Archives mensuelles : août 2012

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Chapitre32

 

Quand la tension distend les humeurs, il ne fait pas bon courir les somnolences.

 

 

–         Le bulgare de la 4L volée est mort, commissaire. Quant à l’employé du bac : rien de grave… juste la jambe

Le commissaire Portelli n’a aucun regard pour le lieutenant Rolando. Il est assis en travers du siège de la 308 banalisée. Il a ouvert la portière parce qu’il avait l’intention de sortir du véhicule pour questionner lui-même l’infirmier, mais il est resté finalement là, avec juste un pied sur la chaussée, envahi soudain par une profonde lassitude.

–         On a merdé Rolando…

Il garde les yeux fixés sur cette chaussure posée sur le bitume. Il semble en étudier tous les détails.

–         J’ai vraiment merdé.

L’ambulance croise la 308 dans le vacarme de ses avertisseurs. La petite route est maintenant bien dégagée, uniquement occupée par les véhicules des forces de l’ordre, plus ou moins bien alignés sur le côté.

–         Tous ces morts…

–         Ces morts,  commissaires, c’est des voyous ! Ils se sont tués entre eux… Des truands : ceux du cirque, de la péniche… Bon débarras !

–         Et ça, Rolando, tout ce bordel ?

Il désigne du menton l’épaisse fumée noire qui monte au dessus des arbres cachant l’aval du fleuve.

–         Combien, combien de brûlé, de noyé ?… Combien ?… C’est des gens là, des vrais gens…

Le lieutenant Rolando regarde un instant la colonne de fumée que le vent couche vers la mer sans parvenir à dissoudre.

–         Commissaire Portelli, vous avez détruit la filière Bulgare ! Pensez à toutes ces filles que vous  sauvez, toutes ces gosses ! Elles existent aussi… Vous savez ce qu’il en font, ce qu’il en on fait, tout ce trafic de merde !…  On aura tout le réseau, pas le menu fretin, tous ! En France, en Roumanie, en Bulgarie. Votre idée de retourner Gordo a payé.  C’était la bonne idée. C’est juste qu’on ne peut pas tout maîtriser…

–         On devrait, Rolando, on devrait… Gordo, C’est là que j’ai merdé. … Ce n’était pas la bonne personne,  un  schizophrène, trop de zone d’ombre, incontrôlable… Fou…

–         On n’avait pas le choix, commissaire… Maintenant Gordo parlera, il parlera maintenant.

–         Mais sa gosse, sa gosse ?

Portelli élève brusquement le ton, puisant l’énergie d’une colère naissante.

–         On devait trouver la gamine, la mettre hors de portée ! Il fallait récupérer ce foutu carnet !

–         Le carnet, ils ne savent même pas qu’il existe, répond le lieutenant sur le même ton.

–         Rolando, ils savent tout, tout ! Ils ont bien trouvé la fille.

–         La gamine, ils ne peuvent plus le tenir avec. Soit on la récupère, soit ils l’ont déjà tué… C’est lui qui l’a fourrée dans cette merde. Lui et ses idées de poète à la con, pas nous ! S’il nous l’avait confié, rien de tout ça ne serait arrivé.

–         On n’a même pas été foutu de le protéger, lui ! rugit Portelli

–         C’est lui le responsable. Il le sait, il parlera ! Par vengeance, il parlera. Il donnera les codes, on déchiffrera le carnet. On aura toutes les adresses, les coffres, les documents. On les fera tous tomber, tous ! Tous ces salauds !

–         Rolando, votre cynisme… fait le commissaire, retrouvant progressivement son calme. Votre détachement… Vous avez un brillant avenir dans l’institution, lieutenant, vous…

–         Commissaire Portelli, interrompt brusquement un gendarme. Commissaire, le bateau s’est échoué.

 

 

 

************************************

 

Jason empoigne la chevelure de la jeune fille et la remonte à la surface. Il a dû lâcher la bouée pour la soutenir  sous les aisselles et  maintenir  sa tête hors de l’eau. Ses cheveux blonds roulent sur son épaule. Elle est inconsciente, les paupières à demi fermées sur le blanc des yeux. Elle respire faiblement.

