d’outils. Abrité des rafales, l’engin retrouve de la vitesse. La manœuvre est dangereuse mais Jason en est familier. En baissant la tête, sous le plateau, il peut voir une portion de route et limiter les risques.

Justement, un véhicule vient de déboucher au bout de la longue ligne droite. On le distingue très bien à cause de sa couleur : orange.

– Hé, y a mon père, on dirait !… Ça alors, c’est mon père !

A la troisième plage, il y avait un monde parfait.
Mais, parfois, il doutait que tout fut bien rangé.

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Chapitre 26

 

Le bonheur souffre de surdité,

mais peut-on dire qu’il souffre?

 

 

 

La fillette a saisit le bras du garçon. Elle l’invite à se baisser.

–         Djèson, ils viennent pour moi… C’est moi qu’ils cherchent.

 

Elle est terrifiée. Jason troublé par l’expression de son visage, lentement, s’accroupit à l’arrière des touffes végétales qui couronnent la dune.

–         Mais c’est qui ?… Qu’est-ce qu’ils te veulent ?

–         Je sais pas, je sais pas… Mais ils en ont après moi… Carlos m’a dit de fuir, qu’il faut que j’aille à la police…

–         Carlos ? C’est qui Carlos ?

–         C’est compliqué, je te dirais… mais il faut pas qu’ils m’attrapent…. Il faut aller à la police, Carlos l’a dit…. Djèson, J’ai peur… Je ne comprends rien à ce qui arrive… J’ai terriblement peur.

 

Trois des cinq hommes se dirigent vers le cabanon. Un coup de pied défonce le portillon qui résistait à cause d’un crochet rouillé. Un autre éclate la moustiquaire de l’entrée.

–         Putain !fait Jason

 

Il saisit la main de la gamine.

–         Viens, y a mon scooter. Vite, pendant qu’ils sont dedans. En passant par le côté, les autres nous verront que trop tard.

 

Ils dévalent la dune. La contourne en courant. Le sol absorbe le bruit de leur pas, le vent les enveloppe de sable.

Le dernier individu retient toujours le pizzaïolo adossé au 4X4.  C’est un homme d’une élégance surannée. Une délicate moustache dessine le dessus de ses lèvres et une cravate bariolée flotte au vent par-dessus un blouson du cuir. Il se protège les yeux des grains projetés par les bourrasques. On entend des cris provenant du cabanon. Soudain un garçon jaillit à travers la porte d’entrée et chute violemment sur le seuil. Un homme le suit. Il s’immobilise dans l’encadrement de la porte. Il vient d’apercevoir les deux adolescents.

Le scooter démarre dans un bruit strident. L’homme hurle des mots incompréhensibles vers l’intérieur et court en directions des fuyards. Il a sorti un automatique et le braque sur eux.

C’est alors qu’il voit la bête, mais c’est déjà trop tard.

La corne s’enfonce dans ses tripes. L’homme et projeté par-dessus la clôture jusqu’à l’auvent du cabanon qui s’effondre dans un fatras de cannisses et de bois.

Les deux autres hommes sortent à leur tour. Ils n’ont aucun regard pour celui qui gémit à leurs pieds, contenant mal, entre ses doigts crispés, les choses visqueuses qui pendent de son ventre. Ils fixent avec stupeur le taureau gigantesque qui déjà baisse la tête et charge.

Ils reculent à l’intérieur, cherchant un abri derrière les parois dérisoires du bungalow.

Les restes du portillon volent en éclat sous le poitrail de l’animal. Il emporte dans sa course une traîne de roseaux et de fils de fer arrachés à la clôture.

Soudain un tir, une rafale de coups secs.

La bête se cabre. Elle mugit de douleur et de rage. Elle fait demi-tour, empêtrée dans les vestiges du grillage. Elle trébuche puis se ressaisit. Elle souffle bruyamment une écume rougeâtre. Ses flancs se gonflent et se rétractent au rythme d’une respiration affolée. Deux trous sanglants marquent son échine.

Elle fait face à l’homme resté près du 4X4  qui actionne vainement le mécanisme enrayé de sa mitraillette, puis qui jette son arme dans un juron.