La berge n’est pas très loin, mais le courant les entraîne, les éloignant rapidement du navire en feu.  La bouée file devant lui, il doit nager énergiquement de son bras libre pour la rattraper. Le corps de la fille entrave le battement de ses jambes. Lorsque enfin, il  peut s’accrocher, il est épuisé. Alors, il se laisse aller au grès du fleuve, à l’écart du bateau en flamme qu’un obstacle immergé retient penché sur un côté, mais loin des canots qui recueillent les naufragés.

Bientôt, il sent le froid l’engourdir et la douleur de sa blessure s’intensifier. L’eau a lavé le sang qui maculait son front, mais un filet rouge s’insinue encore entre ses cils. Il agite les jambes. Peut-être pourra t-il dévier la trajectoire et atteindre la berge ? Mais très vite, il s’épuise et le fleuve les reprend. Alors, il s’abandonne aux caprices des courants, comptant sur la vigilance d’un marinier remontant le fleuve ou sur la mer, si proche, pour les déposer sur une plage.

Il a mal, vraiment mal à la tête.

Soudain, la bouée s’enfonce. Il est tiré vers l’arrière, puis un bras vigoureux se glisse entre sa poitrine et le dos de son amie. C’est le grand type, l’infirme. Il le laisse s’emparer du corps inconscient. Il n’a pas la force de lutter contre la détermination du sourd-muet. Il peut, maintenant, se reposer un instant sur la bouée, et, libre de ses mouvements, nager enfin vers la berge.

Neptune sort du fleuve avec précaution. Il sent les galets glissants sous ses pieds. Il assure chaque pas qui le mène vers la bande de gravier qui s’échappe des joncs. Il porte la gamine  toujours inconsciente entre ses bras, comme il y a deux jours, dans le ruisseau de la rue des Teinturiers. Deux jours, deux ans… Il contemple ce visage endormi, paisible et clair, couronné de blondeur.

Délicatement, il pose la fillette sur un lit de sable. Il s’agenouille au près d’elle et doucement, écarte les mèches mouillées qui encombrent son front d’enfant. Elle ouvre enfin les yeux, les cligne plusieurs fois à cause de la forte lumière. Neptune se déporte légèrement pour les protéger de son ombre.

–         Honhon, c’est toi ?… souffle t-elle avant de s’évanouir à nouveau.

Jason les rejoint. Il trébuche sur les galets, il est exténué. Il se penche sur la jeune fille en s’appuyant sur les épaules du pêcheur.

–         Ça va, elle va bien ?… Elle va bien, hein ?

Puis il se redresse soudain, alerté par le bruit d’un moteur : un hélicoptère fait de larges cercles autour du fleuve. Il court vers la rive.

–         Hé ! Ohé ! Crie t-il en agitant les bras.

Neptune se lève à son tour et voit l’hélicoptère s’éloigner.

–         Ils nous ont vu. Ils vont venir ! ils vont venir…

Le pêcheur  demeure un moment immobile regardant l’engin se perdre en amont, puis il tourne la tête vers l’enfant. Elle parait beaucoup plus grande allongée sur cette bande de sable. Son tee-shirt trempé laisse apparaître les renflements d’une poitrine naissante.

Alors, il se dirige vers le fleuve. Il est entièrement nu, ses longs muscles de nageur roulent sur son dos à chacun de ses pas. Il sent le courant tiède enlacer ses chevilles puis caresser ses hanches l’invitant à plonger.  Il regarde une dernière fois vers la berge. La gamine a repris conscience, faible encore, elle reste assise, maintenue par les bras du garçon. Elle le regarde s’éloigner. Il voit ses lèvres formuler quelques mots et sa main serrer celle de Jason.  Il lui répond d’un large sourire avant de s’abandonner dans le courant.

Neptune aime nager dans le fleuve. Il y retrouve un peu sa rivière d’avant, mais le fleuve est plus chaud et plus salé aussi. Il est si large qu’il n’en voit plus les limites.