Le taureau s’élance

L’homme attend. Il brandit un pistolet automatique. Il le tient fermement, à deux mains, à bout de bras. Il attend encore et puis tire. Un seul coup.

Le taureau s’écroule.

Son corps emporté par l’élan roule jusqu’au pieds de l’homme. Le sang gicle de sa tête fracassée et éclabousse les mocassins du tireur.

L’homme enjambe en jurant l’énorme tête. Il est pressé car, là bas, à l’autre bout, derrière un dernier cabanon, les deux adolescents s’éloignent. Le scooter  franchit un étroit pont de béton reliant le village à une route de terre par-dessus un large fossé vaseux.

L’homme s’engouffre dans le 4X4 qu’il démarre en trombe. Les roues patinent dans une gerbe de sable. La voiture bondit, puis ralentit pour récupérer les deux autres hommes qui accourent et repart à nouveau pour freiner soudain à une dizaine de mètres du pont.

Le pont est infranchissable.

Dans les volutes de sable que le vent soulève en rafale, on devine la silhouette imposante d’une autre bête. Lorsque le vent s’apaise un instant, le taureau se révèle. Encore plus sombre, encore plus gigantesque, immobile, monumental. Le tressaillement nerveux de son unique oreille est le seul signe de vie. Il attend.

La voiture s’élance. Elle percute l’animal en plein poitrail. La violence du choc dévie la course de l’auto qui bascule dans le fossé. Le moteur s’emballe dans un bruit strident avant de s’arrêter en hoquetant dans une gerbe de vapeur.

Le conducteur s’extirpe péniblement de l’habitacle. Il doit soulever la portière car le 4X4 gît sur le côté. Il escalade le talus et atteint la route de terre. C’est une longue ligne droite construite sur une sorte de large digue isolant les étangs. Elle disparaît à l’est après un virage contournant une haute dune et un amas de végétaux rabougris.

Le scooter est parti de se côté, les traces de ses pneus marquent le sol.

Le pont reste infranchissable. La masse du taureau en interdit toujours l’accès. C’est à peine si le choc l’a repoussé mais il est couché sur le flanc, la tête légèrement redressée, appuyée sur une des cornes. Un œil semble fixer son bourreau, libéré de toute haine et de toute mission.

De rage, l’homme donne une série de coups de pied dans la dépouille. Il s’arrête bientôt, davantage essoufflé que calmé. Un bruit de moteur l’intrigue. Cela devient assourdissant. Un hélicoptère passe au dessus les marais et disparaît vers l’ouest.

A l’ouest, il y a un petit nuage de poussière sur la route. C’est une voiture qui vient. Le vent gène la vision. L’homme protège ses yeux de la main. On la voit mieux maintenant. C’est une vielle Renault, une fourgonnette orange.

Le bonheur souffre de surdité, mais peut-on dire qu’il souffre?

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Chapitre 25

 

 

La mer,

comme un mensonge fait aux enfants

 

 

–         Commandant Billon ?

–         Lui-même, répondit une voix féminine dans l’écouteur.

–         Ah !… Hum… Excusez mon hésitation, je ne m’attendais pas à ce que le commandant de la gendarmerie des Saintes Maries soit une femme.

 

Le commissaire Portelli attend en vain un commentaire, change son mobile de main, puis reprend.

–         Bien, au fait. Parlez-moi de ce canot.

–         C’est un petit canot de couleur verte. Vert bouteille. En résine de synthèse… Il semble correspondre à la photo du fax et aux descriptions…

–         Vous l’avez repéré ce matin, c’est cela ?

–         C’est cela commissaire.

–         Mais il aurait pu être là avant ? Hier soir ?… On se traîne bon sang ! Doublez ! passez-moi ce camping-car, on fait pas du tourisme Rolando !

–         Ok. Commissaire.

 

Le chauffeur commande la descente de la vitre, extirpe du dessous du siège un petit gyrophare bleu et le fixe d’un geste sûr, au toit de la 308. Une sirène puissante retentit.

–         Pardon Commissaire ? fait la voix féminine.

–         Je disais : était-il là, hier soir, ce canot ?