 Bientôt, la mer absorbe le fleuve. Le vent pousse le nageur vers le large, creusant les vagues en de petites montagnes mouvantes. Neptune aime se laisser descendre dans leur creux pour gravir de sa brasse une nouvelle paroi liquide jusqu’à la crête écumante. Il voit alors la côte, déjà bien loin. Il devine les hautes dunes et le scintillement du soleil sur les carrosseries des autos.

Plus au large, il y a un voilier qui s’enfonce et s’élève au grès de la houle, et qui semble attendre, toutes  voiles carguées. Peut-être devrait-il l’approcher ou bien rejoindre les plages ? Il éprouve dans ses membres toute la lassitude de cette longue nage, mais la mer est si douce. Il se sent apaisé dans les plis caressants de son ventre ondulant.

Quand la tension distend les humeurs, il ne fait pas bon courir les somnolences.

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Chapitre 31

 

Tu cherches le bonheur et tu découvres les langueurs glauques d’absolu.

 

 

L’arrière du camping-car n’est plus qu’une armature de flammes. Des débris ont été projetés sur le sol et sur les véhicules, fracassant les pare-brises. La nappe d’essence en feu s’insinue sous les voitures léchant les moteurs et les réservoirs. Le vent rabat une fumée acre sur le pont, obscurcissant l’ air devenu irrespirable.

Les passagers évacuent les autos en hurlant, fuyant l’incendie. Ils sont bloqués aux extrémités par les rambardes de sécurité contre les quelles ils se massent jusqu’à s’étouffer.

Le marin qui organisait l’agencement des véhicules, court entre les files de voitures.

– Sortez, restez pas dans les voitures !

Il tape à plat main sur les toits des autos tout en protégeant sa respiration d ‘un amas de kleenex.

–         Sortez ! Allez à bâbord ! À bâbord

Il atteint l’enfilade de cabines tribord. Sous l’escalier menant à la coursive, il repère un long coffre métallique. Il en sort des gilets de sauvetage qu’il brandit puis jette aux passagers.

–         A l’eau ! Tout va péter, sautez, sautez !

Il délaisse les gilets et empoigne un extincteur juste au-dessus du coffre. Mais il n’a pas le temps de faire face au feu, il n’entend même pas la nouvelle explosion : un fragment métallique percute la base de son crâne et le marin s’effondre sur le tas de gilets.

La fine moustache de l’homme au blouson s’agite de tics nerveux. Ses mains se crispent sur la rampe de sécurité de la coursive. La fumée masque une bonne partie du pont. Il voit, entre les volutes, les passagers franchir les rambardes et se jeter à l’eau. Il entends les appels et les cris à travers le ronflement des flammes. Un coup de vent rabat un nuage noir sur son visage. Ses yeux sont irrités. Il tousse. Soudain, il sent une poussée dans son dos. C’est le pilote, il le devine, à travers ses larmes acides, enjamber la rambarde et sauter. Il a pointé son arme sur lui. Il aurait pu le tuer, il en avait le temps…

Le bateau dévie, se rapproche des berges et des hauts fonds.

En amont, l’autre bateau a stoppé. Des canots pneumatiques sont mis à l’eau et les premiers rescapés hissés à leur bord. L’écart grandit rapidement entre les deux navires. D’autre canots, plus larges s’engagent sur le fleuve à partir des berges.

La fumée masque la progression du feu sur le pont. La chaleur est insoutenable, il y aura d’autres explosions.

–         Saute ! Il faut sauter ! crie Jason à la fille.

Les deux jeunes gens sont acculés au plat-bord de poupe. Deux mètres plus bas, l’eau bouillonne contre la coque du navire.

–         Non, non, y a les hélices… Il faut remonter…

–         Mais on peut pas, on peut pas traverser !

Les flammes forment un barrière interdisant toute progression vers l’avant du bateau.

–         Par là haut, dit la fille.

Elle désigne l’étroit escalier métallique permettant l’accès à la coursive par poupe. Elle agrippe la rampe brûlante. Le haut de l’escalier est absorbé par la fumée, elle ne distingue que les marches à la hauteur de son visage. Le bruit des pas de Jason la rassure, il la suit. Elle s’engage sur la coursive. Le vent dégage brusquement les volutes noirs. Il rend visible la cabine de pilotage et  l’homme au blouson qui pointe vers elle son pistolet automatique.

Il est adossé à la cloison de la timonerie, sa cravate colorées flotte à son cou comme un fanion de fête.

–         Non ! Fait Jason.

Il bouscule son amie pour interposer son corps devant l’arme. Puis il avance lentement vers l’homme, tendant ses mains ouvertes.

–         Non, Monsieur, non …Supplie-t-il.

Imperceptiblement les fines moustaches de l’homme s’affaissent sur ses lèvres. Toute détermination disparaît de son regard. Lentement, il baisse son pistolet en secouant négativement la tête dans un long soupir.

Soudant un choc. L’homme heurte violemment la vitre de la cabine.

–         Djèson ! hurle la fille.

Jason n’est plus sur la coursive. Il a basculé par dessus le bastingage. Elle le voit battre des bras l’eau du fleuve contre la coque. Heureusement le moteur à calé.

La fumée absorbe à nouveau l’espace, mais la jeune fille a repéré une bouée accrochée à la cloison de la cabine de pilotage. Elle la décroche en tâtonnant, la serre fortement contre son corps menu et saute par dessus la rambarde.

Le contact brutal avec l’eau lui fait lâcher la bouée. Elle agite ses bras dans les remous. Elle peine à trouver de l’air. Elle n’a jamais su bien nager. Elle n’a pas l’aisance de ce grand type qui pêchait, là bas, dans sa rivière.

– Honhon… souffle t-elle avant de s’enfoncer dans la noirceur du fleuve.

Tu cherches le bonheur et tu découvres les langueurs glauques d’absolu.
Croquis fait pour l’occasion, mais j’ai perdu la main…

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Chapitre 30

 

 

La ride n’est pas la vague. La ligne n’est pas la rigueur

 

 

Des gouttes de sueurs perlent au front de l’homme. L’une d’elle reste accrochée à la fine barrière de ses moustaches. Il l’essuie du dos de sa main libre, puis desserre le nœud de sa cravate bariolée flottant par dessus le col de son blouson.

Il observe méticuleusement les passagers qui se sont groupés au niveau des derniers véhicules pour comprendre la raison des tirs. L’autre homme se relève d’un saut approximatif et récupère son pistolet mitrailleur.

La barge du bac s’éloigne rapidement du ponton.

–         Dans les voitures ! ordonne l’homme à la fine moustache.

 

Il brandit son automatique au dessus de sa tête et fait feu.

–         Dans les voitures, tous ! hurle t-il.

 

Aussitôt, ce sont des cris, des claquements de portières. L’homme repère l’escalier métallique qui mène à la coursive en surplomb du pont. Il aboie quelques consignes à son comparse et se précipite vers l’escalier. Le deuxième homme avance de quelques pas entre les deux files de voitures en armant son pistolet.

–         Foiturrre ! Foiturrre ! crie t-il.

 

L’homme à la fine moustache atteint la cabine de pilotage. Il n’a pas besoin de menacer le pilote. Martial a déjà levé les mains en signe de soumission.

Sur la berge, les forces de l’ordre assistent impuissantes à la fuite du bateau. Il atteindra bientôt le mitant du large fleuve. La route a été dégagée et divers véhicules s’accumulent près du ponton. Une ambulance arrive en trombe et stoppe près du corps de Mathias où s’activent quelques gendarmes.

La coursive permet une vue dégagée de part et d’autre du fleuve. Sur la rive opposée, l’autre bateau du bac est toujours à quai. Dans des circonstances ordinaires, il aurait déjà quitté la berge pour doubler la traversée et libérer l’amarrage. On devine une activité inhabituelle sur cette rive. Des véhicules bleu nuit se mêlent aux autos que des gendarmes évacuent du navire. Des hommes casqués en uniforme noir, envahissent le bâtiment.

L’homme au blouson et à la fine moustache pousse un juron. Il pénètre d’une épaule dans la cabine de pilotage et ordonne :

–         Tourne ! Descend le fleuve !