–         Je ne sais pas Commissaire. C’est possible. Nous enquêtons. Nous avons été alerté assez tard et il y a peu d’hommes disponibles en ce moment. Il y a les taureaux…

–         Ah oui, ces fameux taureaux… Rolando, bon sang ! coupez-moi cette foutue sirène !

 

Rolando s’exécute. Aussitôt le soulagement. Juste le ronronnement du diesel.

–         Pardon ? fait la voix féminine.

–         Laissez tomber les taureaux… Il me faut tout votre monde !

–         J’imagine que tout cela est en rapport avec la tuerie de la péniche…

–         Oui, la péniche… Mais je crains que ce qui s’est passé hier ne se reproduise. Ce n’est pas fini, Commandant… Avez-vous entendu parler d’Emilio Gordo ?

–         Paris n‘est pas si loin, Commissaire. Emilio Gordo, dit «  le poète ». C’est le truand repenti qui doit témoigner au procès de la filière bulgare…

–         Tout à fait, Commandant. Je serais au  Saintes  sous peu. Je vous en dirais plus… Vous couvrez les  Salins de Girault  aussi, je crois ?

–         Non, il y a une gendarmerie au Salins.

–         Ah. Bien, je vous retrouve directement sur les lieux pour identifier la barque. J’ai noté : « camping des flots bleus »

–         C’est cela, Commissaire Portelli.

 

 

 

                      ***********************************************

 

 

–         Hé, Djèson ! Tu prends le soleil ou tu prends le vent ?

–         Salut, toi ! Déjà debout ? Allez, monte ici, tu vas voir la mer comme elle bouge. Allez viens

 

La gamine cligne les yeux au soleil de midi. Elle escalade la dune, trébuchant sur le sable meuble. La dune est assez haute. Elle surplombe le cabanon de Jason dont les tôles du toit frémissent sous le vent. Elle domine ce village insolite de bungalows bricolés, construits à partir de vieilles caravanes ou de carcasses d’autocar,  ceints pour la plupart de clôture de cannisse ou de palette de chantier, formant de petits jardins agrémentés de quelques fleurs. Les cabanons de Beauduc rivalisent en fantaisie architecturale vernaculaire et en ingéniosité dans l’assemblage. Celui de Jason partage en tous points les conventions de ce cahier des charges anarchiques.

Au cours de son ascension, la fillette aperçoit d’autres baraques regroupées en quartier, plus loin vers les terres, entre des nappes de marécage, enfouies entre les dunes et les tamaris. Elle comprend alors, pourquoi Neptune tarde tant à la rejoindre. Tant pis pour le pêcheur. Maintenant, elle a Jason. Il est sympa Jason.

–         Regarde plutôt la mer. C’est mieux que les baraques, insiste le garçon en s’asseyant entre deux gerbes de hautes tiges.

 

La fille le rejoint et s’assoit à ses côtés.

–         Tu vois les vagues comme elles roulent, comme elles gonflent, continue le garçon. C’est le vent. Il les creuse et il fait de l’écume au bout, comme de la dentelle.

 

Ils se perdent un instant dans la contemplation de la mer.

–         Et puis là bas, y a notre feu, remarque la fille. Y a une voiture qui a roulé dans les cendres. Ça fait un dessin sur la plage… C’était bien hier soir…

–         Ouai, c’était bien…

–         Dis Djèson, pourquoi il faut dire « Djèson » ? Ton père, il est américain ?

–         Non, mon père… Il y avait un film à la télé ou une série… Toutes façon, mon père, c’est un con… Et puis Djèson, ça fait moins tarte.

–         Moi, mon père, il m’a raconté l’histoire de Jason. Mon père, c’est un poète, tu sais. Il me racontait souvent des histoires, avant… Jason, c’était un marin, un guerrier autrefois, dans la Grèce antique. Il a eu un tas d’aventure. Il est parti sur un bateau pour trouver la toison d’or d’un bélier sacré.

–         Et il l’a trouvé ?

–         Oui, bien sûr. Mais après, ça s’est compliqué et mon père n’a jamais voulu me dire la suite.