–         Descendre le fleuve ! Avec ce bateau ! Mais c’est… O k, ok…

 

Le canon de l’automatique braqué sur sa tempe est un argument indiscutable. Martial actionne le gouvernail, mais la manœuvre est brutale. Le bateau tangue déséquilibrant l’homme qui doit s’accrocher au montant de la porte de la cabine.

–         Pas de connerie ! hurle t-il en frappant le pilote de son arme.

 

Le marin s’effondre dans l’angle de l’habitacle en se tenant la mâchoire à deux mains. L’homme le tire à lui par le col de sa veste, le relevant presque.

–         Pas de connerie !

 

Sur le pont, son comparse, bien campé sur ses jambes attend que le bateau se stabilise puis reprend sa marche entre les files de véhicules. Il y a eu des cris et des mouvements de panique lorsque le bateau a viré. Certaines portières se sont ouvertes mais se sont refermées bien vite devant la menaçante détermination du truand.

–         Foiturrre ! Foiturrre !

 

Jason ne le perd pas de vue. L’homme n’est qu’à quelques mètres. En penchant la tête, il peut voir, entre deux pare-chocs, le pan de sa chemise jouer avec le canon de son pistolet mitrailleur. Le garçon desserre l’étreinte de sa main sur la bouche de la gamine. Son cri s’était mêlé à ceux des passagers lorsque le bateau a tangué.

–         Chut ! souffle t’il.

 

La jeune fille a un léger hochement de tête pour signifier qu’elle reprend la maîtrise d’elle-même.

Les deux ados sont accroupis vers l’avant du navire, coincés par la rambarde bâbord et la carrosserie d’un haut véhicule familial. Il n’y a que le conducteur dans le break, mais celui-ci les ignore. Il a condamné les portières et fixe résolument un point incertain au-delà du pare-brise.

A travers les vitres du véhicule, malgré les reflets, la cabine de pilotage est bien visible. Jason distingue l’homme au blouson. Il est adossé au montant de la porte et inspecte méticuleusement le pont. Puis, son regard se porte au-delà de la cime des arbres, vers l’amont du fleuve, attiré par un bruit de moteur grandissant.

L’hélicoptère se porte rapidement à la hauteur du navire. Il se stabilise au dessus du bâtiment l’accompagnant dans sa progression. L’autre bateau du bac vient de quitter son ponton et s’engage lui aussi dans la descente du fleuve.

Soudain, deux coups de feu suivis d’une courte rafale. L’hélicoptère s’écarte aussitôt et prend de l’altitude.

L’homme au blouson garde un instant l’engin dans le viseur de son arme puis crache des ordres à l’homme du pont. Celui-ci enclenche un nouveau chargeur dans la crosse de son arme et entreprend une inspection méthodique des véhicules.

Bientôt, il arrivera au terme de la file, la contournera et découvrira les deux adolescents.

–         Il faut bouger, dit Jason.

 

L’homme est déjà au niveau du gros break. La gamine s’est aplatie sur le métal froid du tablier du pont. Elle voit les baskets sales du truand par-dessous la voiture. L’homme donne de grands coups de poings sur les vitres.

–         Foiturrres ! Foiturrre ! menace t-il dan son vocabulaire limité.

 

Les mains du conducteur tremblent sur le volant. Il comprend ce que l’homme cherche. Il hésite, n’osant regarder le truand qui  le fixe. Puis se décidant, tourne la tête en direction des deux fugitifs.

D’un bon, l’homme escalade le capot du break. Il déboule de l’autre côté de la file, juste pour voir disparaître, quelques mètres plus loin, l’espadrille du garçon sous un camping-car.

La rafale est trop tardive pour être efficace. Elle a été tirée par dépit. Les balles sont perdues. Elle ricochent sur le métal du pont, crèvent un pneu du camping-car et provoquent un nouvelle panique chez les passagers.

–         Foiturrre ! Foiturrre ! Hurle le truand en tirant une nouvelle rafale dans le vide.

 

Soudain des flammes. L’arrière du camping-car s’embrase. Le feu progresse rapidement dans la file de voiture, remontant le ruisseau d’essence qui se déverse d’un réservoir éclaté.

Et puis, c’est l’explosion.

 

 

 

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A l’ouest, Neptune voit distinctement les cabanons de Beauduc. Enfin, peut-être est-ce cela : ces regroupements de baraques et de caravanes disséminées entre les dunes et les marais. Il se rend compte que le site est très étendu et qu’il sera très difficile de trouver le cabanon indiqué par le garçon.

Au sud, il y a la plage et la mer à perte de vue. Il peut évaluer le chemin parcouru et reconstituer ses errances.

A l’est, le fleuve est tout proche. Il suffirait de prolonger  la marche sur la crête de la  montagne de sel, de descendre l’autre versant, pour se retrouver à deux pas des berges. Là, le fleuve est beaucoup plus large que le bras d’eau qui l’a conduit jusqu’au littoral.  Beaucoup plus vaste qu’en amont, comme s’il attendait, aux portes de la mer, l’autorisation de déverser son eau et d’en finir.

Il y a deux navires sur le fleuve. De l’un deux, s’élève une épaisse fumée noire.


La ride n’est pas la vague. La ligne n’est pas la rigueur.

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Chapitre 29

 

 

Ici ou là, la moiteur linéaire signe au bas de la plage.

 

 

 

 

Jason pousse le scooter, il court, puis lâche l’embrayage. Le moteur hoquette et vrombit. Il saute sur la selle et  tourne la poignée des gaz pour brûler le surplus d’essence.

–         Vite, monte ! fait-il à la gamine.

 

La voiture orange s’est engagée trop vite dans le carrefour. Le conducteur a dû freiner brutalement mais n’a pu éviter le panneau indicateur qui s’est incrusté dans le phare. Une rapide marche arrière la remet sur la voie. Elle s’engage à la poursuite des deux adolescents avec le pare-choc tordu qui racle le bitume en gerbes étincelantes.

La route est droite. Au bout, en queue d’une file de voiture à l’arrêt, on devine le camion de chantier. D’autres véhicules viennent à sens inverse. Le fleuve est juste après, encore invisible, en contrebas, derrière un rideau d’arbres.

–         Le bac, souffle Jason. Il faut chopper le bac !

 

La 4L réduit rapidement l’écart qui la sépare du deux roues. Mais le scooter arrive déjà à la hauteur du camion. D’un coup de rein, Jason bascule l’engin sur la gauche au risque de percuter une dernière automobile venant en face. Il se faufile entre la caravane tractée à la suite et l’habitacle du camion. Il ne peut éviter le rétroviseur qu’il percute du haut du crâne. Il n’en ressent aucune douleur. Il voit, au bas d’une courte pente, la large barge qui attend sur le fleuve.

Il n’y a plus d’auto sur la voie de gauche, il peut lâcher son scooter dans la descente qui mène au ponton d’embarquement. Les voitures s’engagent une par une sur la passerelle. La plate-forme du navire est déjà bien encombrée, mais sous les consignes de l’employé du bac, chaque véhicule trouve sa place.

Jason fonce, la fille collée à lui en un même corps. Derrière, il y a un bruit de crissement de pneus et de tôles froissées.

Il croise la douzaine de voitures qui avance lentement vers le bateau, passe de justesse entre la rambarde de la passerelle et un minicar qui embarque, avant de s’arrêter dans un dérapage mal contrôlé à quelque centimètre de la remorque d’un haut camion.

–         Non mais ça va pas ! hurle l’employé du bac accourant vers eux.

 

Un autre marin surgit de derrière la remorque.

–         Fait embarquer Mathias, dit-il. Je me charge de ces petits cons.

 

Puis, prenant à parti les deux adolescents :

–         Oh, les jeunes !

 

Sa colère se heurte au visage livide de Jason et au corps tremblant de la gamine qui lentement lève vers lui des yeux vides d’expression. Le rétroviseur a écorché le cuir chevelu du garçon, un filet de sang coule sur sa tempe.

–         Mais, oh !… Ça va ? Ça va bien, vous allez bien ?

 

Jason ignore l’inquiétude du marin. Il regarde la petite route qui descend jusqu’à la passerelle.  En haut de la pente, le camion de chantier est bloqué par la caravane en travers de la voie. La voiture qui la tractait n’a pu éviter la fourgonnette orange qui s’est déportée sur la gauche dans une tentative de passage. En bas, les derniers véhicules atteignent la passerelle.