–         Moi aussi, je l’ai trouvée, la toison d’or, s’amuse Jason en passant une main dans les cheveux de la fille.

–         Hi, hi, hi, fait-elle complice.

 

Puis soudain, elle se dresse d’un bon et tend un doigt vers les marais à l’arrière des dunes.

–         Qu’est-ce que c’est ? Ça là bas, tu vois ?

 

Jason se lève à son tour. Il plisse les paupières parce qu’une rafale de vent rabat des grains de sable sur son visage.

–         On dirait… On dirait des taureaux…

–         Des taureaux… Oui, j’en ai vu un, hier. Énorme !

–         C’est les taureaux en vadrouille. Tu sais, ceux qui se sont échappé, qu’on cherche partout. Mon père les cherche…

–         C’est un cow-boy ton père ?

–         Tu parles ! Il travaille à la manade Gilbert. Les taureaux, y a que ça qui l’excite. Les taureaux et le pastis. Il m’en veut parce que moi, je m’en fous de tout ça.

–         On les voit plus, maintenant… C’était peut-être pas des taureaux après tout.

–         Ouai et ben, si c’était des taureaux, mon vieux, il doit pas être loin. On va réveiller les autres et ranger tout le bordel et… Mais qu’est-ce que c’est, ça encore ?

 

Un gros 4×4 arrive en trombe sur la plage. Il traverse, dans une gerbe d’eau, un étroit bras de mer s’avançant jusqu’aux premières dunes et s’arrête en dérapant sur le sable à quelques mètre du cabanon de Jason.

Quatre individus en sortent aussitôt. Un autre est expulsé du véhicule sans ménagement, tiré par le col de sa chemise. Il pointe un doigt hésitant vers la baraque du garçon.

–         Mais c’est Dédé !… Mais qu’est-ce qu’il veut ? fait Jason.

 

La mer, comme un mensonge fait aux enfants.

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Chapitre 24

 

La mer, au loin, c’est l’issue démesurée.

 

 

 

Neptune est nu. Le soleil déjà haut réchauffe son grand corps. Ses habits sèchent sur le sable. Plus loin, un couple d’un certain age offre, comme lui, leur peau aux rayons toujours vigoureux de cet automne généreux.

Il contemple la mer, le renouvellement des vagues. Il n’a pas trouvé le cabanon, hier soir. Pourtant, il a marché longtemps sur la plage à la clarté des étoiles. Il s’est même perdu quand il a cru voir des habitations à l’écart dans les dunes. Puis, lorsqu’il a enfin retrouvé la plage, il a senti toute la fatigue de cette fuite l’anéantir. Il s’est enroulé dans une bâche plastifiée oubliée entre deux dunes et s’est endormi.

Ce n’est pas le jour qui l’a réveillé, mais le passage bruyant d’un quad. Les moustiques l’avaient épargné. Il avait l’habitude d’endurer leur agacement, même s’il ressentait quelques démangeaisons sur son cuir chevelu.

Il avait ouvert le carnet de la gamine. Les graffitis du garçon étaient tout aussi énigmatiques que la veille. Peut-être faudrait-il l’aide d’un promeneur… Il se rendit compte que son aspect n’était pas engageant, avec ses cheveux sales, sa barbe naissante et une odeur de fauve, vraisemblablement.

 Il se déshabilla, roula en boule ses vêtements autour du carnet et les laissa sur le sable. Il s’avança dans l’eau salée. Il aima la douce sensation du sable épousant la plante de ses pieds, s’insinuant entre ses orteils. L’eau était plus chaude que celle de sa rivière. Ses rouleaux ondulaient sur ses cuisses, il se sentit bien. Alors, il pénétra la mer et  se perdit dans les vagues en longues brassées.

L’eau le portait, il nagea longtemps.

Maintenant, la mer a lavé son corps et apaisé son âme. Il pense à cette gamine. La fillette n’est plus là. Elle est partie comme elle est venue, subrepticement. Elle l’a laissé ici, au bout du monde… En quoi en est-il responsable ?