–         Qu’est-ce qui se passe là bas ? s’interroge le marin à haute voix.

–         Il faut partir, monsieur, il faut traverser… souffle Jason.

 

La marin n’a que faire du conseil, il rejoint l’arrière du navire où l’employé condamne l’embarquement en fermant la barrière d’accès.

–         T’as vu là bas, Mathias? C’est quoi ?

–         On dirait qu’il se sont rentrés dedans, répond Mathias.

–         Té, t’entends ?… Il y a les flics… Déjà, ça a pas traîné, pour un coup…

 

La vision en contrebas est incomplète. La caravane masque la plus grande partie de la route, mais on perçoit distinctement les sirènes des véhicules des forces de l’ordre et les éclairs bleutés des gyrophares.

–         Oh !  Martial ? Oh ! Tu vois de là haut ?

 

Latéralement au pont, un poste de pilotage surélevé, accessible par un escalier métallique et un longue coursive ouverte, couronne une enfilade d’étroites cabines fermant tout le tribord. Il permet une vue panoptique sur l’ensemble du bâtiment et l’environnement.

Martial, une casquette d’officier de marine fixée au raz des yeux, sort de l’habitacle.

–         Il y a eu un accrochage et y a plein de flics qui s’amènent… Y en a beaucoup, c’est bizarre… Il se passe un truc, on dirait… C’est bon en bas ? … Allez, on décroche !

 

Quelques conducteurs et passagers, sortis sur le pont pour apprécier la traversée, se portent vers l’arrière, intrigués par l’incident.

–         Bon, on décroche, fait le marin. Mathias, les amarres !

 

Mathias saute sur le ponton et s’apprête à détacher le cordage d’amarrage bâbord.

–         Oh ! Qu’est-ce que c’est que ça encore ? fait-il dans un dernier regard vers les lieux de l’accident.

 

Deux hommes dévalent la pente en courant en direction du bateau.

–         On les attend ? demande le marin au pilote.

 

Le pilote hésite. Doublant la visière de sa casquette de la main, il tente de décrypter les évènements. Les hommes sont à mi-pente. En haut de la côte, les gendarmes sont maintenant bien visibles . Ils débordent les véhicules accidentés et se lancent à leur tour dans la descente.

–         Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? fait le pilote. Allez, on dégage, on dégage ! Les amarres, Mathias, les amarres !

 

Mathias décroche la fixation bâbord mais il s’effondre en hurlant avant d’atteindre la seconde.

–         Mathias ! Mathias ! crie le marin.

 

Le dernier homme a tiré en courant. Il se retourne et, sans ralentir sa course, fait feu à nouveau sur les poursuivants. Les gendarmes se jettent au sol.

Le pilote se précipite dans la cabine et lance le moteur. La corde d’amarrage se tend. Elle à été attachée avec la négligence d’une formalité. Elle glisse autour de la petite bite métallique du ponton sans vraiment retenir le navire. Le bateau s’écarte du bord.

Le premier homme atteint le ponton. Il franchit les derniers mètres et saute.

 

 

 

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Ici, rien n’a de sens.

Pas d’aval, pas d’amont, juste le vent du nord qui strie la surface des étangs en fines vaguelettes.

L’eau demeure recluse dans de larges parcelles géométriques. Elle y agonise dans une étrange couleur rose avant de disparaître en de grisâtres nappes craquelées .

Neptune est perdu.

Il a abandonné la plage pour suivre une piste qui l’a conduit vers les terres.  Il marche, maintenant, sur un  chemin  de digue délimitant les bassins de décantation des salins.

Il n’a pas trouvé le bungalow indiqué par Jason. Il l’a certainement dépassé, la nuit aura masqué le site. Le chemin semble conduire vers de gigantesques amas de sel. Du haut de leur cime blanche, il apercevra peut-être la mer, le fleuve et le village de cabanons où l’attend la gamine.

Ici ou là, la moiteur linéaire signe au bas de la plage.