Soudain, quelque chose humide chatouille son dos. C’est la truffe d’un jeune chien. L’animal le regarde de ses yeux généreux, passant la langue sur son museau et frétillant de la queue. Puis, il tourne la tête en direction d’un jeune couple qui l’appelle et, d’un coup, bondit à leur rencontre.

Neptune se lève. Il brandit le carnet, peut-être que ces passants pourraient l’aider ; mais déjà ils s’éloignent, attachés l’un à l’autre, indifférents ou gênés.

Le pêcheur se rend compte de sa nudité. Il s’habille. Les jeunes gens sont déjà loin, mais le couple de nudiste allongé à quelques mètres le renseignera.

–         Nein ! Deutch… Pas français, fait l’homme avec un sourire désolé avant de se replonger dans la lecture de Der Piegel.

 

Alors, Neptune reprend sa marche, laissant les vagues mourantes s’abandonner à ses pieds. Il passe le petit cap de dunes et découvre une longue baie. La plage s’élargit considérablement. Des voitures et des camping-cars sont garés au loin. Il doit y avoir, là bas, un accès facile car les traces d’un fourgon stationné proche du rivage se perdent jusqu’au fond de la baie.

Un  homme est assis sur un pliant devant le fourgon. Il observe négligemment un alignement de cannes à pêche, tout en mâchonnant un sandwich. Lorsque Neptune s’approche, il lui fait signe de s’écarter, puis se lève pour inspecter le fil tendu d’une canne.

Neptune n’insiste pas.

Plus loin, vers les terres, au creux d’un amphithéâtre de hautes dunes, un groupe de personne est rassemblé. En s’avançant, il remarque qu’il s’agit essentiellement de femmes. La plupart est disposé en cercle et semble participer à un rituel mystérieux. D’autres, à l’écart, attendent on ne sait quoi.

Neptune s’adresse à l’une d’elles.

–              Hon ! fait-il en montrant sur le dessin, le nom de Beauduc entouré par le garçon.

 

La femme a un regard clair et doux. Elle est jeune et lui sourit avec bienveillance. Une femme plus âgée la rejoint, ses habits d’étoffe orientale flottent dans le vent qui s’affirme.

–              What happens ? demande-t-elle à la jeune femme.

–              I think this man is lost and he looks for…. Ho my God!

 

Son regard se perd derrière les épaules du pêcheur et devient dur. Son sourire s’efface brutalement.

–              My God! Ho my God! Reprend l’autre femme en reculant.

 

Neptune se retourne alors, et voit la silhouette sombre d’un gigantesque taureau traverser lentement la plage. Il est assez loin, mais on devine une masse imposante. Il s’engage dans la mer et laisse un instant les vagues masser son large poitrail. Puis, il tourne la tête vers eux. L’envergure de ses cornes est impressionnante.

L’apparition a perturbé la cérémonie. Les disciples observent incrédules l’inquiétante bête. Déjà certaines rompent la ronde.

Le taureau amorce un pas en leur direction. C’est la panique. Le groupe se désagrège aussitôt. Les femmes escaladent les dunes laissant sur place sacs et accessoires divers.

Neptune reste seul. Il ne bouge pas. Il sait que la peur nourrit la peur.

La masse noire se dirige vers lui d’un trot soutenu puis, s’arrête à sa hauteur. S’il tendait le bras, Neptune pourrait caresser ses naseaux, sentir son souffle rapide. La bête le fixe. Neptune perçoit une réelle tristesse dans le regard de l’animal.

Puis, la bête tend son cou pour humer l’air en reniflant bruyamment. Elle a senti l’autre taureau. Il est là bas, entre deux dunes. Il semble encore plus grand et plus massif. Il reste un instant immobile, indifférent aux tourbillons de sable soulevés en rafale, puis mugit.

Alors, la bête s’écarte du muet, comme à regret. Elle rejoint l’autre taureau qui déjà disparaît entre les collines de sable.

Le pêcheur guettera longtemps, le retour des taureaux. Mais les deux bêtes ne reviendront pas. Alors il reprendra sa marche sur la plage.

Ensuite, il y aura les coups de feu. Neptune, bien sur ne les entendra pas.

La mer, au loin, c’est l’issue démesurée.